Le Procès du Général: Dallaire Direct, deuxième jour -- 21 novembre 2006
[Ci-dessous on trouvera le transcrit pour mardi 21 novembre 2006. Ce représent le deuxième jour de l'interrogatoire par le procureur à TPIR du général canadien Roméo Dallaire, chef des forces de l'ONU en Rwanda (mais second après Jacques-Roger Booh-Booh, le SRSG) entre 1993-94. On puisse reconnaitre le leitmotiv de maladie dans tout ce soap opéra grotesque: Dallaire doit donner son témoignage de l'Ottawa à cause de sa santé faible; Me Black ce jour là a commencé d'avoir mal dans ses poumons, la condition qui va le forcer quitter le Trib durant tout la journée de 24 novembre; et même le procureur se plaint d'avoir prendre trop de paracetemol--paracetemol tout seul? ou avec un peu de camembert amusant mélangé dedans? Dis donc, je ne me sens pas très bien moi-même après tout cette redaction du temoignage de ce menteur militaire et collabo avec les vrais genocidaires rwandais: les sanglantes FPR avec leur monstre Kagame en tête. Mais personne ne va pas me payer de dire cette histoire de verité moche. Je dois m'arrêter de pleurnicher et marcher fortement jusqu'au bout--même en pauvreté, si l'on aie la verité, on peut continuer. Comme Beckett. --mc]
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TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA
AFFAIRE N° ICTR-2000-56-T LE PROCUREUR
CHAMBRE II C.
AUGUSTIN NDINDILIYIMANA
FRANÇOIS-XAVIER NZUWONEMEYE
INNOCENT SAGAHUTU
AUGUSTIN BIZIMUNGU
PROCÈS
Mardi 21 novembre 2006
(15h10)
Devant les Juges :
Joseph Asoka de Silva, Président
Taghrid Hikmet
Seon Ki Park
Pour le Greffe :
Roger Noël Kouambo
Issa Toure
Abraham L. Koshopa
Pour le Bureau du Procureur :
Ciré Aly Bâ
Moussa Sefon
Felistas Mushi
Segun Jegede
Abubacarr Tambadou
Pour la défense d’Augustin Ndindiliyimana :
Me Christopher Black
Me Patrick De Wolf
Pour la défense de François-Xavier Nzuwonemeye :
Me Charles Taku
Me Hamuli Rety
Pour la défense d’Innocent Sagahutu :
Me Fabien Segatwa
Me Seydou Doumbia
Pour la défense d’Augustin Bizimungu :
Me Gilles St-Laurent (absent)
Me Ronnie Mac Donald
Sténotypistes officiels :
Vivianne Mayele
Françoise Quentin
TÉMOIN: ROMEO DALLAIRE
Suite de l’interrogatoire principal du Bureau du Procureur, par M. Bâ p13
Contre-interrogatoire de la Défense de François-Xavier Nzuwonemeye, par Me Taku p66
PIÈCES À CONVICTION
Pour le Bureau du Procureur :
P. 118 A et B p38
P. 119 p47
P. 120 p62
(Début de l’audience : 15h10)
M. LE PRÉSIDENT :
Bon après-midi, Mesdames et Messieurs.
L'audience est ouverte.
La composition des parties est la même.
Me BLACK :
Monsieur le Président, avant de commencer, j'ai quelque chose à dire.
J'ai discuté avec mon client de vos instructions d'hier et, après une longue discussion, il m'a instruit qu'au lieu d'être supprimé de la liste, il préférait que je sois présent pour la procédure aujourd'hui.
Et avant de continuer, j'aimerais que... que « ma » vidéo soit projetée à l'écran.
Pouvez-vous... Je voudrais savoir qui est le colonel de l'armée qui est assis à la table, et pourquoi il est assis à cette table, dans le cadre d'une déposition concernant un Tribunal des Nations Unies, parce que votre salle là-bas fait partie de cette salle ici. Et il y a un colonel de l'armée et trois autres personnes que nous ne connaissons pas, et nous faisons objection à la présence d'un colonel de l'armée dans le cadre de notre procédure, quelles qu'en soient les raisons.
Il faudrait donc qu'on nous explique pourquoi cette dame — je crois qu'elle est lieutenant ou capitaine — est présente dans la salle, alors qu'elle ne devrait pas être autorisée à être assise dans cette salle.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître. Je n'ai... Je n'ai pas de problème avec qui que ce soit.
Puisque vous soulevez cette question, Monsieur le représentant du Greffe, voulez-vous informer l'autre salle de ce qui se passe ?
Me BLACK :
Nous aimerions savoir qui est présent dans cette salle. Nous voulons que le témoin parle librement et qu'il ne soit pas l'objet d'intimidations de quelque nature que ce soit.
M. KOUAMBO :
Merci, Monsieur le Président.
Comme je l'ai dit hier, la dame est là et elle nous a fait savoir qu'elle est là en tant que représentant du Gouvernement canadien. C'est ce que j'ai introduit hier avant le début de l'audience ; peut-être la Chambre pourrait lui donner la parole...
M. BÂ :
Monsieur le Président, je demande la parole...
M. KOUAMBO :
Pour...
M. BÂ :
... je demande la parole.
M. KOUAMBO :
... et hier, j'ai fait clairement savoir à la Chambre qu'elle...
M. BÂ :
Je voulais aborder cette question hier, mais je me suis abstenu de le faire parce que la Défense, qui est représentée à Arusha... à Ottawa n'avait formulé aucune réserve.
Les personnes qui sont... Parmi les personnes qui sont présentes dans la salle, il y a, bien sûr, Maître Hervé Yarosky, qui est le Conseil du général Dallaire, qui a été présent partout où le général a été entendu.
Dans le document que je vous ai communiqué vendredi, vous remarquerez que, même dans le cabinet du juge d'instruction belge, où l'instruction est secrète, le général Dallaire, qui y a été entendu comme témoin, était assisté de son Conseil ; et c'est également permis par le droit canadien.
M. LE PRÉSIDENT :
Il n'y a pas de problème en ce qui concerne le Conseil du général Dallaire. C'est... Le problème est avec Maître Black.
M. BÂ :
Je vais en venir à cela.
Les autres personnes qui sont présentes dans la salle, c'est d'abord le major Marla Dow et l'officier d'état-major Francine Allard. Il y a également — probablement, je ne suis pas à Ottawa — Madame Annia Suleiman.
La raison d'être de leur présence dans la salle est bien simple : Il y a, si vous remarquez, la lettre portant levée de l'immunité juridictionnelle du général Dallaire, dont vous avez été ampliateur, Monsieur le Président.
Au dernier paragraphe de cette lettre... Dans le dernier paragraphe de cette lettre, il est dit que l'exemption qui est accordée pour que le général Dallaire puisse témoigner devant le TPIR se limite
à sa présence, mais pas... ne s'étend pas à l'utilisation de décrets... de documents confidentiels
des Nations Unies dont l'utilisation requiert une autorisation spéciale.
Vous savez également que le général Dallaire, lorsqu'il était en détachement et lorsqu'il servait pour le bénéfice des Nations Unies, en 1993 et en 1994, était simplement en détachement. Il continuait
à être un officier de l'armée canadienne. Les Nations Unies sont dépositaires de certains documents, donc l'utilisation peut... le problème de l'utilisation peut se poser devant cette Chambre. Le Gouvernement canadien, également, est dépositaire de certains documents. Et ce sont Marla Dow
et Francine Allard qui sont chargées d'entrer en contact avec le DPKO et avec le... ou avec le Gouvernement canadien pour obtenir cette autorisation spéciale.
La question s'était posée lorsque le général Dallaire est venu témoigner en janvier 2004 devant la Chambre de première instance I, et le... la Chambre avait rendu une ordonnance, un oral ruling,
le 19 janvier 2004, en admettant que... que le général Kenneth Watkin soit présent dans la salle, de même que le Conseil Yarosky.
C'est dire, donc, qu'il y a un précédent. Et dans l'affaire Militaires I, à la fin de l'audience, aussi bien
la Chambre que la Défense avaient eu à se féliciter de la collaboration de ces personnes qui, avaient facilité l'obtention d'une permission pour l'utilisation d'un certain nombre de documents qui sont placés sous la garde soit du Gouvernement canadien soit des... des Nations Unies.
Je crois donc, Monsieur le Président, que ce sont là les personnes qui sont présentes dans la salle, en sus du représentant de la Défense et du représentant du Procureur, en l'occurrence Abubacarr Tambadou. S'il y a une autre personne... une autre personne présente dans la salle que j'ai pas nommée, je demanderais au représentant du Greffe de bien vouloir me le faire savoir.
Je vous remercie.
Me BLACK :
Très bien. Nous faisons objection vivement à toute présence d'un représentant du Gouvernement canadien dans la salle. Il y a trois officiers de... de l'armée canadienne qui sont là en train de regarder le général Dallaire déposer.
Il n'est... Cette salle... Il n'est plus un officier d'active et il n'est dans cette salle que pour que la liaison vidéo se fasse ; lorsqu'il travaillait, à ce moment, il y travaillait pour les Nations Unies et non pas pour l'armée canadienne, à moins que l'armée canadienne admette qu'elle était impliquée dans la guerre, et je ne pense pas que c'était le cas.
Il n'est de notoriété publique que… le général Dallaire a signé un accord secret avec le Gouvernement canadien lorsqu'on lui a demandé d'aller déposer en Belgique, dans le cadre duquel l'armée canadienne lui a dit que, s'il n'avait pas signé ce document, il ne pouvait pas être protégé contre
une éventuelle arrestation.
Nous savons donc qu'il y a eu cet accord secret avec l'armée canadienne. Il est clair que ces officiers sont là pour s'assurer qu'il ne viole pas cet agrément et qu'il ne parle pas de choses que l'armée canadienne n'aimerait pas entendre.
La Défense demande au général Dallaire de parler clairement, sans la moindre crainte d'une quelconque intimidation, et par quelque autorité que ce soit dans le monde ; et je suis certain que
le général Dallaire l'apprécierait également.
J'aimerais et je demanderais — et mon client demande — que ces officiers sortent de la salle et qu'ils ne soient pas autorisés à entendre la déposition, à l'exception de la manière dont tout le public l'entend, plutôt que d'être assis autour de cette table avec des livres, des notes et qu'ils fassent des signes et autres signaux au général Dallaire.
Cela est tout à fait inapproprié. Cela ne devrait pas être autorisé. Le fait qu'ils soient assis ne me plaît pas et je refais objection.
Nous avons fait objection au... au représentant du général (sic) Bush qui est venu ici, et un Juge a demandé qu'il sorte. Il n'est pas approprié qu'un représentant du... des États-Unis, du Président Bush soit assis dans la salle, et il en est de même pour le Gouvernement canadien.
M. LE PRÉSIDENT :
Cela va être discuté avec le Procureur.
Me BLACK :
Il y a donc là également un major de l’armée. Mon client dira donc qu’il n’est pas uniquement jugé par ce Tribunal, mais aussi par l’armée canadienne. Nous demandons que ces officiers sortent de la salle, leur présence n’est pas nécessaire, elle intimide le général Dallaire ; il n’y a aucune raison qui explique leur présence. Et pour tout le monde, pour le public en général, cela fait très mauvaise impression.
M. BÂ :
Je voudrais ajouter simplement une chose : J’avais omis de vous dire que Madame Annia Suleiman est chargée des Tribunaux pénaux internationaux à l’état-major de l’armée canadienne et que, c’est elle qui s’occupe de toute la logistique pour faire la liaison satellite… (inaudible) entre Ottawa et Arusha. Elle est là donc pour des raisons purement utilitaires. Il faut bien que quelqu’un veille au… (inaudible) pour pouvoir parer à toute éventualité.
Pour ce qui est de la présence, je vous ai dit encore une fois, qu’il y a des précédents et que la présence de Marla Dow, également, se justifie pleinement en ce sens que, certains… l’utilisation de certains documents… le problème de l’utilisation de certains documents peut se poser ; et c’est elle qui va intercéder… en tout cas, jouer la courroie de transmission entre le Tribunal et le Gouvernement canadien pour obtenir le feu vert quant à une telle utilisation.
Je m’en rapporte pour le tout à la sagesse de la Chambre et nous nous plierons volontiers à votre décision.
Me MAC DONALD :
Enfin, Monsieur le Président, juste une observation. Nous appuyons la requête de Maître Black essentiellement. Ce qui nous préoccupe, c’est… ce sont les officiers canadiens. Si j’ai bien compris — Monsieur Bâ pourrait me corriger —, il semble que lorsque le général Dallaire a déposé dans l’affaire Akayesu, il n’y avait pas de représentant du Gouvernement canadien ; peut-être Monsieur Bâ voudra bien le confirmer. Et si ce n’était pas le cas, pourquoi en cette affaire particulière ?
Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je voudrais…
M. BÂ :
Lorsqu’il a déposé dans l’affaire Akayesu, il y avait Ken Watkin — je crois — qui était son Conseil à l’époque, ce n’était pas Maître Yarosky ; et lorsqu’il a déposé dans Militaires I, Ken Watkin était admis à être présent dans la salle par la Chambre, en tant que représentant du Gouvernement canadien. Vous pourrez voir le transcript du 19 janvier 2004, en tout début de séance, il y a eu un oral ruling de la Chambre admettant ces personnes dans la salle d’audience. Non pas dans la galerie, mais dans la salle d’audience ; c’est comme ça que ça s’est passé dans Militaire I.
Mais Monsieur le Président, pour tout dire encore, je crois que nous perdons suffisamment de temps, nous nous en rapportons à la sagesse de la Chambre.
M. LE PRÉSIDENT :
Il y a clairement un conflit d’intérêt dans tous les cas.
Me BLACK :
(Intervention non interprétée)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Deux personnes parlent en même temps, nous ne savons plus qui interpréter.
M. LE PRÉSIDENT :
Qu’il soit consigné au procès-verbal les objections que vous avez soulevées. Je vais demander au général Dallaire, étant donné les circonstances, s’il est intimidé de quelque manière que ce soit par la présence de ces personnes. Et si tel est le cas, je leur demanderai de partir ; et s’il n’a aucun problème, la Chambre n’en a aucun à ce qu’ils restent dans la salle. Mais aux fins du procès-verbal, nous prenons acte de votre protestation.
Me BLACK :
Cela n’est pas approprié, nous mettons le général Dallaire dans une position intenable. Les officiers canadiens sont là pour observer sa déposition, pour s’assurer qu’il le fait dans le sens voulu. Comment peut-il dire qu’il n’est pas intimidé ?
M. LE PRÉSIDENT :
Nous devons procéder ainsi. S’il y a pression sur le général Dallaire par le Gouvernement canadien, si… que ces officiers soient dans la salle ou non, cela ne change rien, la pression demeurera.
Me BLACK :
Le public va se demander pourquoi ils sont là.
M. LE PRÉSIDENT :
Ne parlons pas de ce qui ne s’est pas encore présenté. Si le Gouvernement canadien a décidé d’exercer des pressions sur le général Dallaire, que ces personnes soient présentes ou non, ne changera rien.
Me BLACK :
Cela a aussi trait avec la nécessité de l’équité du procès. Si le général dépose… en le voyant entouré des trois officiers canadiens, que va penser mon client ? Il y a aussi l’apparence d’un procès équitable. Et le général est flanqué d’officiers de l’armée canadienne qui, officiellement, n’ont rien à faire avec les Nations Unies. Que font-ils donc dans cette salle ? J’aimerais qu’ils s’expliquent.
M. YAROSKY :
Monsieur le Président, je ne sais pas si la Chambre m’entend. Je suis Jean Robert Sky… Yarosky,
le Conseil du général Dallaire, je voudrais juste apporter des éclaircissements par rapport à ce qui a été dit. Puis-je parler ?
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
M. YAROSKY :
Je vous remercie.
Monsieur le Président, Honorables Juges, je voudrais juste corriger quelque chose. Le commandant Francine Allard n’est pas ici comme représentante du Gouvernement canadien en vue d’observer la procédure. En fait, cela n’est pas exact. Elle est avec nous, elle travaille avec moi, j’ai besoin d’elle comme mon assistante, elle est sur ce dossier depuis que… En fait, j’ai pris le dossier du Conseil (sic) Dallaire, c’est elle qui gérait les documents, les connaissait bien. Et chaque fois qu’il y a des problèmes sur la levée de l’immunité des Nations Unies concernant les documents, c’est Francine Allard qui « prenait » les mesures nécessaires pour obtenir permission afin que ces documents soient produits. Donc, elle nous a été extrêmement utile en l’affaire Militaires I. Donc, nous voulons que la Chambre sache qu’elle n’est pas ici, en aucune manière, comme représentante du Gouvernement canadien pour observer la procédure. Elle est ici pour m’aider à observer la réglementation des Nations Unies relativement à l’exploitation des documents. J’ai estimé que je devais faire cet éclaircissement. Merci.
M. LE PRÉSIDENT :
Merci.
Me BLACK :
Cela nous perturbe même davantage. Voilà qu’il admet… Monsieur Yarosky dit que l’armée canadienne l’aide depuis des années dans le cadre des dépositions du général Dallaire, alors qu’officiellement, l’armée canadienne n’a rien à faire dans ces affaires. Un colonel de l’armée a travaillé dans le cadre de la MINUAR, la MINUAR rendait compte aux Nations Unies, pas au Gouvernement canadien ou à l’armée canadienne, tout au moins officiellement.
Et par conséquent, maintenant, il est dit que l’armée canadienne va décider quel document vous allez voir, ou que vous n’allez pas voir dans ce procès, cela n’est pas correct. Nous sommes dans un Tribunal des Nations Unies, nous devrions voir tout ; ils ne peuvent pas dire que « nous allons décider de ce que vous allez voir ». Qui est la Canada pour décider et de permettre de voir tel ou tel document et qui décide de la politique ? Quel ministre ? Pouvez-vous me dire… Pouvez-vous me dire, Monsieur Yarosky qui vous a donné qui vous a donné ces instructions ?
Mme ALLARD :
Monsieur le Président, je voudrais parler au nom du Gouvernement canadien.
Me BLACK :
Elle ne parle qu’au nom de l’armée canadienne, elle n’est pas membre du Gouvernement, elle appartient à l’armée, elle ne peut pas parler au nom du Gouvernement canadien.
M. LE PRÉSIDENT :
J’en ai entendu suffisamment sur cette question.
M. BÂ :
Vous envisagiez, lorsque Maître Black vous a interrompu, de poser une question au général Dallaire : La question de savoir s’il se sentait intimider ou s’il subissait une quelconque pression de la part du Gouvernement… ou de l’armée canadienne. Je crois qu’il serait approprié de lui poser une telle question.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président… Monsieur le Président, j’ai demandé la parole…
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, poursuivez.
Me SEGATWA :
Merci, Monsieur le Président.
Je pense qu’en ce qui concerne le témoignage de Dallaire, le Tribunal devrait se prononcer sur trois choses : La première, c’est la qualité du témoin Dallaire…
M. BÂ :
Objection, Monsieur le Président. Nous sommes (inaudible) de l’objet qui avait fait soulever cette objection. Qu’est-ce que la qualité du témoin Dallaire vient faire ici ?
Me SEGATWA :
Monsieur Bâ, Monsieur le Procureur, si vous pouviez avoir un peu de patience, je crois que je reviens à la question. Je pense… de toute façon, il y a un problème qui se pose en ce qui concerne Dallaire. Est-ce un témoin ordinaire ou un témoin extraordinaire ? Je pense que le Tribunal devrait se prononcer sur cela, parce qu’en fait, c’est ça qui a soulevé toutes les questions. Si c’est un témoin ordinaire, pourquoi ne devrait-il pas déposer comme tous les autres témoins ? A-t-il besoin d’un Conseil et d’un conseil du Conseil ?
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien, Maître, je pense que la Chambre a déjà donné suffisamment de décisions sur les raisons pour lesquelles il doit déposer comme il le fait ; nous ne voulons plus perdre davantage de temps sur cet aspect.
Général Dallaire, je voulais vous poser une question : Êtes-vous intimidé de quelque manière que ce soit par les personnes qui sont présentes dans la salle ?
M. DALLAIRE :
Honorables Juges, je suis un peu surpris par certaines réflexions nouvelles qui sont émises par la Défense ce matin. Il faut se rappeler que j’étais officier qui avait été détaché aux Nations Unies,
et à aucun moment, je n’ai abandonné ma condition d’officier de l’armée canadienne. Et jusqu’à ce jour, je suis reconnu comme lieutenant-général en retraite.
S’agissant, donc, de ma capacité à satisfaire aux conditions de la Chambre, il est essentiel que je sois appuyé en vue de m’acquitter de cette tâche. Et ce faisant, le Gouvernement canadien a fait preuve d’une énorme générosité en me fournissant, non seulement un Conseil, mais également beaucoup de ressources pour que je puisse être disponible de la manière voulue devant, non seulement votre Tribunal, mais aussi en l’affaire précédente Militaires I. À aucun moment, il n’y a eu la moindre indication d’un préjudice à ma personne. Je suis entièrement libre pour accomplir ma mission qui, finalement, est de terminer ma mission en tant que représentant des forces en donnant mon témoignage à votre Tribunal.
M. LE PRÉSIDENT :
Ayant entendu « toutes » ces observations et arguments de part et d’autre, j’autorise les officiers à demeurer dans la salle et à suivre la procédure.
Vous pouvez poursuivre, Monsieur le Procureur.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président… S’il vous plaît, Monsieur le Président, j’avais dit que j’avais trois questions. Et à peine j’ai fait la première que vous m’avez coupé la parole. Je suis d’accord avec vous que Dallaire a droit à être… à des réponses soufflées, il n’y a pas de problème à cela.
Mais la deuxième question maintenant. Est-ce qu’il y a des documents qui ne pourront pas être produits devant cette Chambre ? Parce que les Nations Unies ou le Gouvernement canadien pourraient s’opposer à ce que ces documents soient produits. Est-ce qu’il y a une institution internationale quelconque qui peut s’opposer à la manifestation de la vérité que nous sommes en train de chercher ? C’est la deuxième question, parce que c’est essentiel que nous sachions que devant ce Tribunal, les documents, soit en possession du Procureur, soit en possession de la Défense, qui sont de nature à manifester la vérité soient produits, sous votre contrôle bien sûr, et non sous le contrôle des Nations Unies ou du Gouvernement canadien.
Le troisième question, Monsieur le Président, nous nous demandons : Pourquoi est-ce que ces précisions qui viennent d’être données aujourd’hui le « soient » une journée après les dépositions du général Dallaire ? Pourrons-nous savoir en définitive quelles seront les réponses qui ont été soufflées jusqu’à ce jour ? Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Pour votre… la troisième question, la réponse est claire. Vous n’avez pas posé la question hier, c’est pour cela que nous y répondons aujourd’hui.
Deuxième question : Je ne traite pas des questions hypothétiques. Lorsque la question se posera quant à la soumission de documents, s’il y a objection, alors, nous en parlerons. Pour le moment, il n’y a pas lieu de faire des objections. Tout ce que nous faisons, c’est que nous perdons du temps sur la question.
Oui, Monsieur Bâ, vous avez la parole.
Me BLACK :
Il faudrait que l’on mette fin à cela.
M. LE PRÉSIDENT :
Nous avons passé déjà une demi-heure sur ce point.
Me BLACK :
Je parle au nom de mon client. Je suis… Je dis maintenant que nous sommes un tribunal canadien, militaire, les deux à la fois. Je soulève une objection sur cela. Voilà, c’est ce que j’avais à dire. Sur la base de mon expérience, je ne me sens pas à l’aise lorsque des officiers de l’armée canadienne m’observent lors de mon contre-interrogatoire.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître, même s’ils sont dehors, ils peuvent toujours vous regarder et vous suivre.
Me BLACK :
Oui, mais ils sont là, mais… même lorsque tous ces commandants étaient dehors, c’était très intimidant pour les Conseils de la défense.
M. LE PRÉSIDENT :
Cela a-t-il quelque chose à voir avec votre contre-interrogatoire ?
Me BLACK :
Oui.
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, vous avez la parole.
M. BÂ :
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, il reste entendu que la présence du Conseil et des autres sera une présence « taisante » ; et que le général Dallaire n’aura le droit de discuter de sa déposition avec qui que ce soit. Ça, c'est un point entendu que l'on ne discute pas.
La Défense a son représentant présent dans la salle, et elle se chargera de vous dire, Maître Segatwa, si on lui a soufflé des réponses ou pas. Ce n'est pas pour rien que vous avez un représentant là-bas.
Cela dit, Monsieur le Président, hier, il s'était posé un problème de communication. Maître Charles Taku avait dit que les Accusés n'avaient pas reçu communication des documents que nous entendions utiliser. J'ai reçu un proof of service qui montre que ces documents ont été déposés à UNDF le 17 — le 17 de ce mois. Et je demanderais au représentant du Greffe de le remettre à la Chambre pour que ce document soit versé au débat.
(Le document est remis au greffier d’audience)
Cela dit, cela ne nous a pas empêchés également ce matin… Ce matin, nous avons servi une seconde communication aux détenus, et ils l’ont reçue. Le représentant du Greffe pourra vous le dire. Mais ça, c'est pour montrer que le 17 déjà, ils avaient reçu ce document.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président, objection.
M. LE PRÉSIDENT :
Veuillez placer cela au procès-verbal.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président, effectivement, nous avons reçu ces documents ce matin, ça fait à peu près 200 pages. Et techniquement et raisonnablement parlant, il est difficile de mettre sur e-mail 200 pages et pouvoir les tirer. Je mets au défi le Procureur, je mets au défi également le Greffier, et il n’a qu’à faire la même chose avec les dossiers que nous lui avons communiqués pour voir si le Procureur pourra les tirer. Ça fait, à peu près, 200 pages de photos, et ça ne passe pas, on a fait l’expérience ce matin, les documents ne passent pas du tout. Alors, ce qui veut dire que la communication n’a pas eu lieu. Et si, comme je l’ai dit…
M. BÂ :
Mais qu'est-ce que vous racontez ? Ces documents, vous les avez reçus, une première fois,
le 16 novembre.
Me SEGATWA :
Je vous dis…
M. BÂ :
Et vous êtes venu hier ici monter… faire votre mise en scène… (fin de l’intervention inaudible)
M. LE PRÉSIDENT :
Maître, je crois…
M. BÂ :
On vous a remis aujourd'hui électroniquement et en hard copy ; vous les avez reçus aussi
en hard copy, et vous avez émargé.
Me SEGATWA :
Ça, je l’ai reçu ce matin.
M. BÂ :
Vous les avez reçus en hard copy et électroniquement — bon, les deux.
Me SEGATWA :
Non, uniquement ça, en papier.
M. LE PRÉSIDENT :
Ce n'est pas là la question qui nous intéresse. Je vous ai ordonné de commencer votre interrogatoire.
Me TAKU :
À quoi… À quoi cela rime-t-il ? Avant que nous ne commencions, il faudrait qu'il réponde à la question : Qu’essaie-t-il de dire à la Chambre ? C’est que le Banc de la défense est en train de mentir. Nous n’accepterons pas cela. Il faudrait qu’il produise ce document, premier point ; deuxième point : Il faudrait que nous suivions la question. Et si cela n'est pas fait, nous n’accepterons jamais que ce document qu'il essaie de verser aux débats le soit, car il essaie de donner la preuve de la réception de ce document pour établir par-devant la Chambre que nous mentions hier, lorsque nous avons dit que nous n'avons pas reçu ce document ; il faudrait que nous répondions à cela.
M. LE PRÉSIDENT :
Quelle est votre réponse à cela ?
Me MAC DONALD :
Si nous pouvons répondre, devons-nous faire venir un expert pour établir le fait que nous n’avons pas reçu ces documents ou un membre de notre équipe pour établir que ce que dit Monsieur Bâ n'est pas vrai ? Vous ne pouvez pas juste présenter un document, le verser aux débats sans répondre.
M. LE PRÉSIDENT :
Maître, vous voulez poursuivre… vous pouvez poursuivre.
Me SEGATWA :
(Intervention inaudible : Microphone fermé)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Votre micro, s’il vous plaît, Maître. Micro, s’il vous plaît.
Me SEGATWA :
On ne m'a pas permis de faire mon objection, parce que l’objection consiste à la communication
des pièces. Il faut que le Juge soit sûr et certain que les documents sur lesquels le Procureur doit se baser ont été communiqués en temps utile à la Défense.
Je pense quand même que c'est une objection qui est de taille et que l'on ne peut pas balayer d'un revers de la main.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
Me SEGATWA :
Et si réellement le Juge est… (fin de l’intervention inaudible)
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, vous pouvez… Maître Segatwa, vous n'avez pas besoin de 10 minutes pour le dire ;
vous pouvez juste dire que cela ne nous a pas été communiqué.
Quelle est votre réponse, Monsieur Bâ ? Cela a-t-il été communiqué ou non ?
L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Un moment pour que l'on termine l'interprétation !
Me TAKU :
Nous perdons du temps, nous avions demandé que ces documents nous soient communiqués.
M. LE PRÉSIDENT :
Cela a été fait aujourd'hui.
Me TAKU :
Le problème est de savoir quand mon client a signé ce document. Envoyer un document au centre de prévention n'est pas nécessaire ; il peut arriver au centre de prévention, mais il n'a pas été communiqué au client. Tout cela n’est que perte de temps. Nous avons reçu le document, nous n’avons pas besoin de nous plaindre, nous pouvons passer à autre chose.
Me MAC DONALD :
Je voulais que la Chambre rende une décision, car Maître Bâ en a fait tout un problème. Quel est... [interruption]
Je voudrais savoir quelque chose. En fait, quelle est la décision en tant que telle sur ce que dit Monsieur Bâ — c’est-à-dire que nous avons reçu ce document le 16 novembre ? Moi, je dis que ce n'est pas le cas, nous les avons reçus aujourd'hui. Votre décision est importante en l’espèce, car nous pourrions soulever une objection quant au fait que l’on puisse verser aux débats un document ou un autre, si nous n'avons pas eu l'occasion d'évaluer, d'examiner ce document. Il faudrait que la Chambre rende sa décision.
M. LE PRÉSIDENT :
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de perdre du temps sur cette question ; nous avons déjà eu... rendu une décision.
Me MAC DONALD :
Quelle est la décision ? L'avons-nous reçu le 16 ou aujourd’hui ?
M. LE PRÉSIDENT :
L’avez-vous reçu le 16 ou non ?
Me MAC DONALD :
Je veux votre décision. Vous pensez, peut-être, que nous sommes des menteurs, n'est-ce pas ?
M. LE PRÉSIDENT :
C'est votre problème ; asseyez-vous.
Poursuivez, Procureur.
M. BÂ :
Je vous remercie, Monsieur le Président..
INTERROGATOIRE PRINCIPAL (suite)
PAR M. BÂ :
Q. Général Dallaire, hier, lorsqu’on s’est quittés, on en était à la réunion que vous étiez en train de tenir à trois : Le général Ndindiliyimana, le colonel Bagosora et vous-même, dans le bureau du colonel Bagosora, au Ministère de la défense.
Je ne vais pas m’éterniser sur ce point. J'ai encore une ou deux questions à vous poser sur ce sujet et nous allons passer à autre chose. Et ma question est la suivante :
Pourquoi, en cet après-midi du 7 avril, vous avez estimé nécessaire… vous avez trouvé nécessaire de passer un temps si long — deux heures et demie à trois heures — avec le colonel Bagosora et le général Ndindiliyimana ? Était-ce une simple visite de courtoisie ou était-ce parce que vous considériez ces deux personnalités comme étant des personnalités importantes ?
Me BLACK :
Objection, objection. Il ne peut suggérer pourquoi le général Dallaire a rencontré ces deux hommes. La question serait : Pourquoi avez-vous rencontré ces deux hommes ? Il ne faudrait pas qu'il lui donne des réponses possibles parmi lesquelles le général Dallaire choisirait la réponse ; vous ne pouvez rien lui suggérer ; posez-lui une question simple, et à lui de répondre.
M. BÂ :
Je reformule ma question et elle sera très simple :
Q. Général, pourquoi, en cet après-midi du 7 avril, avez-vous estimé nécessaire de passer l'après-midi dans le bureau du colonel Bagosora en compagnie de ce dernier et du général Ndindiliyimana ?
M. DALLAIRE :
R. La conclusion que j'avais tirée, à l'époque, était, un, que le contrôle militaire de la situation était toujours effectif — et c'est ce qu'avait dit le colonel Bagosora la veille. Il avait présidé cette réunion le matin avec tous les commandants militaires.
Secondo : Le général Ndindiliyimana avait été élu chef ou responsable du comité de crise, et il était donc responsable de servir d'interface, l'interface qu'il me fallait pour comprendre pourquoi ce que la... ou ce que la structure militaire était en train de faire ou prévoyait de faire ; et si je pouvais avoir une influence sur cela. La réunion militaire que l’on avait tentée le matin avec l'ambassadeur militaire, le FSRG, à la résidence de l'ambassadeur militaire, en présence de tous les autres ambassadeurs n'avait pu se tenir. Ainsi donc, il n'y avait pas d’autre processus militaire. Et avec la mort de Madame Agathe, toutes les autres autorités, également, qui auraient pu être impliquées avaient disparues. Le seul endroit où je pouvais être, c’était soit à mon siège social et… que je puisse assurer le suivi de ce qui… de ce qui se passait, d'aider cela, pour essayer de sauver les Accords d'Arusha et d'éviter que la situation ne dégénère plus qu’elle ne l'avait déjà fait.
Q. Général, je vous demanderais d'avoir un débit un peu plus lent. Hier, on m’a signalé que la qualité
du son n'était pas des meilleures et que les interprètes avaient parfois du mal à suivre. Vous voudrez bien donc avoir un débit un peu plus lent.
Comment le colonel Bagosora et le général Ndindiliyimana vous sont-ils apparus en cet après-midi du 7 avril ? Paraissaient-ils préoccupés par la… l’état de la situation ?
Me BLACK :
Une fois de plus, c'est une question orientée, il ne peut y répondre. Le Procureur a déjà suggéré une réponse. Vous pouvez simplement lui demander : Donnez… Qu’avez-vous observé sur ces personnes au sein de leur comportement et autre, au lieu de suggérer.
M. BÂ :
Q. Comment vous sont-ils apparus, Général ?
R. Eh bien, comme je l'ai indiqué hier, j'étais en présence des deux personnes les… au rang le plus élevé qui avaient un semblant d'autorité ou de contrôle de la situation, et ils disaient même qu'ils tentaient de contrôler la situation. Et il semblait que la situation était normale, que la situation continuait d'être sous leur contrôle, parce que je n'ai rien vu de ce que j'aurais perçu comme une menace, un sens d'urgence ou encore des actions du suivi étroit de ce qui se passait. Pas d'allées et venues du…des personnels ou de représentants porteurs d'instruction pour agir ; il semblait que nous étions dans un après-midi de travail normal avec le colonel Bagosora qui dispatchait des documents, parlait au téléphone, avec une visite d'un officier, entretien qui a eu lieu à huis clos — je n'étais pas présent. Et le colonel… le général Ndindiliyimana qui était assis, qui regardait ou observait et qui était très calme devant cette situation.
Q. Merci, Général. Ma dernière question sur ce sujet : En cet après-midi-là, où était le Ministre de la défense ? Parce que nous savons que le colonel Bagosora était le directeur de cabinet du Ministère de la défense. Où était le Ministre de la défense ?
R. Les informations à ma disposition, à l'époque, étaient qu'il était en voyage au Cameroun, dans le cadre d'une mission du comité olympique africain. Je pense qu'il était membre ou représentait le Gouvernement rwandais ; donc, il n'est arrivé que deux jours plus tard.
Q. Merci. Et le chef d'état-major de l’armée rwandaise, le général Déogratias Nsabimana, savez-vous où il était ? S'il était...
R. Il était dans l'avion.
Q. Je le savais, Général ; je voulais vous l'entendre dire, c'est vous le témoin.
Général, en cet après-midi-là, quand est-ce que vous apprendrez, de manière définitive, la mort de vos 10 Casques bleus belges ?
R. En fait, cet après-midi, on m’a simplement dit...
Me BLACK :
Je fais objection. Demandez-lui où il était au moment de la mort des Casques bleus. On a parlé de 13, 11 ou 12, nous y reviendrons. Donc, il faudrait plutôt avoir d'abord les prémisses de la question. Demandez-lui : Où était-il lorsque les Belges ont été tués, plutôt que de parler du nombre de Belges tués.
M. BÂ :
Je ne formulerai pas la question de la manière dont vous le souhaitez. C’est à moi de mener comme je l'entends mon interrogatoire. Il a déjà dit hier… Il a déjà évoqué leur mort hier, je lui demande... Il a également évoqué leur présence au camp Kigali hier ; je lui demande : En cet après-midi du 7 avril, quand est-ce qu'il apprendra de manière certaine et définitive la mort de ses 10 Casques bleus ?
Q. Général, pouvez-vous répondre ?
Me BLACK :
Une fois de plus, c’est une fausse prémisse, mon objection demeure.
M. LE PRÉSIDENT :
Eh bien, il y a quelle différence entre 10 et 13 personnes ? Vous pourrez poser cette question par la suite.
Me BLACK :
Non, mais sa question a de mauvaises prémisses. Il y a cette différence entre 10 et 13 officiers.
M. BÂ :
Je retire le chiffre 10.
Me MAC DONALD :
Le Général Dallaire n'a jamais donné un chiffre précis. Il est dit entre 11 et 15.
M. BÂ :
Je retire « le chiffre 10 », si c'est cela qui vous embête.
Q. Quand est-ce qu’en cet après-midi-là, vous apprendrez, de manière certaine et définitive, la mort de vos soldats belges ?
R. À plusieurs occasions, pendant l'après-midi, j'ai demandé des informations sur la situation des éléments qui étaient partis et avaient disparu, y compris celles qui se… ceux qui se trouvaient au camp Kigali. Vous vous rappelez que j'avais d'autres éléments qui étaient en service, notamment auprès des forces du FPR… des FAR.
S'agissant des éléments au camp Kigali, on m'a dit qu'ils travaillaient… négociaient avec ceux qui se trouvaient au camp pour ramener le calme dans le camp — il y avait le chaos dans le camp, il y avait les officiers qui essayaient d'arrêter l’émeute, et jusque là, ils n'avaient pas réussi — et que je n'avais pas besoin d'intervenir, qu'ils étaient en train de résoudre le problème.
Lorsque j'ai finalement appris la situation de mes éléments, c’était vers 22 heures, après la réunion que nous avons eue avec le comité. Et à ce moment, j'ai dû insister et refuser de terminer la réunion tant que je n'avais pas une réponse définitive sur ce qu’il était advenu à ces soldats et à d’autres aussi. C’est à ce moment-là, précis, qu’on m'a dit qu'ils étaient à l'hôpital de Kigali.
Q. Êtes-vous allé vous rendre compte par vous-même de leur état à l'hôpital de Kigali ?
R. Lorsque le général Ndindiliyimana a obtenu l'information, à savoir que ces soldats étaient à l'hôpital, j'ai donc dit : « Allons tous à l'hôpital voir quelle est leur situation. » Nous sommes donc sortis de l'état-major de l'armée, en contrebas de la route. Et par la porte principale… Et on nous a ensuite indiqué de nous rendre à la morgue. Et à mesure que nous approchions la morgue, nous pouvions voir à l'extérieur de la morgue, entassés d'une manière complètement désordonnée, des corps de soldats, à moitié nus pour la plupart, tous mis en tas ensemble. Et c'est là que j'ai finalement trouvé… constaté, découvert que les soldats belges avaient été tués.
Q. Vous l'avez constaté de visu ?
R. Oui, j'étais là, personnellement, avec le chef d'état-major de la Gendarmerie, et la nouvelle arrivée du chef d'état-major de l'armée par intérim et d'autres officiers. J'ai donc ordonné que nous comptions les corps. Le chiffre parvenu était 11. Ensuite, j'ai ordonné que ce traitement dégouttant de ces corps cesse et qu'ils soient préparés, afin que le contingent belge puisse les récupérer. Le général Ndindiliyimana et tous les officiers que j'ai vus sur place étaient très choqués et surpris de la scène que nous... dont nous étions témoins.
Q. Et après cela, avez-vous regagné votre quartier général ?
R. Ayant donc terminé notre réunion de coordination avec le comité de crise, je suis retourné à mon état-major, le général Ndindiliyimana m'a offert son escorte personnelle. Il faisait nuit ; il y avait des tirs de part et d'autre. Il a exprimé des préoccupations au sujet de ma sécurité. Je suis donc passé par un autre itinéraire, puisqu'il y avait des tirs dans la zone habituelle.
Et à mesure que nous approchions mon état-major, à l'intersection près du camp Kanombe et l'aéroport, mon véhicule a été victime d'une embuscade. Et dans l'obscurité, je pouvais distinguer des paracommandos… des éléments de bataillons de paracommandos ; nous avons eu des blessés. L’escorte que le général Ndindiliyimana m’avait offerte a refusé de quitter mon état-major une fois y arrivée, pour leur sécurité, et ils sont restés jusqu'à la matinée suivante.
Q. Oui. Général, avant de vous rendre à l'hôpital, au CHK, vous étiez donc en réunion au comité de crise, nous avez-vous dit. Est-ce que vous avez évoqué, au cours de cette réunion, l'éventuel retrait du contingent belge ?
R. Comme je l'ai indiqué hier, la première fois que quelqu'un a parlé du retrait possible du contingent belge, c'était dans l'après-midi, et c'est le colonel Bagosora qui l'a dit. Ce soir-là, le sujet a été soulevé par rapport à la population qui a été informée par la RTLM… la radio RTLM que… qu'on accusait le contingent belge d'avoir abattu l'avion présidentiel ; et on s'attendait que les Belges soient victimes des tentatives de... par rapport à la sécurisation de la situation et qu'ils devaient donc être obligés de partir.
Q. Qui a formulé cette possibilité ou cette exhortation à voir les Belges partir ?
R. Je suis désolé, 12 ans plus tard, je ne me rappelle pas avec précision quand et comment, pendant la réunion, la situation a été soulevée. La réunion était présidée par le général Ndindiliyimana, mais je suis désolé, je ne puis vous donner une réponse précise à ce sujet.
Q. Merci, Général, je ne vous en tiendrai pas rigueur. Général, le 7 avril 1994, est-il arrivé un moment où les troupes du FPR sont sorties du CND, de leur cantonnement ?
R. Oui, après la discussion infructueuse que j'ai organisée entre le FPR, au CND, et le général Ndindiliyimana et le colonel Bagosora, vers 16 h 20, j'ai obtenu des informations de mes observateurs au CND, à savoir que le bataillon du FPR sortait et qu'il avait écarté mes éléments et mené — ce que j'appellerais — un déploiement en position défensive pour améliorer leur sécurité, tel que cela était décrit, mais en fait, pour prendre certaines positions sur le terrain. Et plus tard, j'ai reçu des informations de mon personnel à Mulindi, à savoir que le général Kagame et son état-major étaient partis de Mulindi vers ce que mon personnel a estimé comme étant une position lui permettant de mieux contrôler les opérations des forces du FPR dans le nord.
Q. Si je comprends bien, vous aviez des observateurs à Mulindi. Est-ce que vos observateurs vous ont dit quand est-ce qu'ils ont observé les mouvements significatifs des troupes du FPR à Mulindi, en sortant de la zone démilitarisée ?
R. Non, le rapport que j'ai reçu, au mieux de mes souvenirs, disait ce qui suit : Il y avait des mouvements des forces du FPR, y compris du quartier général ou du siège, mais je n'avais reçu aucune information précise sur le fait qu’ils allaient au DMZ. Il faudrait que nous nous souvenions du fait que je n'avais pas une très grande force d’observation à ce stade, mais la zone centrale où j'avais dépêché mes forces à Byumba, à ce niveau-là, j'avais reçu rapport disant qu'il n'y avait pas beaucoup de choses qui s’y passaient ce jour-là ou dans la soirée du 7.
Q. Merci, Général. Et nous allons passer à la journée du 8 avril. Dans la matinée du 8 avril, êtes-vous sorti de votre quartier général ? Et si oui…
R. Oui, tôt dans la matinée... [interruption du général]
Q. Oui, je disais, je complétais seulement ma question.
R. (Intervention non interprétée)
Q. O.K. Allez-y, Général.
R. Après avoir donné mes instructions à mes troupes, j'ai quitté mon quartier général pour, encore une fois, rétablir la communication avec les dirigeants de l'époque, c’est-à-dire soit le général Ndindiliyimana et/ou le colonel Bagosora, en sachant que les lignes téléphoniques ne fonctionnaient plus. Et il était donc essentiel d'avoir des contacts. J'avais deux bons niveaux de communication avec le FPR, mais nous avions des problèmes de communication du côté gouvernemental. Je suis donc allé au Ministère de la défense, afin d’être en contact avec le colonel Bagosora. Je les ai trouvés… je pense qu'il était… aux alentours de 9 heures. Et lorsque je suis allé dans son bureau, il n'était pas dans son bureau, mais l'on m'a dit qu'il était dans la salle de conférence du Ministère de la défense à quelques encablures. Je suis allé dans la salle de conférence. Le colonel Bagosora y présidait
une réunion de jeunes gens ou bien d’hommes en civil.
Q. Avez-vous su, à cet instant-là ou plus tard, quel genre de réunion était-ce ? Est-ce que vous avez parlé au colonel Bagosora ?
R. Oui, encore une fois, il était surpris par mon arrivée soudaine. Il s'est levé de sa chaise, et il est venu vers moi avant même que je ne sois entré de plain-pied dans la salle. Il m'a alors dit qu'il présidait une réunion de membres des structures politiques et qu'ils essayaient de mettre en place, dès que possible — comme il me l'avait dit dans la nuit du 6 — et donc, les personnes autour de la table étaient des hommes politiques appartenant aux divers partis politiques.
Q. Et ils essayaient de mettre en place quoi ?
R. En fait, l'on n'a pas parlé très longtemps, il s'agissait de mettre…
L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Nous avons un problème sur la ligne.
R. La structure politique devait assurer la transition entre le bord militaire vers le niveau gouvernemental.
M. BÂ :
Q. Vous a-t-il dit, le colonel Bagosora, quand et où a-t-il été mandaté pour mettre sur place… mettre sur pied cette structure politique ?
R. Non, non, il ne m'a pas donné ce genre de détails lors de notre discussion.
(Maître Black se lève)
M. BÂ :
Vous vous affolez pour rien, vous avez peur de la réponse. Vous êtes rassuré maintenant ?
Général, je poursuis… Général, je poursuis, ne vous interrompez pas, Général, je poursuis.
Q. Est-ce que…
Me BLACK :
J'ai une objection. J’ai une objection.
M. LE PRÉSIDENT :
Une seconde, Monsieur Bâ.
Quelle est votre objection ?
Me BLACK :
Il oriente le témoin et il suggère l’objet de la réunion. Il suggère que Bagosora avait l'intention de mettre en place un organe. Il a déjà posé la question : « Quel était l'objet de la réunion ? » Et réponse : « Bagosora était là, il présidait une réunion des partis politiques pour ceci ou cela. » Il suggère que Bagosora faisait ceci ou cela.
M. LE PRÉSIDENT :
Telle n'était pas la question. Il a demandé si Bagosora lui avait dit comment il avait eu ce pouvoir.
Me BLACK :
Exactement, nous ne savions pas que Bagosora disposait de ce pouvoir. Ce sont, peut-être, les partis politiques qui ont demandé à Bagosora de présider la question (sic). Il ne faudrait pas qu’il oriente le témoin, qu’il suggère des réponses.
M. LE PRÉSIDENT :
Veuillez reformuler votre question.
M. BÂ :
Q. Général, moi, j'en avais fini avec cette question, mais je vais y revenir.
Est-ce que le colonel Bagosora vous a dit, lorsqu'il vous a reçu, ce qu'il était en train de faire au juste ? Est-ce que vous pouvez nous répéter votre réponse, parce que j'ai l'impression qu'elle n'est pas claire pour tout le monde.
R. Au mieux de mes souvenirs…
Me BLACK :
Je suis désolé, Général Dallaire, de vous interrompre. J’ai une objection. Nous sommes maintenant dans le cadre du contre-interrogatoire. Il était très clair : Il est entré dans la salle de réunion, il a vu Bagosora. Voilà, c’est ce qu’il nous faut savoir. Vous n'avez pas besoin de plus de détails.
M. BÂ :
C'est pas correct, ce que vous faites ; c'est pas correct, laissez le témoin s'exprimer.
Me BLACK :
Il a déjà répondu à la question, il voudrait plus de détails quant à l’objet de la réunion, dans ce cas-là, soit...
M. BÂ :
Je vous ai dit que, moi, j'en avais presque terminé. C’est le Président qui m’a demandé de reformuler la question. J'en déduis donc que la réponse n'était pas claire pour tout le monde et je demande au témoin de répéter sa réponse, c'est tout.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, oui, Général, que répondez-vous à cette question ?
R. Monsieur le Président, Honorables Juges, ma réponse est la suivante : Autant que je m'en souvienne, lorsqu'il s'est avancé vers moi en hâte à la porte, il m'a dit qu'il présidait une réunion qui devait permettre de mettre en place une structure politique, qui avait été promise et indiquée dès l'entame dans la soirée du 6 avril.
M. BÂ :
Q. Général, est-ce que vous savez si cette structure politique a finalement été mise en place… et quand ?
R. Dans l'après-midi du 6… du 8, j'ai tenu une autre réunion avec le comité de crise, et c'est à cette date que l'on m'a informé pour me dire qu'un certain nombre de personnes avaient été commises à des postes ministériels et qu'un Président avait été choisi, un Premier ministre. Et je dois avouer que je ne me souviens pas des noms et de la procédure, mais l'on m'avait dit… que quelqu'un de l'Assemblée nationale ou de la sorte... (fin de l’intervention inaudible)
(Problèmes techniques)
M. LE PRÉSIDENT :
Je pense que nous avons eu un problème technique, il faudrait peut-être résoudre cela.
Général, nous avons quelques problèmes techniques et nous vous aviserons au moment où ce problème sera résolu.
M. BÂ :
Est-ce que la situation n'est pas revenue à la normale, Monsieur le Président ?
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, il semblerait, apparemment.
R. M'entendez-vous à présent ?
M. BÂ :
Oui, puisque votre réponse... je craque là un peu...
(Problèmes techniques)
Monsieur le Président, j'espère que tout ce temps-là ne me sera pas imputé, plus le temps des objections, bien sûr.
Me MAC DONALD :
Nous ne faisons rien. Nous pouvons peut-être considérer que Monsieur Bâ a eu une journée entière d'interrogatoire, nous avons commencé à 13 heures pour terminer à 20 heures, n'est-ce pas ?
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, vous êtes très bon, vous avez la bosse des mathématiques.
M. BÂ :
Si la communication… Il n’y a pas de communication ?
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, je pense que nous devions être en mesure maintenant de poursuivre.
Général, nous entendez-vous à présent ?
R. Nous vous voyons. Je vous entends très bien.
M. LE PRÉSIDENT :
Nous pouvons vous voir à présent.
Oui, Monsieur Bâ.
R. Si je puis...
M. BÂ :
Oui, Général.
R. Si je peux poursuivre. En fin d'après-midi, ils peaufinaient les détails quant à la mise en place
d’un Gouvernement intérimaire qui devait prêter serment soit dans la soirée, soit dans la matinée très tôt le matin suivant.
M. BÂ :
Q. Et de qui teniez-vous cette information ?
R. C'était pendant la réunion du comité de crise de cet après-midi, je ne me rappelle pas précisément qui a fourni cette information, mais le général Ndindiliyimana assurait la présidence de cette réunion.
Q. Général, le Gouvernement qui a fini par être formé, a-t-il prêté serment devant le Président de la Cour constitutionnelle ?
R. Je n'ai absolument aucune information particulière sur cet aspect, je n'ai pas été invité à l'événement. Et en fait, ce que j'ai appris ensuite, le lendemain, lorsque je suis allé à nouveau à cette réunion du comité de crise sur… cette réunion a été déplacée à l'Hôtel des Diplomates et lorsque j'y suis arrivé, j'ai été informé que le Gouvernement qui avait été installé déménageait pour Gitarama.
(Maître Taku se lève)
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Taku, vous voulez dire quelque chose ?
Me TAKU :
Je voulais juste dire que la question était très suggestive, dire que… « A-t-il prêté serment devant la Cour constitutionnelle ? » C’est pour cela que j’ai fait cette observation, bon, il a déjà répondu.
M. LE PRÉSIDENT :
Il y a des questions suggestives qui sont tout à fait sans le moindre danger.
M. BÂ :
En quoi est-ce qu'elle est suggestive ?
M. LE PRÉSIDENT :
Poursuivez, Maître… Monsieur le Procureur. Continuez, Monsieur Bâ.
M. BÂ :
Q. Général, de Jure, est-ce que ce Gouvernement a été reconnu par la communauté internationale, par les Nations Unies ?
R. Non.
Me BLACK :
Je voudrais faire objection, ce n'est pas une question à laquelle il peut répondre, il n'est pas un expert juridique. En fait, nous avons un document des Militaires I où il a été dit que ce Gouvernement a été reconnu comme étant légal. Le général Dallaire ne peut pas donner une opinion puisqu'il n'est pas expert juridique, il faut plutôt faire appeler un expert juridique qui pourra… si vous avez besoin d'une réponse juridique. Il n'est pas un expert en droit, il ne peut répondre.
M. LE PRÉSIDENT :
Posez la question différemment.
Ce Gouvernement a-t-il été reconnu par quiconque ? Vous pouvez poser une question de ce genre.
Me BLACK :
Là, c’est différent.
M. BÂ :
Monsieur le Président, je maintiens la formulation de ma question, je ne vois pas en quoi est-ce qu’elle peut déranger quoi que ce soit.
Q. Général, de Jure, vous étiez au Rwanda pour le compte des Nations Unies ; est-ce que ce Gouvernement a été reconnu par les Nations Unies ?
R. Nous avons eu des communications avec le siège des Nations Unies sur la question du Gouvernement pendant la matinée et l'après-midi, et Monsieur Booh-Booh avait convenu que le Gouvernement qui avait été mis en place ne devait pas être reconnu comme Gouvernement du Rwanda. Et à ce titre, Monsieur Booh-Booh ne devait pas établir le moindre lien avec ce Gouvernement. J'ai effectivement rencontré le Président et… — j'essaie de me rappeler — je pense, c'était le 9, en présence du général Ndindiliyimana et je l'ai fait purement en vue d'établir un lien avec toute personne qui pourrait avoir une autorité ou une influence en vue de contrôler la situation, et j'étais donc là uniquement pour m'informer, obtenir des informations.
Q. Général, ça répond à ma question.
Est-ce que ce Gouvernement a été reconnu par le FPR ? Une réponse courte, s'il vous plaît.
R. Non, le FPR n'a jamais reconnu que ce Gouvernement… C'était l'une des objections principales en vue du respect du cessez-le-feu.
Q. Général, ma dernière question à ce sujet : Est-ce que les politiciens des ailes modérées — ce que vous appeliez « les modérés » — est-ce qu'ils faisaient partie de ce Gouvernement ?
Me BLACK :
Il faut qu'il définisse ce qu’est ce Gouvernement. On ne peut pas demander si Monsieur X ou Monsieur Y faisait partie du Gouvernement. Qu’est-ce qu’un modéré ?
M. BÂ :
Je ne lui ai pas donné de noms. Hier, il a dit que les partis, en septembre, s’étaient divisés entre aile modérée et faction Power. Je lui demande si… Est-ce que les politiciens des ailes modérées qu'il connaissait faisaient partie de ce Gouvernement. L’interrogatoire ne commence pas maintenant, il a débuté depuis hier.
Me BLACK :
Mais il n'a pas défini ce qu'il entendait par « modéré ».
M. BÂ :
Si vous voulez, il va le définir.
Q. Général, est-ce que vous pouvez nous définir ce que ça voulait dire « modéré » ? Puisque Maître Black y tient.
R. L'interprétation que nous utilisions finalement tout au long des longues négociations avec tout les belligérants avant le début de la guerre était une définition de ceux qui avaient une position très ferme et voulaient même adopter une ligne dure, extrémiste, par rapport à la position des Hutus sur le contrôle général du Président ; et qui n'étaient nullement désireux de mener quelques négociations ou mouvements que ce soit en vue de la réconciliation avec les autres membres de l’arène politique. Les autres membres étaient définis comme étant modérés parce qu'ils démontraient un désir de faire preuve de plus de conciliation en vue de tenter d'équilibrer la ligne hutue dure, et ceux qui étaient en plus en faveur de l'intégration hutue/tutsie. Et à ce titre, ils reflétaient une volonté générale à parvenir à une solution à l'accord de paix dans le contexte politique.
Et ensuite, il y avait le FPR qui était une entité en lui-même, étant une façon révolutionnaire militaire et politique ; et à ce titre, le FPR avait une position étant identifiée comme une position du FPR que certains pouvaient dire… définir comme étant une position des Tutsis et, qui a fini par être qualifiée comme étant la position du FPR. Sa position était différente de celle des modérés au milieu. Eux aussi étaient fortement en faveur des Accords d'Arusha et n’étaient nullement soucieux de parvenir à une solution dure par rapport à l'impasse politique.
Q. Général, j'enchaîne donc avec la question que je vous avais posée tout à l'heure.
Est-ce que ceux que vous cataloguiez que vous… qui vous apparaissaient comme étant les modérés faisaient partie de ce Gouvernement ?
R. Suite aux informations que nous avons reçues et d'autres données qui arrivaient, la présence des modérés n'était pas vue, il y en a qui avait été tué. Nous avons eu des rapports selon lesquels certains se cachaient, donc nous avons aussi entendu, le 6, 7 et 9 ce que le Premier ministre Agathe a dit, que tout à coup, tous les ministres du MRND avaient disparu en masse et qu'on ne savait où ils se trouvaient.
Et dans la matinée du 8, autour de la table, je n'ai pas reconnu l'un quelconque de ceux que j'aurais pu identifier comme faisant partie de la faction modérée, et certainement pas ceux de la faction FPR, j'en ai donc déduit que ces personnes qui étaient assises où étaient présentes faisaient partie de la ligne dure. Parce que nous n'avions aucune information concernant ceux appartenant à la faction modérée. Au contraire, suite à ce que nous obtenions du rapport de situation ou au téléphone, la veille, il y a eu beaucoup d'enlèvements et de tueries. Et fait intéressant : Le Premier ministre désigné qui n'avait pas été invité du tout à cette réunion et qui craignait pour sa vie.
Q. Merci, Général. Général, entre le 7 avril et la fin juin 1994, votre équipe a-t-elle suivi les programmes de la RTLM, les émissions qui y étaient diffusées ? Si oui, pouvez-vous nous dire grosso modo entre le 7 avril et la fin juin, quelle était la teneur ou la substance des émissions de la RTLM ?
R. Dans la période dont vous parlez, pendant cette période, les premiers jours, la RTLM était suivie, surveillée par Faustin Twagiramungu. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises — il ne travaillait pas loin de mon bureau, au quartier général — et il m'indiquait que la RTLM incitait les gens aux tueries des Tutsis, disant comment tuer, comment agir, comment pourchasser, débusquer les Tutsis.
Et ensuite, un de mes personnels a rencontré une personne qui travaillait au quartier général et qui se cachait au stade Amahoro parmi les milliers d'autres qui sollicitaient notre protection là-bas. Et il parlait un très bon anglais, un très bon français, et nous l'avons donc amené à mon quartier général… et avec sa famille ; et nous l'avons installé dans un bureau où il écoutait autant qu'il pouvait — puisqu'il était tout seul — ce que disait la RTLM, et nous tenait informés de ce qui était dit.
Q. Général, d’après ce que vous venez de nous dire, il y avait presque une apologie du crime sur les ondes de la RTLM. Je dirais même une incitation au génocide.
Me MAC DONALD :
Il n'a jamais dit cela, objection. Vous devez faire quelque chose par rapport au comportement de Monsieur Bâ. Cela est inadmissible.
M. BÂ :
Il a dit : « Comment tuer » ou « à les tuer », ce n'est pas une apologie du crime, ça ? C'est pas ce qu'il a dit ?
Me BLACK :
Des Forges a déposé il y a de cela des semaines, elle a dit que la RTLM encourageait à tuer le général Ndindiliyimana. Je pense que c'est là ce qu’elle avait dit et cela n'est pas pertinent en l'instance, en l’espèce. Mais si vous voulez revenir sur le fait que la RTLM avait incité à tuer mon client, libre à vous.
M. BÂ :
Q. Général, il y a une divergence dans la salle et il me semble que la Chambre ne prend pas de décision, pouvez-vous répéter votre réponse précédente ? Est-ce que vous avez suivi entre avril et juin les émissions sur les ondes de la RTLM — vous ou vos observateurs ? Et quelle était la teneur de ces émissions ? Vous pouvez le faire… répondre de manière ramassée, brève.
Me BLACK :
Il l'a déjà fait.
R. J'avais des agents au quartier général qui suivaient la radio RTLM pendant toute la période. Et le contenu des émissions, c'était l'incitation à tuer, à cibler précisément les Tutsis, incitation à débusquer les personnes, trouver où se trouvaient les personnes et les envoyer chercher et me faire tuer. Décrire comment et où l’on pouvait me trouver aux fins de me tuer également.
M. BÂ :
Q. Merci, Général. Cette apologie du crime, est-ce que vous en avez référé au Ministre de la défense Bizimana, ou au chef d'état-major de l'armée lorsqu'il sera appointé Augustin Bizimungu, ou au chef d’état-major de la gendarmerie Ndindiliyimana, ou au colonel Bagosora ? Est-ce que vous leur en avez parlé ?
Me BLACK :
Objection à la question, car le fondement est fondé, le général Gatsinzi, Ministre de la défense, était jusqu'au 16, 17, 18, 19 avril, et il faudrait demander donc la réaction de Gatsinzi plutôt.
M. LE PRÉSIDENT :
Il faudrait peut-être qu’il nous donne des noms : Ont-ils fait rapport à quiconque ? Si vous voulez protéger le Gouvernement de Kagame, dites-le clairement, même Bruguière a dit que c'est lui qui a été l'instigateur de l'attentat de l’avion présidentiel.
M. BÂ :
Q. Général, cette incitation au génocide sur les ondes de la RTLM…
Me TAKU :
Monsieur le Président, Honorables Juges, nous allons soulever une objection. Cette question a des implications juridiques sérieuses, c'est-à-dire dire quelles sont les incitations qui ont été faites ? Il vous revient, Monsieur le Président, Honorables Juges, de vous prononcer sur la question, mais il n'est pas avisé que le Procureur dise que c'était là l’apologie du crime, ça n'est pas là un point qui apparaît dans l'Acte d'accusation ; et cette question n’a jamais été posée à un quelconque témoin.
M. LE PRÉSIDENT :
Mais le témoin a dit qu'il y a eu incitation.
Me TAKU :
Incitation oui, mais pas à commettre le génocide. C’est là l’objet de mon objection.
Me BLACK :
Très rapidement.
S'il vous plaît, Monsieur Bâ, il faudrait être précis : le général Bizimungu n'était pas le chef d'état-major dans les deux premières semaines de la guerre. Vous pouvez peut-être demander qui, à quel moment.
M. LE PRÉSIDENT :
C'est ce que j'ai dit, sans mentionner des noms. Demandez-lui ce qui s'est passé.
M. BÂ :
On me fait un mauvais procès. D'abord, la question que je lui avais posée, c’était entre le 7 avril et la fin juin. Et ensuite, j'ai… en évoquant le nom de Bizimungu, j’ai précisé « lorsqu'il sera appointé ». C’est dire donc que je ne considère pas qu'il était là dès le 7 avril. Mais je vais reformuler la question.
Q. Général, cette apologie du crime, est-ce que vous en avez référé, est-ce que vous en avez discuté avec les autorités gouvernementales ou militaires de l'époque ? Quand je parle de l'époque, c'est la période avril à juin 1994 ?
R. À plusieurs occasions, le sujet des émissions de la RTLM a été une question posée par moi-même, par des émissaires étrangers, qu’il s’agisse des commissaires des droits humains, Bernard Kouchner, Ibiza de DPKO, toutes ces personnes-là… cette question a été soulevée, à savoir pourquoi le Gouvernement n’avait pas mis un frein ou arrêté cette radio qui incitait les populations à tuer, mutiler, violer — j’en passe — un segment bien précis de la population. Et à toutes ces reprises et occasions, que ce soit avec le Ministre de la défense, avec Ndindiliyimana, avec Bizimungu, que ce soit avec Bagosora, ça a été toujours la même chose ; et même avec le Premier ministre de l’époque, du Gouvernement intérimaire, la réponse récurrente disait qu’il s’agissait d’une radio privée et qu’ils avaient leurs droits qu’ils pouvaient exprimer. Mais que cependant, ils essaieraient d’influencer cette radio et d’arrêter les choses, mais que l’influence qu’ils semblaient avoir semblait être vaine.
Ce qui est intéressant plutôt, c’est qu’à deux reprises, j’ai été interviewé par la RTLM : La première fois à l’Hôtel des Diplomates, en avril ; l’autre à Gitarama au mois de mai, aux côtés du Gouvernement après avoir rencontré le Premier ministre et nombre de ses ministres. La RTLM était là, elle fonctionnait et elle faisait ses émissions quotidiennes, incitant les populations à tuer, violer, mutiler, et j’en passe.
Q. Merci, Général. Général, après l’assassinat des 10 Casques bleus belges, la Belgique a-t-elle maintenu son contingent au Rwanda ?
Me BLACK :
Objection, soyez précis. Il dit qu’il avait trouvé les corps de 11 Européens à la morgue, il parle de 13 également…
M. BÂ :
(Intervention inaudible)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Les interprètes sont dans l’incapacité d’interpréter cet échange.
M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)… ça va augmenter les charges ? S’il préfère « 11 », je vais les rejoindre sur le chiffre 11.
Me BLACK :
(Intervention non interprétée)
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, vous devez essayer de vous contenir un temps soit peu, ne parlez pas en même temps que les autres.
Que voulez-vous dire, Monsieur Bâ ?
M. BÂ :
Je voudrais dire que son objection n’a pas de fondement. Si je dis « 10 », c’est parce que nous avons reçu au moins une vingtaine de témoins ici qui nous ont parlé de (inaudible). Le général aussi vous a dit qu’il avait compté « 11 », mais qu’après... je ne veux pas témoigner à sa place. Mais, s’il préfère le chiffre 11, moi, je veux le rejoindre sur ce chiffre. Mais pour éviter toute discussion, je ne parle plus de chiffre.
Q. Général, après l’assassinat de vos Casques bleus belges, la Belgique a-t-elle maintenu son contingent au Rwanda ?
R. Les Belges, lorsqu’ils ont eu confirmation de ce que 10 de leurs hommes avaient été tués, ont ordonné aux forces qui étaient sous mon commandement... sous le commandement des Nations Unies « à » se retirer, « à » abandonner la mission. En outre, les forces belges qui sont arrivées incluaient des officiers, des hommes qui travaillaient dans ma mission, mais qui n’étaient plus sous mon commandement, puisque ces hommes étaient sous le commandement...
Q. Merci, Général. Ce retrait a-t-il affecté la capacité opérationnelle de vos troupes, ce retrait du contingent belge — une réponse brève, s’il vous plaît ?
R. Le retrait du contingent belge... Je suis soucieux plus que tout autre de collaborer et de donner
des réponses aussi brèves que possible, mais je dois dire que je ne puis donner une réponse définitive dans ces conditions que si je le puis.
Oui, suite à la mort de ces Belges, le Gouvernement belge a rappelé ses troupes et a mené une campagne pour convaincre tous les autres contingents et leur pays pour qu’ils retirent leurs troupes. Ils ont également mené campagne pour dire que nous allions tous être tués, que toutes les missions devaient être retirées. Mais en retirant le contingent belge, l’on retirait le cœur de ma capacité que j’avais pour mener quelque type d’actions lorsqu’il s’agissait de ce que j’avais à faire, à l’exception de la protection de quelques centaines de personnes qui recherchaient notre aide.
Q. Merci, Général. Général, entre le 7 avril et la fin juin 1994, derrière les lignes des Forces armées gouvernementales ou sur le territoire qu’elles contrôlaient, avez-vous remarqué... avez-vous constaté la présence des barrières… de barrages routiers… de barrières ?
R. Dans le cadre des opérations, telles que décrites par le Gouvernement dans les campagnes précédentes en 1990/1992, tel que cela m’a été expliqué par le Ministre de la défense, le chef d’état-major de l’armée, également de la Gendarmerie, alors, une structure d’autodéfense civile a été mise en place, armée également par le Gouvernement afin de se protéger. Et ils disaient « se protéger contre l’infiltration des forces rebelles du FPR. »
Ces barrières… Ces barrages ont été cependant mis en place sans aucun préalable technique ou pratique. Ils ont été érigés à intervalles réguliers dans la ville, sur les routes, dans les villages, à 100 mètres les uns des autres. Ils étaient gérés par des hommes appartenant à la Gendarmerie, par des soldats, par des jeunes tout d’abord que l’on pouvait reconnaître comme étant des Interahamwe par leur uniforme.
Et au fil de la campagne, ces barrages qui avaient été... s’étaient installés de plus en plus, la population y a adhéré, et l’on voyait des agents de la Gendarmerie, des forces armées prendre part à la gestion de ces barrages.
Q. Vous avez parlé, Général, de la présence de civils et de miliciens à ces barrières. Comment ces civils ou ces miliciens étaient-ils... Ces civils ou ces miliciens étaient-ils armés ? Et si oui, comment ?
R. Dans la grande majorité des cas, ils étaient armés d’armes traditionnelles, essentiellement des machettes, mais d’autres armes ou instruments utilisés dans l’agriculture ; et quelques fois aussi avec des lances, des arcs et des flèches ; et quelquefois, avec des mitraillettes. Mais on les trouvait entre les mains de la Gendarmerie ou de l’armée ; mais certains aussi n’avaient pas... certains des jeunes n’avaient pas ces armes.
Q. Est-ce que, Général, il vous a été donné d’observer ces barrières ? Et si oui, que pouvait-on y voir — vous et vos observateurs ?
R. Les actions aux barrages routiers étaient essentiellement menées en vue de filtrer la population civile. Et ce faisant, les cartes d’identité... les cartes nationales d’identité étaient utilisées comme le moyen principal pour ce filtrage. Et les... l’appartenance ethnique de la personne était indiquée sur cette carte ; et il y avait des violences exercées dans de nombreux points de contrôle et les barrages ont continué à être érigés tout au long des semaines, au point qu’à certains barrages, il y avait des nombreux corps qui jonchaient littéralement les barrages, tués à l’aide des machettes et autres instruments. Et à d’autres endroits, les corps étaient simplement jetés au niveau des barrages routiers, dans les ravins qui étaient aux alentours. À d’autres endroits, nous avons observé que les gens étaient battus, brutalisés aux points de contrôle.
Et cela se faisait un peu en série, les gens passaient par un barrage, ils subissaient quelque chose et ensuite, au barrage suivant, et ainsi de suite. Nous avons dû négocier avec plusieurs points de contrôle, et à certains endroits, nous n’arrivions pas à franchir ces points de contrôle. Quelquefois, c’est des jeunes qui les tenaient avec des machettes, tandis qu’à d’autres points de contrôle, ceux qui les tenaient étaient armés de mitraillettes.
Q. Est-ce que, Général, vous avez pu voir des personnes subir des violences à ces barrages, vous-même, de visu ?
R. Oui, j’ai... je suis passé par des barrages où des corps étaient alignés, du sang coulait, les gens étaient arrêtés et étaient entourés d’un nombre important des jeunes et d’autres personnes qui étaient en train — je dirais — de filtrer la population, dire qui passait et qui ne passait pas, et hommes, femmes, enfants étaient concernés.
Q. Merci, Général. Est-ce que les cadavres que vous avez pu voir étaient des cadavres de civils ou de militaires ?
R. Non, nous avons rarement vu des cadavres de militaires. Je n’avais pas souvent la latitude de m’approcher, mais quand cela était possible, je pouvais observer ce qui se passait. Mais la grande majorité, la presque totalité des corps vus à ces barrages étaient des civils.
Q. Merci. Est-ce que c’étaient des cadavres d’adultes ou d’enfants, d’hommes ou de femmes ?
R. Oui. Je n’ai pas été clair, je m’en excuse. Depuis les nouveaux nés aux femmes enceintes en passant par les personnes âgées, il n’y avait pas de différence entre une tranche d’âge et une autre.
Q. Et est-ce qu’on pouvait savoir... En observant ces cadavres, est-ce qu’on pouvait avoir une idée de la manière dont ils avaient été tués, ou des instruments qui avaient servi à les tuer ?
R. Oui, tel que rapporté par mes observateurs et sur la base de ce que j’ai vu, on pouvait donc voir des corps qui avaient été découpés essentiellement à l’aide des machettes, des coups à la tête, aux épaules. Il y avait d’autres endroits où on voyait les cadavres mutilés, leurs organes sexuels coupés, je ne l’ai pas vu très spécifiquement à certains barrages.
Q. Général, sur les cadavres des femmes ou des jeunes filles... Est-ce qu’il vous est arrivé d’observer des cadavres de femmes ou de jeunes filles ?
R. Oui, à deux reprises, dans mes déplacements entre les lignes et pendant que j’ai mené différentes actions de négociation, je me suis retrouvé à ce qu’on peut décrire comme étant une zone de fracture où il y avait une jeune fille qui était couchée, et qui était donc violée, et aussi des actes de mutilation étaient menés.
(Maître Black se lève)
M. BÂ :
Q. Comment... Général, comment...
Attendez, attendez, je veux clarifier ça, asseyez-vous, asseyez-vous !
(Rires dans le prétoire)
Me BLACK :
Il n’est pas clair si ces actes ont été commis par le FPR ou par d’autres instances.
Très bien, très bien, poursuivez. Je me demandais si ce n’étaient pas les soldats du FPR qui avaient commis ces exactions.
M. BÂ :
Q. Général, vous avez parlé de femmes ou de jeunes filles violées. Est-ce que vous avez été témoin d’un viol physique en live ? Qu’est-ce qui vous permet de dire que cette jeune fille était violée ?
R. Eh bien, elles étaient sur le dos, les jambes écartées, les… leurs habits sur leur visage. À un endroit, il m’a semblé qu’il y avait encore du sperme qui était présent — en tout cas, quelque chose qui ressemblait à cela — sur les cuisses. Je dois dire que je n’ai pas passé beaucoup de temps à mener une enquête détaillée sur ces endroits. Mais bon, quand on est face à ce genre de choses, c’est à ce genre de conclusion qu’on peut arriver.
Q. Merci, Général. Reparlons un instant des machettes. Avez-vous une idée de la provenance de ces machettes, ou du moins, de certaines d’entre elles ?
Me BLACK :
Comment peut-il répondre ? De quelles machettes… et à qui appartenaient ces machettes ?
M. BÂ :
Des machettes que détenaient les miliciens dont il a parlé avant cela. Est-ce qu’il a une idée de la provenance de ces machettes ou de certaines d’entre elles... de tout ou partie de ces machettes ?
Me BLACK :
Il ne peut répondre à cette question. Il ne peut poser cette question.
M. LE PRÉSIDENT :
Maître Black, je pense qu’il peut faire son interrogatoire principal et vous pourrez donc intervenir pendant votre contre-interrogatoire.
Me BLACK :
Le général ne peut pas répondre à cette question.
M. LE PRÉSIDENT :
Si tel est le cas, alors le général le dira ; vous ne pouvez pas répondre à la place du général.
Me BLACK :
Quelles personnes et quelles machettes ?
M. LE PRÉSIDENT :
Le général comprend la question et il pourra répondre.
Me BLACK :
Mon objection est que la question n’est pas appropriée. On ne peut pas lui demander en général d’où… quelle était la provenance des machettes. Ce n’est pas une question appropriée. Il peut demander... « Bon, Monsieur… tel avait des machettes. Étaient-ce des machettes du Zimbabwe, de tel endroit ou de tel endroit ? »
M. LE PRÉSIDENT :
Comment savez-vous qu’il s’agit des machettes ?
Me BLACK :
Non, je ne suis pas d’accord.
M. LE PRÉSIDENT :
La question est autorisée.
Me BLACK :
Je ne sais pas ce qu’il demande.
M. BÂ :
Q. Général, pouvez-vous y répondre ?
R. La seule information à ma disposition sur la provenance des machettes était qu’au début de la campagne, nous avons trouvé un grand nombre de machettes flambant neuves qui avaient été jetées sur la piste de l’aéroport, et il y avait dessus des inscriptions : « Fabriqué en Chine ». Les machettes étaient neuves, nous avons vu beaucoup de machettes jonchant le sol. Je ne saurais parler de la distribution, mais je dis que ces machettes étaient... jonchaient l’aéroport, et cette partie appartenait encore aux FAR.
Me MAC DONALD :
Voilà le problème, parce que Monsieur Bâ connaissait la réponse.
M. LE PRÉSIDENT :
Il devrait connaître toutes les questions, sinon, il ne peut poser des questions.
Me MAC DONALD :
Mais il s’agit de la spéculation. Maître Black avait raison, nous n’avons aucun lien entre la question... Maître Bâ… Monsieur Bâ n’a pas spécifiquement à lui poser une question sur la provenance et la réponse du général... On veut que vous spéculiez sur le fait que ces machettes qui étaient… nous ne savons pas entre les mains de qui, entre les mains des personnes qu’il a vues aux barrages, provenaient de cette expédition, de ce chargement. Cette réponse doit être expurgée, parce que la question indique une spéculation et c’est une spéculation que nous avons reçue.
Donc, quel est le lien entre la réponse et la question ? Quel est le lien relationnel entre la question et la réponse ? Il n’y en a aucune.
(Conciliabule entre les Juges)
M. BÂ :
Monsieur le Président, je me contente de la réponse. L’exploitation que j’en ferai, c’est pas maintenant, c’est plus tard. Je me contente de la réponse et je passe à autre chose.
Q. Général, vous nous avez parlé tout à l’heure de barrières qui étaient érigées à une fréquence ou presque à 100 mètres l’une de l’autre. Est-ce que vous pensiez, à l’époque, que ces barrières devaient être démantelées ?
R. Eh bien, à un certain nombre d’occasions, j’ai soulevé la question...
M. BÂ :
(Intervention inaudible)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Interruption, à cause de cet échange.
M. BÂ :
Q. Allez-y, allez-y, continuez !
M. LE PRÉSIDENT :
Posez une question complète et vous n’avez pas à interrompre tout le temps tout le monde ; et finalement, embrouillé ; les interprètes compris. Posez une question complète.
M. BÂ :
Q. Pensiez-vous à l’époque que ces barrières devaient être démantelées ou qu’elles étaient utiles
à la défense du territoire — c’est la précision que je voulais ajouter.
Me BLACK :
Avant que le général ne réponde, vous devez préciser le barrage routier dont vous parlez. Il y avait des barrages routiers civils gérés par les Interahamwe, des barrages routiers militaires avec les objectifs militaires. De quels barrages routiers s’agit-il ?
M. BÂ :
Des barrages routiers gérés par les civils. Si je ne l’ai pas dit, c’est un oubli, mais je pensais l’avoir dit.
R. D’accord. Il y avait des barrages routiers, certains tenus par des militaires à certains lieux spécifiques. Il n’y en avait pas beaucoup, mais la plupart, voire la totalité des barrages routiers, étaient tenus par des civils ou d’autres personnes. Et ces barrages routiers, selon moi, n’avaient aucune valeur technique… tactique, car ils étaient usités pour appeler la population à cibler ceux qui étaient décrits comme étant la composante tutsie de la population, sur la base de leur carte d’identité. Ces barrages routiers ont fait couler beaucoup de salive entre les deux chefs d’état-major, Gatsinzi et Bizimungu ; et le chef d’état-major de la Gendarmerie qui, dans une certaine mesure, était chargé de la sécurité ; et également le colonel Bagosora, le Ministre de la défense, le Premier ministre.
Et en tout état de cause, j’ai eu l’attitude suivante : Tout d’abord, ils étaient essentiels, car la population se sentait menacée, c’était un instrument d’autodéfense ; cela s’était déjà fait par le passé. Il y a eu une première expérience. Une autre réponse et qui s’étaient accordées, pour dire qu’il y avait des massacres ou des tueries en cours à ces barrages routiers, à ces postes de contrôle ; mais ils n’avaient pas un contrôle total sur tous ces postes de contrôle et il leur était difficile de les démanteler ou de les arrêter.
M. BÂ :
Q. Oui. Général, pendant tout le temps que vous êtes resté au Rwanda, d’avril à juin... fin juin 1994, est-ce que vous avez assisté à des tirs de sommation, des tirs en l’air pour disperser lesdits barrages où l’on commettait des crimes ?
R. Autant que je puisse dire, les… sur les actions qui ont été entreprises à ces barrages routiers, je dois dire ce qui suit : Il ne semblait pas qu’il y avait des opérations délibérées menées soit par la Gendarmerie soit par l’armée pour prendre le contrôle de ces barrages routiers. Et le chef d’état-major… de l’état-major... de l’armée a essayé de démanteler un barrage routier quant… aux échanges entre frontières ; et il n’a pu démanteler ce barrage routier, il n’a pas connu de succès.
Ainsi donc, je n’ai aucun exemple d’autres éléments, à l’exception des Interahamwe eux-mêmes, lorsque je les ai rencontrés, après avoir négocié avec eux les transferts. C’est à ce moment-là que nous avons vu certains barrages routiers s’ouvrir sans aucune réticence pour que nous puissions les traverser. Mais cela n’a pas mené à l’élimination de tous les barrages routiers, cela nous a permis de le traverser… de les traverser sans tous les risques, toutes les tracasseries que nous vivions le plus souvent.
Q. Général, dans le cadre de vos activités de tous les jours, adressiez-vous des rapports périodiques
au DPKO... attend… attend… attendez... je me...
Vous nous avez décrit tout à l’heure des tueries aux barrages. Est-ce que vous en rendiez compte
à votre hiérarchie, à New York ?
R. Pour ce qui est de la soirée du 7 avril, mon quartier général donnait des rapports, deux fois par jour, sur la situation, sur la base de ce que l’on pouvait voir, sur les négociations, les activités que nous avions menées, entreprises. À ce moment-là et dans ce cadre temporel et à plusieurs reprises, la question des barrages routiers, la question de notre incapacité à passer par plusieurs d’entre eux, l’incapacité à apporter des secours en passant par ces barrages routiers… passant par ces barrages routiers, la réticence des autorités à démanteler ce processus, tout cela a été communiqué.
Q. Oui. Je vais demander au représentant du Greffe de vous soumettre le document n° 3 dans
le classeur.
(Le document est remis à Monsieur Dallaire)
R. J’ai ce document.
Q. Général, connaissez-vous ce document ?
M. KOUAMBO :
Monsieur Bâ, juste une minute pour que le représentant de la Défense prenne aussi le document.
M. BÂ :
D’accord. Il est produit, je crois, en version anglaise et française, l’anglais constituant l’original.
Q. Est-ce que vous pouvez prendre la version anglaise ?
(Le témoin, Monsieur Dallaire, s’exécute)
R. Je reconnais tout à fait la version anglaise dudit document.
M. BÂ :
Q. De qui émane-t-il, ce document ?
R. Moi-même, j’en suis l’auteur.
Q. Et à qui est-il adressé ?
R. Il était destiné au général Baril, le représentant au DPKO.
Q. Est-ce que ce document est daté ?
R. Il est daté du 17 avril 1994.
Q. Ce document fait-il partie des comptes rendus périodiques dont vous venez de nous parler tout à l’heure ?
R. Non, non. Parfois, et cela avant même le début de la guerre civile, j’avais coutume d’envoyer une évaluation composite de la situation. Une situation militaire de la situation pour... (inaudible) du 17 avril 1994. C’était une compilation non seulement des faits de ce qui se passait sur la base de l’interprétation que je faisais de la situation, accompagnée de mes recommandations quant aux actions futures que ma mission devait entreprendre. Je demandais conseil ou le mandat de ma hiérarchie, à New-York.
Q. Est-ce que ce rapport comporte un volet : « Sécurité des biens et des personnes » —, c’est-à-dire tout ce dont vous nous avez entretenus depuis le début de cet après-midi ?
R. Quelque peu, je n’ai pas bien compris la question. Nous vivions une guerre civile, une situation de massacres massifs. Oui, dans ce rapport, cette question est quelque peu prise en compte.
Q. Donc, vous dites que cette question est prise en compte, peu ou tout ?
R. Oui, oui.
M. BÂ :
Monsieur le Président, je voudrais… Il y a eu chevauchement. Monsieur le Président, le Procureur voudrait verser cette pièce... produire cette pièce comme exhibit.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui, quelle est la cote, Monsieur le représentant du Greffe ?
Me SEGATWA :
(Intervention inaudible : Microphone fermé)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Oui, micro, s’il vous plaît.
Me SEGATWA :
Oui, Monsieur le Président, je disais que j’ai remarqué une légère différence dans la traduction française, je ne sais pas qui est original, qui n’est pas original. Ici en français, on dit « À Baril uniquement », alors que cela ne se retrouve pas en anglais. Je demande au Procureur pourquoi on a dit « uniquement » en français et pas en anglais ? Pourquoi d’abord ce « uniquement » ? Posez la question à... (fin de l’intervention inaudible)
M. BÂ :
Je verse en exhibit l’original qui est le document en anglais. À toutes fins utiles, on peut prendre la traduction qui peut être fiable ou ne pas être fiable. Moi, je verse le document original.
Me SEGATWA :
Est-ce que vous ne voyez pas que vous...
M. LE PRÉSIDENT :
Maître Segatwa, vous dites que vous ne retrouvez le terme « uniquement » que sur la version française et non pas la version anglaise. Quelle est votre objection, donc, Maître ?
Me SEGATWA :
Mon objection, c’est de savoir pourquoi ? Est-ce qu’on peut demander à Dallaire pourquoi en français, on a dit « uniquement » et que « uniquement » ne se retrouve pas... Ah oui, excusez-moi... j’ai la…
M. BÂ :
La traduction a été faite ici, à Arusha par nos services.
Me SEGATWA :
Non, non, je m’excuse, je m’excuse, j’ai retrouvé la réponse. Je m’excuse.
Me MAC DONALD :
Si je puis, je ne suis pas sûr… Ce n’est pas une objection en tant que telle, mais peut-être que j’aimerais avoir des précisions sur ce document.
Tout d’abord, Monsieur Bâ, veuillez me dire à quelles fins vous voulez verser ce document. Nous avons l’auteur du document, le général Dallaire en personne, il dit que ce document est le sien, qu’il émane de lui. Devons-nous considérer que le point de vue de Monsieur Bâ est le suivant : Si je verse ce document aux débats, alors, le général Dallaire reconnaît le contenu intégral du document ? Est-ce là le point de vue de Monsieur Bâ ? Ou alors, dit-il que voilà : « Nous voulons juste verser aux débats ce document. » Je ne sais pas pour quel objet, car le général Dallaire n’a pas déposé sur ce document.
M. LE PRÉSIDENT :
Le général Dallaire dit qu’il a envoyé un rapport sur la situation, et voilà le... un des rapports qu’il a envoyés au siège.
Me MAC DONALD :
C’est la précision que je voulais, Monsieur Bâ n’a pas versé en preuve le livre du général Dallaire, nous ne sommes pas tenus par le contenu de ce livre ; et par analogie, nous ne sommes pas tenus par le contenu de ce document.
M. LE PRÉSIDENT :
Vous pouvez interroger l’auteur sur ce document.
Me MAC DONALD :
Je n’ai pas à le faire si Monsieur Bâ n’interroge pas, dans son interrogatoire principal, le témoin sur le contenu dudit document. Voilà là où le bât blesse, si Monsieur Bâ veut verser en preuve sans poser des questions.
M. LE PRÉSIDENT :
Cela n’est pas versé en preuve juste pour le verser en preuve. Un moment. Ce document sera... Ce document, lorsqu’il est versé en preuve, le contenu vient de... à côté du document.
Me MAC DONALD :
Je suis d’accord avec cela. Pourquoi n’a-t-il pas versé en preuve le livre du général Dallaire ? Sommes-nous tenus par le contenu du livre de Monsieur Bâ (sic). Je crois que la question est pertinente, il faudrait que la Chambre statue sur la question. Devons-nous supposer... déduire que le contenu est versé également en preuve ?
M. LE PRÉSIDENT :
À quelles fins voulez-vous verser ce document en preuve, Monsieur Bâ ?
M. BÂ :
Depuis trois-quarts d’heure, le général Dallaire a parlé des barrières, des massacres qu’on commettait, des situations catastrophiques pour les droits humains. Je lui ai demandé si cela était également relaté dans le document ; et c’était fait en temps réel parce que c’est au moment où les événements se déroulaient. Il me répond que « oui ». Je le verse en exhibit. Et les conclusions que
je vais en tirer, mais... ça me regarde, je le ferai plus tard.
Me MAC DONALD :
Mon argument... Je vous comprends, Monsieur Bâ, je vous en remercie. Je me demande si Monsieur Bâ n’essaie pas d’insérer des éléments dans ce document sans interroger le témoin. Et que finalement, il dira « le général Dallaire a dit que... — je ne sais pas — que Kagame était à Mulindi le 24 avril », sans poser des questions, en se contentant de verser ce document. C’est là ma préoccupation.
Sa question concerne un incident particulier et il dit que cet incident est contenu dans cette... ce message, il n’y a pas de problème à ce sujet. S’il s’agit donc de corroborer le témoin ou autre... je ne sais pas, je n’ai pas de problème, mais s’il essaie d’introduire certains éléments sans en interroger le général Dallaire, alors, je suis plutôt inquiet.
M. BÂ :
C’est sur tous les points déjà couverts par mon interrogatoire, O.K. ?
M. LE PRÉSIDENT :
Quelle est la cote ?
Me TAKU :
S’il vous plaît, Monsieur le Président, je voudrais respectueusement intervenir brièvement. Ce document ne saurait être versé. Pour la vérité de ce qu’il déclare, on ne on peut... on ne saurait demander au général Dallaire de se corroborer pour des documents produits ailleurs, il faut un document indépendant qui peut le corroborer. Donc, ce document ne peut servir que pour des raisons que… ce sur quoi il dépose, il a fait rapport à ses supérieurs.
M. LE PRÉSIDENT :
Pour la cohérence, il l’a dit déjà et il continue de le dire aujourd’hui.
Ce document porte la cote P. 118, document en date du 17 avril 1994, portant le numéro L0019752.
M. LE PRÉSIDENT :
Vous n’avez pas fourni de copies de ce document ?
M. BÂ :
Moi, je pensais que c’est Roger qui prend les exhibits, je pensais que c’est Roger qui prend tous les exhibits. Je ne sais pas, sinon, il y a une copie. Mais je pensais que c’était Roger qui prend les...
M. LE PRÉSIDENT :
Puisque les documents sont présents, nous pouvons les verser directement.
(Le document est remis au greffier d’audience)
M. BÂ :
Il y a la version française et la version anglaise.
M. LE PRÉSIDENT :
La version française est...
M. BÂ :
La version anglaise est l’original, vous pouvez faire voir ça aux... à la Défense.
M. LE PRÉSIDENT :
« P. 118 », la version anglaise portant la cote A, la version française, la cote B.
(Admission des pièces à conviction P. 118 A et B)
Oui, vous pouvez poursuivre, Monsieur Bâ.
M. BÂ :
Est-ce qu’il ne serait pas approprié, Monsieur le Président, de prendre la pause à cet instant, ou bien on n’a pas droit à une pause ? Je peux continuer.
M. LE PRÉSIDENT :
Non, vous avez droit à une pause.
M. BÂ :
J’aimerais la prendre tout de suite.
M. DALLAIRE :
Je suis à vos ordres, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Nous revenons à 17 h 50, heure d’Arusha.
(Suspension de l’audience : 17 h 20)
(Reprise de l'audience : 18 heures)
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, veuillez poursuivre.
M. BÂ :
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Q. Général, dans le courant des mois d'avril et de mai, y a-t-il eu des tentatives initiées par vous-même en vue d'instaurer un cessez-le-feu ? Et ces tentatives ont-elles été couronnées de succès ?
M. DALLAIRE :
R. Il y en a eu plusieurs, plusieurs tentatives dans la première semaine, des tentatives de cessez-le-feu.
Mais, également, nous avons dépêché des troupes pour l'évacuation des expatriés et de leurs familles très rapidement.
En outre, des négociations sur des cessez-le-feu ont eu lieu pendant toute cette période, jusqu'à la fin mai lorsqu'une proposition a été faite par les membres dépêchés de DPKO. Les deux parties étaient d'accord pour dire qu'elles allaient s'asseoir, commencer les négociations de part et d'autre pour le passage à un cessez-le-feu. Et la guerre s'est terminée, disons, vers le 17 juillet. Et en aucun moment, nous n'avons pu mettre en place un cessez-le-feu au Rwanda.
Q. Et sur quoi ces tentatives ont-elles achoppé ? Quelles étaient les conditions des deux parties ?
R. Deux différentes positions, en tant que telles, qui n'ont pu jamais être réconciliées, sauf intervention majeure requise de la partie gouvernementale :
Et pendant que le comité de crise était opérationnel et au cours de ce moment-là, plusieurs négociations ont été menées par Ndindiliyimana. Il y a eu un très fort désir pour un nouveau cessez-le-feu inconditionnel également de la part des Forces armées rwandaises et appuyé, dans une certaine mesure, par la politique. Il est difficile d'évaluer leur position. Et ce désir de mettre en place un cessez-le-feu était, pour eux, d'être en mesure de regagner le contrôle, retourner à Arusha et, essentiellement, reprendre le processus de paix.
Et de l'autre côté, le FPR, qui a indiqué qu'il voulait également un cessez-le-feu, a fait valoir très tôt que cela allait mener tout d'abord à éliminer… arrêter, d'une part, les massacres qui avaient eu lieu de manière extensive au-delà de la ligne ; secundo, au démantèlement et le retour, à la garnison, de la Garde présidentielle… ; tertio, à la négociation uniquement avec les militaires des FAR car ils ne reconnaissaient pas, en tant que tel, le Gouvernement intérimaire.
Donc, ces deux points de vue ont créé un scénario divergent : « Nous ne voulons pas de ce scénario » ; et, de l'autre, les FAR disaient : « Nous ne pouvons pas cesser les massacres ; nous ne pouvons pas commettre des troupes au-delà la ligne pour arrêter les massacres. »
Et cela m'a amené à faire des propositions aux Nations Unies sur la manière dont les Nations Unies, avec un nouveau mandat, Nations Unies renforcées, pourraient, séance tenante, arrêter les massacres au-delà la ligne et, ensuite, pouvoir passer à la négociation d'un cessez-le-feu et à sa culmination.
Q. Merci.
Général, connaissez-vous une nommée « Prudence Bushnell » ?
« Bushnell », j’épelle, c’est : B-U-S-H-N-E-L-L.
Si oui, pouvez-vous nous dire qui est-elle ? Et si vous avez eu des contacts directs ou indirects avec elle pendant la durée du conflit ?
R. Oui. Elle était l'assistante du Sous-secrétaire chargé des Affaires étrangères du Gouvernement américain. Je ne suis pas sûr du titre qu'elle portait du côté humanitaire, je ne m'en souviens pas avec précision.
Je me souviens d'un bref appel de sa part vers la fin du mois d'avril ; et suite à cela, elle était en contact direct avec le général Bizimungu, elle essayait de porter à son attention l'absolue nécessité de mettre un terme aux massacres.
Q. Et savez-vous si le général Bizimungu a donné suite à ses requêtes ? Si oui, qu'est-ce qu'il en a été ?
Me MAC DONALD :
À ce stade, je dois faire une objection ! Car nous ne savons pas ce qui s'est effectivement produit.
Il faudrait peut-être que le général Dallaire revienne sur ce point.
Avant de demander sa réponse, il faudrait que nous soyons fixés sur la première partie.
M. LE PRÉSIDENT :
De quoi s'agit-il ?
Me MAC DONALD :
Maître Bâ veut savoir si le général Bizimungu a accepté de la part du Sous-secrétaire des Affaires étrangères de Monsieur Bushnell (sic)… s'il a accédé à sa demande. Mais il faudrait que nous sachions quelle était sa demande
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
Monsieur Bâ, vous devez demander ce que Bushnell a demandé à Bizimungu, s'il y a accédé — s’il le sait, bien évidemment.
Me BLACK :
Je n’y vois pas d'inconvénients. Je ne pense pas, cependant, qu'il faille poser cette question au général Dallaire mais, plutôt, à Bushnell ; je pense que c’est la personne la plus indiquée : Prudence Bushnell était une personne… une dame très importante, elle était impliquée. Elle est toujours là, l’on peut avoir contact « à » elle.
M. LE PRÉSIDENT :
Je pense que le général Dallaire peut répondre à la question, s'il sait ce qu'il en est ressorti.
Me BLACK :
Oui.
Je voulais juste faire cette suggestion au Procureur : Il pourrait citer directement Madame Bushnell.
M. BÂ :
J'ai fini, je ne peux plus citer personne, moi !
C'est peut-être vous qui pourriez le faire.
Mais laissez-moi continuer… Maître Black, vous me laissez continuer ?
Me BLACK :
Je n'ai pas bien compris ; vous dites que vous avez terminé, je n'ai pas compris : Vous n'avez pas conclu votre thèse, je ne vois pas ce que vous voulez dire par là !
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, oui, posez votre question. Ne vous lancez pas dans des détails qui ne sont pas nécessaires. Pas de pugilat verbal, s'il vous plaît !
M. BÂ :
J'y souscris, Monsieur le Président.
Q. Général, comment avez-vous été informé de ces contacts entre Prudence Bushnell et le général Bizimungu ?
R. Autant que je me souvienne et sur la base de cette brève conversation téléphonique, je dois dire que, le 1er mai, dans la matinée, j'ai rencontré le général Bizimungu dans le cadre d'une réunion. Et il m'a dit qu'il avait reçu un appel téléphonique de cette Américaine qui ne semblait pas comprendre la complexité, les difficultés lorsqu’il s'agissait de remettre sous contrôle une situation donnée — la situation au Rwanda à l’époque, s'entend — et qu'il était plutôt étonné que l’on le lui demande… ou, plutôt, qu’elle lui cible… qu'elle le cible, plutôt, comme étant la personne qui devait résoudre cette situation.
Q. D'accord.
Est-ce que vous vous rappelez, durant cette période, avoir reçu une information venant de Monsieur Kofi Annan faisant état desdites préoccupations ?
R. J'ai discuté avec New York, disons, sur une base quotidienne, voire deux fois par jour, et j'ai eu quelques discussions directes avec Kofi Annan et deux autres collègues — Monsieur Mbaliza (phon.), son numéro 2 du côté politique ; le général Baril (phon.), conseiller militaire. Et, pendant toute cette période, nous avons parlé de la situation qui empirait sur le terrain, les désastres humanitaires qui avaient lieu, l'incapacité de mes forces à mener des opérations.
Au contraire, j'étais amputé, sur le terrain : Par les nationaux qui repoussaient mes troupes, qu’ils n’avaient (sic) les mains liées ; la situation relative au nombre croissant de réfugiés, de populations déplacées ; la nature des tueries, des massacres en cours ; et la situation tactique militaire sur le terrain pour ce qui était des deux forces.
J'ai également communiqué à ces personnes l'information dont je discutais sur toute initiative militaire ou toute participation militaire que l'on pouvait avoir à l'époque.
Q. Merci, Général.
Entre le 7 avril et la fin juin 1994, avez-vous eu des contacts directs ou indirects avec les miliciens ?
R. J'ai eu plusieurs contacts avec eux aux barrages routiers ; cela, j'en suis sûr.
Et si nous parlons de moi-même, de mon rôle de commandant de la force et de chef de mission, j'ai eu deux réunions, dont je puis me souvenir, avec les dirigeants des Interahamwe. Mais mon équipe a eu plusieurs réunions avec eux afin, tout d'abord, d'essayer de les convaincre d'arrêter les massacres ; mais plus précisément, d'arrêter de cibler les Nations Unies, sa manière de travailler dans ses tentatives de négociation de cessez-le-feu ; faire traverser les populations au-delà des lignes ; protéger des sites tels que les Mille Collines, etc. ; et leur demandant de collaborer pour ce qui était d'opérations potentielles plausibles dans lesquelles nous serions amenés à assurer la sécurité des populations.
Q. Oui. Général, vous nous avez parlé de deux réunions dont vous avez souvenance ; la première réunion que vous avez eue avec les Interahamwe, quand est-ce qu'elle a eu lieu ?
R. Le 1er mai.
Q. Et cette réunion, comment est-ce qu'elle a été organisée ? Comment est-ce que vous avez pris contact avec les Interahamwe ?
R. Tous mes contacts avec les Interahamwe, cela vaut également pour mon équipe, cela se faisait directement par l'entremise du colonel Bagosora ou du général Bizimungu.
J'essaie de me rappeler… Je ne puis me rappeler le chef d'état-major de la Gendarmerie comme étant un intermédiaire pour une tâche spécifique dont j'aurais eu besoin, entre moi-même et les Interahamwe.
Q. Est-ce que dans le cadre de vos activités de tous les jours, est-ce que la MINUAR adressait un rapport de situation aux Nations Unies, au DPKO ?
R. Comme je l'ai déjà dit, j'ai envoyé des rapports, et cela deux fois par jour, à New York.
Q. Cette réunion du 1er mai dont vous venez de nous parler, avec les responsables Interahamwe ou avec les miliciens, est-ce qu'elle a été relatée dans un SITREP ?
R. Oui. Cela a été couvert dans un rapport concernant les activités de ce jour et a été envoyé tard dans cette soirée ou tôt le matin à New York. Et dans ce rapport, j’ai indiqué que j’ai mené des négociations avec la direction des milices Interahamwe, relativement à la fourniture de davantage de sauf-conduits pour que le personnel des Nations Unies puisse mener ses activités, arrêter les massacres. Et au cours d'une des réunions, ils ont dit qu'ils allaient faire ce qu'ils avaient déjà fait avec la Croix-Rouge internationale, pour ce qui est de laisser les gens franchir les lignes.
Q. Je vais demander au Greffe de vous soumettre le document n° 4 dans le classeur.
(Le représentant du Greffe à Ottawa s'exécute)
R. Oui. Je l'ai, le document.
Q. Général, est-ce que vous connaissez ce document ?
R. Oui. Il s'agit d'un rapport de situation, envoyé à New York le 2 mai 1994.
Q. De qui émane-t-il, ce rapport ?
Me BLACK :
Excusez-moi, Monsieur Bâ.
Je ne doute pas que ce rapport était basé sur un briefing du général Dallaire, mais il émanait aussi de Booh-Booh. Il faudrait, donc, préciser les choses : « Rapport de situation de Jacques-Roger Booh-Booh à Kofi Annan » ; il faut, donc, se demander : Est-ce le rapport de situation de Booh-Booh, à New York, sur la base de ses propres notes ou sur le briefing du général Dallaire ? Tel que cela est présenté, c'est comme si le document était la provenance du… émanait du général Dallaire.
M. BÂ :
La question que je viens de lui poser, c’est : De qui émane ce document ? Et j'attendais encore sa réponse !
Me BLACK :
Vous avez dit : « Ce document émane de vous, n'est-ce pas ? » C'est pour cela que j'ai réagi ! Peut-être, je ne vous ai pas bien compris. Et dans ce cas… Il est donc exact que ce document émane de Booh-Booh pour Kofi Annan ; on pourrait donc commencer à partir de là.
M. BÂ :
Ma question est : « De qui émane ce document ? »
Q. Général, est-ce que vous avez entendu ma question ? Ma question est : De qui émane ce document ?
R. Oui. Ce document, le SITREP, a été préparé dans mes bureaux, au quartier général, et envoyé au Représentant spécial, où son personnel politique en a examiné le contenu et a ajouté les informations politiques qui ne s'y trouvaient pas ; et, ensuite, le document a été signé par le Représentant spécial ; et, dans… selon la procédure normale, envoyé au chef des opérations de maintien de la paix à New York, Kofi Annan.
Q. Ce document...
M. BÂ :
Oui, Maître Mac Donald. Vous voulez dire quelque chose ?
Me MAC DONALD :
Oui. Je voudrais d'abord savoir quel est l'objet de l'introduction de ce document : Est-ce pour corroborer les affirmations du général Dallaire au sujet de cette réunion ? Parce que le problème que nous avons maintenant, c'est que… comme Maître Black l'a dit, c’est que ce document n'émane pas du général Dallaire ; et puisque le général Dallaire nous dit que le personnel chargé des affaires politiques quelquefois modifie, ajoute ou supprime des informations, nous devons entendre... nous devons savoir quel est le document original. Si cet exercice consiste à corroborer le général Dallaire, alors, nous avons besoin du document original préparé par le personnel du général Dallaire, et non pas ce document. Il n'est pas exact d'attribuer ce document au général.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Vous pouvez le contester. Mais ce document, il a dit qu'il y a contribué en partie, il a examiné le document, et il peut dire s'il y a eu des ajouts par le personnel chargé des questions politiques.
Maître… (suite de l’intervention non interprétée), donnez les raisons pour laquelle (sic) on (sic) voulait introduire ces éléments politiques…
Me MAC DONALD :
J'ai fait valoir que nous devions avoir le document original, une fois de plus si le but est de corroborer le général Dallaire. Sinon, le document n'a aucune valeur ! À moins que le général Dallaire ne certifie que le document original, initial, préparé par son personnel est le document exact que nous avons sous les yeux. Je ne vois pas comment il peut le faire !
M. BÂ :
Q. Général Dallaire, pouvez-vous préciser ou repréciser le processus d’élaboration de ces SITREP ?
R. Le SITREP était une compilation de toutes les informations que nous avions pendant la période que couvrait ce rapport. Ces informations étaient collectées dans mes bureaux où mes collaborateurs, donc, dactylographiaient les informations ; je révisais ces informations ; ensuite, le document était envoyé au Représentant spécial pour signature.
Maintenant, le personnel chargé des questions politiques participait à la première mouture. Quand il y avait des variations, alors, le document revenait à mon bureau car, à l'époque, nous étions le seul bureau fonctionnel. Et les corrections étaient portées dans mes bureaux et le document envoyé au Représentant spécial.
Lorsque je suis devenu chef de mission, alors, j'avais l'autorité générale pour la signature du contenu complet de ces SITREP.
Q. Général, ce document que vous avez sous les yeux, est-il daté ?
R. Oui. Il est daté du 2 mai 1994.
Q. Avant l'envoi ou après l'envoi de ces documents SITREP, est-ce que vous en receviez copie ? Est-ce que vous en étiez ampliateur ?
R. Maintenant… Là, vous m’imposez une tâche plutôt difficile à ma mémoire. Bien. Nous examinions ces documents régulièrement. Certains documents portaient ma signature directe, tandis que d'autres SITREP portaient la signature du Représentant spécial. Ce document a été signé par le Représentant spécial. Donc, il lui a été envoyé — il était probablement à l’hôtel Méridien, à l’époque — pour « sa » signature.
Je suis désolé, mais je ne peux pas être plus précis.
Je dois dire que, s'agissant de la dimension militaire… ce qui concernait les aspects militaires, ce n'est pas le Représentant spécial qui s'en occupait ; il ne regardait que l'évaluation politique générale qui était faite et cela concernait la première partie du document.
Q. Général, si vous regardez la première page de ce document, tout à fait en bas… au bas, il y a des mentions manuscrites ; que veulent dire ces mentions manuscrites ? Tout à fait sur la première page, la page d'envoi, de couverture.
R. Il s'agit là des indications, des ampliations de ce document. Du côté de l’admission, il s'agissait de messages codés et il y avait, donc, une dimension sécuritaire qui leur était attribuée.
Donc, la première lettre « SRG », Représentant spécial du Secrétaire général, pour ses archives, Monsieur Booh-Booh ;
Le deuxième, encerclé, c'était le commandant de la force — le « FC » encerclé ;
Troisième marque, c'est le directeur par intérim et, dans ce cas, c'est la section politique ;
Et la dernière inscription, « CAO », c'est le chef des opérations administratives, il s'agissait du civil qui s'occupait de tous les besoins logistiques de toutes les missions et une copie lui était envoyée à Nairobi, à l'époque.
Q. Et le « FC », à l'époque, c'était qui ?
R. Il n'y avait pas de « FCR ».
Q. Général, excusez-moi. Je n'ai pas dit « FCR », j'ai dit « FC »… « FC ».
R. J'étais le FC, commandant de la force, à l'époque. Il s'agit, donc, d'un SITREP particulier.
Q. Merci.
Général, ce document-là que vous avez sous les yeux, fait-il état… relate-t-il la réunion du 1er mai que vous auriez eue avec les Interahamwe ?
R. Oui. Effectivement. Ce SITREP en parle.
Je lis… Je lis le document. Eh bien, j'examine le document : Au paragraphe premier, quatrième ligne… cinquième ligne à partir du bas, il y était indiqué : « Les discussions tenues avec le chef d'état-major des FAR et les responsables des Interahamwe. »
Et le document revient, je crois, un peu plus bas, au paragraphe 4 A), à peu près à la quatrième ligne... troisième ligne, plutôt, où il est dit : « Le commandant des forces a tenu une série de discussions avec le président des Interahamwe, et le commandant des FAR et les responsables des partis politiques. »
M. BÂ :
Monsieur le Président, le Procureur voudrait verser cette pièce comme exhibit.
(Le greffier d'audience s'exécute)
Je veux dire... Pour moi, c'était toujours Roger qui devait le faire ! Voilà.
M. LE PRÉSIDENT :
Le document daté du 2 mai 1994, document qui aurait été rédigé par Booh-Booh et adressé à (inaudible) porte la cote P. 119.
(Admission de la pièce à conviction P. 119)
M. BÂ :
Q. Général, connaissez-vous un dénommé Bernard Kouchner ?
R. Oui. Cette personne est venue à trois reprises à mon quartier général.
Q. En 1994, que faisait cette personne ? Quelles étaient ses attributions ou ses fonctions ? De quelle nationalité est-elle ?
R. Bernard Kouchner est un citoyen français.
Et, dans le premier cas d'espèce, à la mi-mai, il est venu, de son propre chef, pour discuter de la situation sur le terrain et apporter son aide dans les tentatives que nous faisions pour essayer d'arrêter cette situation humanitaire catastrophique.
Il est revenu le 17 juin, en qualité d'émissaire spécial du Président français. À cet effet, il était venu pour me convaincre… ou négocier… ou m'informer de l'initiative française aux fins de dépêcher une force au Rwanda.
Et la troisième fois qu'il est venu, c'était à la fin juillet, début août, en tant que membre de l'Union européenne qui désirait déployer une centaine d'enquêteurs en matière des droits de l'homme, et cela, au-delà des lignes du FPR.
Q. Général, c'est peut-être un problème de traduction : J'ai entendu « la deuxième fois », « la troisième fois », mais je n'ai pas entendu… perçu la date pour la première fois.
R. La date de la première fois, c'était autour du 15 mai. Je me souviens que le 13, nous avons tenu une réunion ; il était déjà là depuis quatre ou cinq jours. Je crois que c'était le 15… Oui.
Q. Je ne sais pas, encore une fois, si c'est des problèmes de perception que j'ai. Mais il m’a semblé entendre que le 13, vous auriez tenu une réunion ; est-ce que c’est bien ce que vous avez dit ?
R. Oui. Oui. Je me fonde sur ma mémoire. Donc, je me rappelle qu'il y a eu des réunions avec Bernard Kouchner le 13 ; il serait arrivé peut-être la veille ; je me souviens de son arrivée, mais je ne peux confirmer la date.
Me BLACK :
Objection !
En anglais, nous avons entendu le général Dallaire dire qu'il est arrivé à la mi-mai.
Ensuite, Monsieur Bâ a dit : « J'ai eu un problème de traduction, je n'ai pas entendu… »
Le général… Le général revient et dit : « Je pense, c'était le 15. Je l'ai à l'esprit, il était là depuis quatre ou cinq jours. Et nous avions tenu ces réunions. »
Encore une fois, Monsieur Bâ dit : « C'est un problème de traduction. Avez-vous dit le 13 ? Est-ce que j’ai entendu ? »
Confirmation du général Dallaire.
À quel jeu jouons-nous ?
M. LE PRÉSIDENT :
Le général ne se souvenait pas très bien de la date, il a donné la date du 13.
Me BLACK :
Cela n'est pas dans le document !
M. LE PRÉSIDENT :
Mais nous l'avons dans le procès-verbal ! Sa réponse est portée au procès-verbal et il fait état du 13.
Me BLACK :
Quelle réponse est consignée où ?
M. LE PRÉSIDENT :
Ici et maintenant.
Me BLACK :
Oui. Il l’a dit maintenant. Mais auparavant, il avait dit qu'il était venu le 15 — à deux reprises —, quatre ou cinq jours.
Et, encore une fois, Monsieur Bâ a joué au même jeu ! Il dit qu'il n'a pas entendu.
C'est ce qu'il fait, généralement. Il dit : « Je n’ai pas entendu votre réponse. Avez-vous bien dit
le 15 ? »
Le général Dallaire a dit : « Oui. C'était le 15. »
Je ne vois pas l'objet de cela, mais cela est malhonnête.
Sa première réponse était « le 15 ».
M. LE PRÉSIDENT :
« Autour du 15. »
Me BLACK :
Tout à fait. « Le 15. » « Le 15. »
Il est même allé au-delà, il a dit : « C’est la date que j’ai à l’esprit, même si c’est une évaluation. »
Monsieur Bâ ne s'est pas contenté de cela et il a joué d'un subterfuge.
Et il le fait souvent, arguant de la traduction. Je pense qu'il faudrait qu'il soit sanctionné pour cela. Cela est malhonnête et il faudrait arrêter ce jeu.
M. BÂ :
Maître Black me prête plus de génie que je n’en ai ! Il me prend pour plus intelligent que je ne le suis ! Le 13 ou le 15, cela m'importe peu.
Q. Général, vous nous avez parlé d'une réunion ; qui étaient les parties prenantes en cette réunion ? Qui avait pris part à cette réunion ?
Me BLACK :
Nous savons que Kouchner est parti le 20. Mais je ne veux pas... Je ne vois pas pourquoi il veut à tout prix entendre « le 13 » ! Je ne vois pas ! Il a dit « le 15 ».
M. LE PRÉSIDENT :
Mais que faites-vous, Maître ? Laissez-le répondre.
Me BLACK :
C'est un jeu de Monsieur Bâ !
Nous avons entendu une réponse ; il dit qu'il n'a pas entendu, que l’interprétation était mauvaise. Il a orienté le témoin, il a soufflé la réponse ! Le témoin avait bien dit « le 15 ».
M. LE PRÉSIDENT :
Je pense qu’il faut écouter la déposition minutieusement, plutôt que d'attribuer des comportements malhonnêtes à quelqu’un ou à un autre.
M. BÂ :
Je proteste ! Je proteste vigoureusement !
La date du 13, ce n’est pas moi qui l’ai inventée ! Elle est sortie de la bouche du témoin ! Il a dit : « Je ne suis pas sûr. » Il a avancé la date du 15, il a dit aussi « le 13 ». Relisez le procès-verbal.
Me MAC DONALD :
Nous allons peut-être poser la question aux sténotypistes. Nous n'avions pas le procès verbal en temps réel.
M. LE PRÉSIDENT :
C'est ce que je vous dis !
Il dit : « C'était le 13 ou le 15. »
Me MAC DONALD :
Vous avez le procès-verbal en temps réel ?
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
Me MAC DONALD :
Je ne le savais pas. Vous ne nous l’avez jamais dit.
M. LE PRÉSIDENT :
C'est ce que nous avons.
Me MAC DONALD :
Je pensais que vous lisiez les notes du Juge Park !
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Me MAC DONALD :
Il faudrait qu’on le fasse installer également.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Vous devriez.
Me BLACK :
J'ai entendu dans mon écouteur, je ne sais pas ce que vous avez à l'écran.
Mais il a dit : « Le 15. J'essaie de me souvenir. »
Bâ a dit : « Je n’ai pas bien entendu. Avez-vous dit le 13 ? »
C'est à ce moment-là qu'il a dit « le 13 », mais sa première réponse était « le 15 ».
M. LE PRÉSIDENT :
Au départ, il avait dit : « Autour du 15. »
Me BLACK :
Cela devrait être expurgé…
M. BÂ :
Moi, j'écoute le français, je n'écoute pas ce qu’il dit en anglais.
Est-ce que vous avez la version française sous les yeux ? Est-ce qu’avant que je ne lui demande des éclaircissements, est-ce que la date du 13 n'était pas sortie ? Moi, je l'ai entendue, je ne l'ai pas inventée.
Me BLACK :
Vous avez des écouteurs spéciaux, Monsieur Bâ ! Personne ne sait d'où ils viennent !
M. LE PRÉSIDENT :
Maître, je suis la version anglaise. Je ne pourrais, donc, pas dire ce que nous avons en français.
Monsieur le Procureur, quel que soit le cas, vous devez faire preuve de respect les uns à l’égard des autres.
Oui, Monsieur Bâ. Je sais que vous suivez le français.
Mais ne vous insultez pas les uns et les autres, car cela ne nous mène à rien. Cela ne nous vous mène à rien.
M. BÂ :
Je n'ai pas insulté ! Sauf que j'ai émis une protestation quand on m'a prêté un comportement malhonnête. Je ne suis pas malhonnête !
M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Je ne parlais pas… Je ne m'adressais pas à vous, précisément, je parlais en termes généraux : Ne vous insultez pas les uns les autres.
Me BLACK :
Je retire l'attaque.
Mais je maintiens que vous avez des écouteurs spéciaux !
M. LE PRÉSIDENT :
Nous savons tous qu'il suit le français.
Je ne peux rien dire, car je ne peux suivre que ce que j'ai devant moi.
Maître Segatwa est un spécialiste de la langue française.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je voudrais intervenir…
M. LE PRÉSIDENT :
Non ! Non ! Non ! Le problème est réglé.
Vous pouvez continuez. Oui, Monsieur Bâ, veuillez poursuivre.
M. BÂ :
Q. Général, il me semble — je vais très, très prudent à partir de maintenant — que vous avez parlé d'une réunion ?
R. Oui. J'ai parlé d'une réunion.
Et il me semble que c'était autour du 15 ; lorsque l'on m'a demandé des précisions, j'ai dit que c'était
le 13 ; lorsque l'on m'a dit de préciser une deuxième fois, j'ai précisé que c'était le 13.
Et j'avais à l'esprit une vision très claire de cette réunion et c'est pour cela que j'ai précisé ces dates.
Q. Qui avait pris part à cette réunion ? Si vous vous en rappelez.
R. De mémoire, je peux dire que, lorsque nous avons eu la première réunion, il y avait Monsieur Kouchner, il était à l'hôtel des Diplomates ; il y avait le chef de l'état-major de l'armée, de la Gendarmerie ; et je ne suis pas sûr de la présence de Bagosora ; je pense qu'il était présent, je pense qu'il y était.
Et il y a eu une réunion préalable d'introduction au cours de laquelle Monsieur Kouchner a expliqué l'objet de sa présence. Je lui ai posé des questions précises et les membres… les personnes qui représentaient le Gouvernement également.
Q. Si vous vous rappelez de l'adresse de Monsieur Kouchner, quelle en était la substance ? Quel était l’objet de cette réunion ?
R. Monsieur Kouchner s'est présenté comme travaillant dans le domaine humanitaire et qu'il était sur les lieux pour parler avec véhémence aux dirigeants des forces gouvernementales présentes ; leur parler de l'état catastrophique, de la destruction humaine qui avait eu lieu. Il a dit qu'à Paris, les Français s'étaient retirés sur la base des massacres quotidiens… Ils s'étaient engagés et ils avaient dit qu'il fallait essayer de trouver une solution à cette situation, que cela était inadmissible.
Ils étaient hors d'eux.
Il y a eu un aparté entre lui, le général Bizimungu, le général Ndindiliyimana ; il y a eu des échanges entre eux. Et ils ont dit qu'ils essayaient de contrôler les Interahamwe et, ce faisant, la guerre, que l'on n'avait pas pu établir des cessez-le-feu, qu'ils avaient des moyens fort limités et que, finalement, ils veulent la paix, précisément, et retrouver un état… une situation de paix dans le pays.
Ensuite, Monsieur Kouchner, si je ne m'abuse, au cours de cette réunion, a parlé de certains gestes qui auraient pu être faits : Par exemple, sauver les orphelins, essayer de les sortir et leur donner une vie beaucoup plus sécurisée hors de ce lieu.
Donc, finalement, il a dit qu'il voulait parler aux dirigeants politiques et cet entretien... cette entrevue a pu être organisée les jours qui ont suivi.
Q. Général, durant la période avril à juin 1994, est-ce que la MINUAR protégeait des réfugiés dans Kigali ? Et si oui, pouvez-vous nous dire sur quel site la MINUAR protégeait des réfugiés à Kigali ?
R. La MINUAR avait cinq sites : Le stade Amahoro ; l'hôpital… la zone de l'hôpital du roi Fayçal ; le Méridien… hôtel Méridien ; l'hôtel Mille Collines ; et Sainte-Famille.
Il y avait d'autres sites que je n'ai pas pu... dans lesquels je n'ai pas pu maintenir en permanence du personnel. Mais il m'arrivait de les visiter pour voir comment était la situation.
Donc, les informations concernaient surtout les besoins humanitaires. Et je voulais... Et les gens continuaient d'être attaqués ou enlevés.
Q. Arrêtons-nous sur l'hôtel Mille Collines, sur le site de l'hôtel des Mille Collines ; est-ce que, à quelque moment que ce soit, vous avez eu vent de menaces qui auraient été proférées contre les réfugiés des Mille Collines ?
R. Excusez-moi. J'espère que je vous ai bien compris. La question concernait les réfugiés « à » Mille Collines ?
Q. Oui. Les réfugiés « de » Mille Collines.
R. Et quelle était la question les concernant ?
Q. Est-ce qu'il y a eu des menaces qui ont été proférées contre les réfugiés « de » Mille Collines ?
R. Là, ce serait la manière, probablement, la plus polie de le dire. L'hôtel Mille Collines était constamment encerclé par les militaires, la Gendarmerie ou les Interahamwe. Plus souvent, ce sont les Interahamwe qui encerclaient l'hôtel.
J'avais des observateurs militaires sur place — huit observateurs.
Et, par la suite, j'ai pu déplacer un véhicule blindé à côté, avec une section de soldats tunisiens.
Le site a été envahi ou attaqué à plusieurs reprises. Et les Interahamwe, par exemple, ont essayé d'enlever les gens.
Les observateurs des Nations Unies sont intervenus dans toutes ces occasions.
À un moment, le site a été bombardé et a aussi été l'objet de tirs directs à plusieurs reprises.
Le site était essentiellement un endroit où les Rwandais tutsis s'étaient réfugiés ; c'étaient des Rwandais qui avaient occupé différents postes et responsabilités dans la communauté, au sein du Gouvernement, et avaient cherché refuge dans cet hôtel international.
Q. Est-ce que vous vous rappelez avoir parlé avec le général Kagame au sujet de menaces proférées contre les réfugiés des Mille Collines ?
R. Oui. La réunion que j'ai eue à l'hôtel Mille Collines a suscité une attention internationale sur les personnes qui étaient tenues en otage dans un site spécifique.
Il a manifesté une préoccupation énorme devant le fait que le site avait été ciblé, à plusieurs reprises, par des coups de feu directs et, pour lui, c'était un geste notoire d’un manque de volonté de faire avancer les pourparlers de paix.
Q. Merci, Général.
Général, nous savons — c'est un fait de notoriété — que les FAR ont fini par perdre la guerre ; à partir de quand — je vous demande de nous situer dans le temps — les Forces armées rwandaises, les forces armées gouvernementales ont-elles commencé à effectuer leur mouvement de repli ? Et comment ce repli s'effectuait-il ?
R. Au plan opérationnel — pour être aussi bref que possible — les Forces armées rwandaises ont mené des opérations de repli à mesure que le FPR avançait. Et peu d'informations sur... j'ai peu d'informations sur une quelconque contre-attaque menée par les Forces armées rwandaises.
L'armée s'est repliée très rapidement, poussant la population devant elle et, avec les milices qui menaient des exactions avec les éléments de l'armée sur les populations, il y avait des tueries, des pillages. Et cela s'est poursuivi pendant des semaines. Et il s'agissait essentiellement de faire avancer la population devant elle, pendant qu'elle se repliait vers l'ouest, vers une ligne qui divisait littéralement le pays en deux. Cette ligne se situait vers la deuxième semaine de mai, lorsqu'elle a été délimitée.
Ensuite, Kigali a été encerclé et les forces à l'intérieur de Kigali ont continué de combattre le FPR.
Mais il y avait en même temps un repli, en même temps qu'il y avait donc ces actions de réaction… à mesure que le FPR avançait.
Ensuite, dans la deuxième moitié de mai, il a semblé avoir une décision ou une… un ensemble de… ou un semblant de décision, à savoir que le côté… la partie gouvernementale a commencé à se retirer, même avant les assauts du FPR, et se déplacer vers l'ouest et aussi vers le nord-ouest. Et avec le Gouvernement, des millions de civils étaient déplacés et le processus des tueries se poursuivait lorsque les gens devaient franchir différents barrages.
Et, finalement, les Français ont alors déployé au milieu du mois... se sont déployés au milieu du mois de juin. Et les forces gouvernementales se sont repliées derrière les forces françaises, vers le nord, déplaçant encore des millions de personnes.
Et le 4 juillet, Kigali est tombé. Et, essentiellement à la même date, les FAR se sont repliées avec du matériel, surtout du matériel lourd, ont franchi les lignes à… certains à Goma et d'autres à Bukavu.
Q. Merci, Général.
Général, avez-vous fait paraître un livre, en 2003, qui relate les événements que vous avez vécus au Rwanda ?
R. Oui. Je l'ai fait.
Q. Merci…
R. Oui. Je l'ai fait.
Q. Merci, Général.
Dans ce livre, dans la version française, après avoir écrit à la page 109 que, lors de votre mission de reconnaissance, en août 1993, le général Ndindiliyimana vous avait paru comme l'officier le plus franc, le plus coopératif et le plus ouvert, vous le décrivez ensuite dans ce livre, à plusieurs reprises, à la page 293, à la page 320, à la page 336...
Me BLACK :
Objection !
Est-ce en contre-interrogatoire… ou faites-vous le contre-interrogatoire à ma place ?
Tout ce qu'il peut faire, c'est de demander : « Monsieur Dallaire, pouvez-vous nous donner une impression du général Ndindiliyimana ? » Donc, il ne peut pas « reparler » en utilisant son livre ! On ne peut pas donner une déclaration au témoin en lui disant : « Avez-vous dit ceci ? »
Je peux m’en (inaudible) pour le contre-interrogatoire.
Mais le Procureur ne peut l'utiliser pour corroborer ses propres… les dires de son témoin, il peut simplement demander : « Avez-vous rencontré le Général Ndindiliyimana ? » « Oui. » « Quand ? » « Quelles étaient vos impressions à telle date et telle date ? »
M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)
L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro du Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Demandez-lui quelles impressions il a eues, au sujet de cette personne appelée Ndindiliyimana.
M. BÂ :
Comment... Comment…
Me BLACK :
C'est facile !
Demandez-lui : « Avez-vous rencontré Ndindiliyimana tel jour ? » Et puis, obtenir la réponse. Et laissez-moi utiliser le livre pour le contre-interroger. Vous ne pouvez pas vous servir de ce livre.
On ne peut pas donner à un témoin une déclaration préalable, lui poser encore des questions sur cette déclaration.
M. BÂ :
Je lui soumets simplement des propos qu'il a tenus et je vais lui poser ma question. Je ne le contre-interroge pas !
Me BLACK :
Vous ne pouvez le faire !
M. BÂ :
En vertu de quoi ?
Me BLACK :
Monsieur le Président, cela ne saurait se faire. Aucun témoin ne peut recevoir une déclaration préalable et … contre-interrogé par le Procureur sur cette déclaration.
M. BÂ :
Je ne le contre-interroge pas…
Me MAC DONALD :
Non seulement cela, mais il fait des suggestions au témoin. Ce qui n'a aucun sens !
Me BLACK :
Il faudrait, donc, donner au général Dallaire l'occasion de s'exprimer.
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, voici la position de la Chambre :
Vous ne pouvez pas contre-interroger votre propre témoin.
Vous lui demandez quelles impressions il a eues au sujet de cet homme ; à diverses occasions, il peut l'avoir décrit, à différentes occasions, différemment. Cela est une question différente. Mais demandez au témoin ce qu'il pense de cette personne, il peut dire, à différentes étapes, les… il avait une opinion… (suite de l’intervention inaudible) si son opinion a changé avec le temps.
M. BÂ :
Q. Monsieur… Qu’est-ce que je dis ! Monsieur !
Général Dallaire, quelle serait votre opinion aujourd'hui sur le général Ndindiliyimana si vous aviez à émettre un jugement sur lui ?
Me BLACK :
Non ! Non ! Non ! Il n'est pas là pour émettre jugement sur lui. Non ! Non ! Non !
Monsieur le Président...
M. BÂ :
Je retire !
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
M. BÂ :
Je retire ma question. On n'en parle plus ! On n'en parle plus.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Retirez la question.
M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)… pousser des cris d'enfer ! Je retire la question. Mais je suis sûr que vous ne le contre-interrogerez pas sur ça.
Q. Général, nous allons revenir un peu sur Jean-Pierre. Nous sommes presque à la fin.
C'est une bonne nouvelle, ça, je crois, pour la Chambre.
Général, quand avez-vous quitté définitivement le Rwanda ? (Suite de l’intervention inaudible)… ma question.
R. J'ai quitté le Rwanda le 19 août 1994.
Q. En août 94, si vous aviez à jeter un regard rétrospectif sur les sept mois écoulés, les sept ou huit mois que vous veniez de vivre, diriez-vous encore que Jean-Pierre... l'information que vous avait fournie Jean-Pierre, en janvier de la même année, restait encore crédible ?
R. Je peux dire, sans risque de me tromper, que presque tout ce que Jean-Pierre nous avait dit ne s'est pas passé... s'est passé au cours de la guerre civile et du génocide au Rwanda.
Q. Avez-vous vu les listes, vous ou vos observateurs, les listes dont il vous avait parlé ?
R. Oui. À un moment donné, nous avons reçu des listes de noms de personnes qui, nous avons dit… nous avons… nous avons… nous avions été dit… qu'ils étaient des cibles. Je ne peux mettre une date précise ni de noms sur cette liste. Je pense qu'il y avait environ 100 noms sur la liste.
Nous avons vu également la Garde présidentielle, dans la matinée du 7, qui passait d'une maison à l'autre, avec des feuilles de papier qu'ils consultaient, alors qu'ils passaient d'un lieu à un autre. Cette observation, ce sont mes observateurs qui ont eu à la faire à un moment donné.
Q. Merci.
Les tueries de Tutsis à grande échelle, les avez-vous également vues ? (Suite de l’intervention inaudible)… qu'ils sont contenus dans son (inaudible) cablé du 11 janvier… vous en parlez dans votre (inaudible) cablé du 11 janvier, au paragraphe 6 ; est-ce que vous avez eu à expérimenter ces tueries ?
R. À plusieurs occasions, nous avons dû négocier pour pouvoir arriver sur les sites de tueries de grand nombre de personnes : À une occasion, 2 000 personnes sur un dépotoir ; les missions, les églises ont été transformées en abattoirs ; les gens ont été tués à coup de machette. Nous avons pu le déterminer par la suite.
Il y avait des corps qui jonchaient ces endroits et il était même devenu dangereux de s'y aventurer du fait de la décomposition des corps et des odeurs pestilentielles. Et parfois, nous avons pu empiler les corps et les brûler à l'aide de carburant.
Il y avait une prolifération du VIH sida, car… nous étions préoccupés par les possibilités d'infection par ce moyen également.
Q. Dernière question sur ce sujet : La collaboration « armée, milices » dont vous parlez, « armée, gendarmerie, milices », « armée, milices » dont vous parlez au paragraphe 4 de votre (inaudible) cablé, est-ce que vous avez eu à l'expérimenter ?
R. La collaboration que nous recherchions, à plusieurs reprises, concernait la milice, les forces militaires. Tel que cela a été « déployé », ces forces n'étaient pas sur la ligne de front en tant que telles, à l'exception de Kigali où les Interahamwe ont collaboré avec les forces gouvernementales, lorsque la ville était sous attaque.
Et ce que nous voulions, par l'entremise des milices ou des miliciens, nous pouvions l'obtenir par le biais de l'armée et également par le biais du colonel Bagosora.
Lorsque nous avons fait nos échanges d'éléments, un certain nombre de points étaient tenus par les militaires et, parfois, la Gendarmerie et, également, par les miliciens, tout à la fois. Ainsi donc, ils collaboraient cote à cote. Mais il y avait également tellement de miliciens ou civils qui avaient pris part aux massacres, à tous ces postes de contrôle ! De telle sorte que ces personnes ont envahi, ont pris d'assaut, en nombre et en chiffres, les nombres de personnes ou de militaires qui opéraient sur ces points… Et cela inclut également la Gendarmerie — excusez-moi.
Q. Merci, Général.
Général, on va bientôt atterrir…
En 1994, est-ce que vous aviez un conseil juridique mis à votre disposition ?
R. La mission avait grande priorité… ou une priorité réduite. Et le personnel a mis du temps à être recruté, cela a pris plus de six mois. Je n’avais pas de conseiller juridique, je n'avais pas un organe humanitaire ou une cellule chargée des questions humanitaires, en tant que telle.
Q. Les textes législatifs et réglementaires qui régissaient les Forces armées rwandaises, la Gendarmerie rwandaise ou qui réglementaient la discipline au sein des Forces armées rwandaises, ces textes-là étaient-ils connus de vous ? Aviez-vous pu les étudier ?
R. Non. En fait, nous n'avons jamais eu accès. Je ne me souviens pas non plus avoir examiné la structure constitutionnelle de l'armée, qu'il s'agisse de son code intérieur disciplinaire de conduite.
L'armée rwandaise était une armée dans un pays qui était reconnu comme étant un État, un État souverain. L'armée et la Gendarmerie, tout à la fois, avaient beaucoup d'éléments… ou de conseillers français et belges, tout au long des années, qui étaient toujours très actifs dans les unités, y compris l'unité « élite » qui les aidait à mettre en place, à construire cette force militaire, et cela, pour faire face aux exigences du Gouvernement.
M. BÂ :
Pour terminer, nous allons reprendre la carte que nous avions utilisée hier un bref moment, juste pour une question.
Monsieur Roger, est-ce que vous pouvez remettre à sa disposition la carte ?
(Le représentant du Greffe à Ottawa s'exécute)
Q. Oui. Général, hier… Oui ?
(Intervention inaudible du représentant du Greffe à Ottawa)
Hier, vous nous aviez circonscrit la partie du territoire qui était occupée en août 1993 par le FPR, la zone démilitarisée, ainsi que la zone occupée par les forces armées gouvernementales.
Est-ce que les deux parties en conflit ou les deux parties ex-belligérantes avaient chacune un commandement structuré et exerçaient un contrôle effectif sur le territoire qu'elles contrôlaient… sur le territoire qui… un contrôle effectif sur ses troupes et sur le territoire sur lequel ils étaient implantés ?
R. La réponse est oui.
Dans la zone du FPR, il y avait huit secteurs qui avaient une organisation militaire très précise avec beaucoup de discipline.
Et un accent mis sur l'entraînement dans la zone gouvernementale qui était divisée en secteurs, sur tout le pays, avec une grande concentration de troupes dans la localité de Byumba, la localité de Ruhengeri, dans la capitale. Et il y avait moins de camps dans la zone sud, dans la zone de Butare.
Pour ce qui est de la Gendarmerie, elle était dépêchée ou déployée sur tout le pays avec une force importante de réaction, une force de réaction dans la zone de Kigali.
Les commandants, pour ce qui est de mes visites sur le terrain, lorsque je suis allé à Ruhengeri, lorsque Bizimungu était le commandant de secteur de bataillon dans la zone de Byumba, et sur le flanc ouest, ils étaient donc en communication et ils recevaient les directives de leur quartier général de Kigali.
Cependant, les forces gouvernementales étaient plus limitées, je pense, en termes de ressources. Ils avaient très peu de structures médicales, le choléra faisait ravage. Ici, il y avait des limitations également dans la zone de Ruhengeri. Et, précisément, les troupes les mieux nanties, c'est-à-dire l'unité de l'élite, étaient concentrées à Kigali avec le bataillon commando dans cette zone.
Q. Merci, Général.
Général, lorsque vous vous êtes rendu au Rwanda, en août 1993, pour votre mission de reconnaissance, est-ce que les deux parties s'engageaient à respecter les deux commandements, s'engageaient à respecter les Accords d'Arusha et le droit international ?
R. Eh bien, en fait, avant que nous ne prenions la décision, à New York, d'envoyer une délégation, l'ancien Ministre Gasana et Jean-Pierre Bicamumpaka ont visité New York, pour renforcer la conviction que le processus de paix était essentiel et qu'il fallait une petite force pour les aider à appliquer ces pourparlers, tandis que les négociations, dans les deux parties… dans l'interprétation des Accords d'Arusha se faisaient, en vue d'éclaircir les détails, en vue d'appliquer l'Accord de paix.
Toutefois, je vous indiquerais que la volonté de coopérer avec ma mission et de nous fournir les moyens en vue d'accomplir notre tâche, comme force neutre, a reçu différents niveaux de succès en fonction de la personne avec laquelle j'ai traité, que ce soit du côté du FPR… du FPR que du côté des FAR.
M. BÂ :
Monsieur le Président, le Procureur souhaiterait verser cette carte comme pièce à conviction.
Général Dallaire, je vous remercie infiniment.
Monsieur le Président, après cette pièce à conviction, j'en ai fini... j'en aurai fini avec mon interrogatoire principal.
M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie.
La carte qui a été identifiée par le… matérialisée par le général Dallaire, Monsieur le Représentant du Greffe au Canada, veuillez y inscrire le numéro P. 120.
(Admission de la pièce à conviction P. 120)
M. KOUAMBO :
Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Oui, Maître Mac Donald.
Me MAC DONALD :
Honorables Juges, j'ai dit hier que je voulais contre-interroger en dernier pour les raisons que j’ai indiquées…
M. LE PRÉSIDENT :
Vous pouvez vous mettre d'accord entre parties.
Me MAC DONALD :
Je pense que Maître Black contre-interrogera.
Mais ma situation est un peu précaire, comme je l'ai dit. J'ai commencé avec le général Dallaire, j'ai couvert un certain nombre de domaines. Mais avant d'y aller, il faudrait que je consulte mon client. Donc, peut-être d'ici quinze ou vingt minutes, je pourrai commencer.
M. LE PRÉSIDENT :
Maître Segatwa et les autres parties, vous connaissez l'Acte d'accusation, vous connaissez les preuves présentées ; pouvez-vous me donner l'indication du temps ?
Me TAKU :
Nous ferons le contre-interrogatoire au moment approprié, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Combien de temps le contre-interrogatoire vous prendra-t-il ? Pour que nous puissions diviser…avoir une idée des différentes personnes qui interviendront ?
Me TAKU :
Me posez-vous la question ? Un instant, Monsieur le Président.
M. LE PRÉSIDENT :
Quelquefois, le silence est d'or !
Me BLACK :
Je me dis que commençons d'abord, ensuite terminons, ensuite Maître Mac Donald et moi, nous serons toujours à la suite.
Je ne me sens pas tout à fait à l'aise pour commencer ce soir. Si les autres parties ont des questions brèves, comme d'habitude, peut-être elles peuvent utiliser le temps qui nous reste pour leur contre-interrogatoire.
M. LE PRÉSIDENT :
Vous pouvez donc commencer.
Me TAKU :
Au minimum, il me faudra quatre heures, mais peut-être moins.
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Vous l’avez dit, commencez et nous verrons jusqu'où vous arriverez.
Me TAKU :
Juste une minute, Honorable Juge.
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Maître Segatwa, allez-vous utiliser moins de temps que Maître Taku ? Auquel cas, vous pouvez commencer en premier.
Me SEGATWA :
Non, Monsieur le Président. Cela dépendra des points que Maître Taku va couvrir. Mais à mon sens, très sérieusement, je ne vois pas comment je pourrais terminer en moins de deux jours, ça m’étonnerait. Alors, vous allez me donner au moins… C'est au minimum, Monsieur le Président. Évidemment, comme vous l’avez dit, quand je vais terminer mes deux demi-journées, je vous demanderai de m’ajouter encore une journée.
Merci, Monsieur le Président.
À moins, bien sûr, qu’elle couvre…
M. LE PRÉSIDENT :
Eh bien, normalement, au vu du temps qui nous reste, vous devez pouvoir finir, si vous maîtrisez votre affaire.
M. BÂ :
Monsieur le Président, s’il vous plaît ?
Est-ce qu'on peut faire la comptabilité du temps que nous avons pris en interrogatoire principal ? Je vous rappelle qu'hier, nous avons commencé à 16 heures. Je ne pense pas avoir pris plus de huit heures… sept ou huit heures.
Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je crois que c'est très facile d'accuser, mais c’est difficile de se défendre. Et je crois que la Défense prend toujours un plus de temps que l'Accusation et c’est tout à fait normal. De toute façon, on ne va pas perdre du temps. C’est sous votre direction, Monsieur le Président.
Si je répète les questions, vous allez me le dire. Mais je suis sûr aussi que, avec votre compréhension, vous n'accepterez pas… (fin de l’intervention inaudible).
M. LE PRÉSIDENT :
Je pense qu'il est peut-être mieux que Maître Taku commence.
Maître Taku, vous pouvez commencer.
Me TAKU :
Auquel cas, Monsieur le Président, je n'ai pas de problème à commencer, si vous en décidez ainsi.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
Puisque les deux autres discutent, laissez-les revenir demain.
Me TAKU :
Je vous remercie, Monsieur le Président.
Avant de commencer, je vais demander à mon assistant juridique de remettre quelques documents au Greffe, documents que j'exploiterai — j’ai des copies —, afin que nous puissions aller très rapidement.
(Le greffier d'audience s'exécute)
M. BÂ :
Monsieur le Président, je ne voudrais pas paraître importun, ni de vous parler de mes problèmes domestiques, mais je traîne une petite grippe depuis mon voyage du Canada.
Est-ce qu'on ne pourrait pas suspendre à cette heure et reprendre demain « matin » ? Je ne sais pas, 13 heures ou 15 heures ? Je me suis bourré de paracétamol pour pouvoir être ici.
Me SEGATWA :
Je vous soutiens…
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Monsieur le Procureur, si vous ne vous sentez pas bien, vous pouvez vous retirer, il y a d'autres qui pourront s'occuper de votre intérêt.
Me BLACK :
Dans ce cas, j'appuie sa demande, parce que j'ai également une infection pulmonaire.
M. LE PRÉSIDENT :
Je connais les contraintes ! Mais le problème, c'est que nous devons également travailler dans le temps qui nous a été imparti.
Me BLACK :
Ne pouvons-nous pas commencer une heure plus tôt ?
M. LE PRÉSIDENT :
Non. J’aurais bien commencé plus tôt, mais il y a une autre vidéoconférence qui a lieu dans cette même salle. Nous allons, donc, essayer d’utiliser au mieux le temps qui nous est disponible.
Monsieur Bâ, vous êtes autorisé à vous retirer, si vous ne vous sentez pas bien.
Oui. Maître Taku, vous pouvez commencer.
Nous irons jusqu’à 8 h 10 et, ensuite, nous nous arrêterons.
M. BÂ :
Non. Je tiens le coup, Monsieur le Président, ne vous en faites pas.
Me TAKU :
Juste un instant.
Honorables Juges, je me demande si cette dame que nous avons là-bas...
M. LE PRÉSIDENT :
Ces documents ont-ils été envoyés ?
Me TAKU :
Nous avons le compte rendu de l’audience…
M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le représentant du Greffe, avez-vous tous les documents qu'exploitera Monsieur Taku ?
M. KOUAMBO :
Tous les documents qui m’ont été remis, je les ai avec moi.
M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.
Ils ont vos documents, Maître Taku.
CONTRE-INTERROGATOIRE
PAR Me TAKU :
Je ne sais pas quelle heure il est au Canada, mais je suppose que nous sommes dans l'après-midi.
Bon après-midi, Général.
M. DALLAIRE :
Bon après-midi, Maître.
Me TAKU :
Q. Général Dallaire, comme vous le savez tous, le Rapporteur spécial des Nations Unies au Rwanda, le professeur Degni-Ségui, a qualifié l’assassinat du Président Habyarimana, son homologue burundais, et d'autres, par l'abattage de leur avion au moment de l'approche vers l'aéroport de Kanombe, en cette soirée funeste du 6 avril 1994, comme l'étincelle qui a mis le feu aux poudres au Rwanda.
Si je vous ai bien compris, pendant votre interrogatoire principal, vous avez continué à vous y référer comme à un accident d'avion.
Pour votre gouverne, Général Dallaire, depuis hier, le Procureur français a donné l'ordre au général (sic) Bruguière d'émettre un mandat d’arrêt international à certains hauts responsables rwandais, notamment le général Kagame, le général Kagarere, soupçonnés d'être les responsables de cet acte odieux. Il est dit qu'ils ont conspiré. Et cela apparaît au moment où vous êtes appelé à déposer sur ces événements tristes.
La raison pour laquelle je le dis, Général Dallaire, c’est que plusieurs questions que nous avons préparées « à vous poser » ont déjà été posées dans des procès passés, Militaires I et Akayesu… Donc, donnez-nous les mêmes réponses, si vous le pouvez, réponses que vous avez données en ces affaires. Cela permettra à la Chambre de gagner du temps.
Le comprenez-vous, Général Dallaire ?
M. DALLAIRE :
R. Je comprends bien.
Vous allez… Allez-vous utiliser les pièces d'autres affaires ? Si vous avez l'intention de couvrir les mêmes domaines, c'est à vous de décider.
Q. Très bien.
Général Dallaire, pouvez-vous rappeler à cette Chambre votre arrivée au Rwanda, en vue de prendre vos fonctions dans le cadre de la MINUAR ?
R. Excusez-moi, je n'ai pas bien compris.
Que voulez-vous que je rappelle à la Chambre ?
Q. Je vais répéter la question, Général : Pouvez-vous, s’il vous plaît, rappeler à la Chambre à quelle date vous êtes arrivé au Rwanda, en vue de prendre vos fonctions à la tête de la MINUAR ?
R. Ma date d'arrivée au Rwanda était le 27 octobre 1993, en tant que chef de mission et commandant de la force de la MINUAR.
Q. N'est-il pas exact, Général Dallaire, que, au moment où vous avez pris vos fonctions, des soldats du FPR ou des Forces armées rwandaises occupaient encore des positions opérationnelles, malgré la signature des Accords d'Arusha le 4 août 1993 ?
R. Dans mon étude des événements, les forces qui étaient en place à la signature avaient été déplacées vers des positions défensives, de part et d’autre de la zones démilitarisée ; une zone démilitarisée assez étrange, quelque chose d'environ 100 mètres de largeur. Mais ils étaient en position défensive. Et les forces ne s'étaient pas déplacées de ces positions suite à la signature des Accords d'Arusha.
Q. Et n'est-il pas exact, Général Dallaire... n'est-il pas vrai que la situation est restée inchangée, et cela, jusqu'au moment de l'attaque de l'avion présidentiel ?
R. Au cours des négociations politiques fort difficiles, il y a eu des mouvements de troupe. Et avant que l'on ne mette en place un système d'artillerie lourde et que l'on ne les sorte de la zone restreinte de Kigali, déployée au nord et à l'est, la période, dirais-je, la dernière partie d'avril… fin avril… fin mars, début avril… disons, début avril, nous avons eu une incursion du FPR, des incursions de la mission de reconnaissance. Et à deux reprises, nous avons été dans les retranchements du FPR — sur les collines, dans le DMC — et qui étaient à quelques encablures de Byumba. Et ils ont reçu instruction d'être retirés et renvoyés. Cela a été fait par moi-même et mes troupes.
Q. Au poste que vous occupiez, Général Dallaire, c'est-à-dire responsable de la mission militaire, pourriez-vous donc dire à la Chambre ce que voulait dire la situation dont vous venez de nous entretenir, que vous venez de nous décrire ?
R. Les actions des forces gouvernementales pour retirer le système d'artillerie lourde faisaient montre de la flexibilité. Je n'avais pas une grande force d'observation pour dire où se trouvaient ces systèmes et s'ils étaient hors de la zone démilitarisée.
Il y a eu des incursions du FPR. Il y a eu également des occasions au cours desquelles les troupes se trouvaient à quelques encablures les unes des autres. Et, selon moi, c'était une mission de reconnaissance sur le terrain qui testait notre capacité à entrer dans la zone démilitarisée et, également, la position que je considérais comme… à forte intention…
M. LE PRÉSIDENT :
Veuillez prendre note des observations des interprètes. Si possible, veuillez améliorer la qualité de la réception.
Me TAKU :
Q. Général, n'est-il pas vrai... Général Dallaire, n'est-il pas vrai qu'il était convenu, de la part de la MINUAR, que le FPR... ou, plutôt, le FPR et le Gouvernement rwandais… que la capitale Kigali soit déclarée « zone libre en arme… » et que l'on l'appellerait « zone sécurisée de Kigali » ?
R. L'instruction était de mettre en place un nouveau concept, « zone sans arme », qui, dirais-je, est différent d'une zone sans arme. Il s'agirait d'une mission qui consisterait à consigner toute arme, et cela, pour établir le contrôle direct des Nations Unies. Nous n’aurions suffisamment de ressources à déployer dans cette zone pour nous assurer que l’on n’y amenait aucune arme ou que l’on n’en sortait aucune arme.
Il y avait un bataillon des ex… de l’ex-belligérant, de l'autre ex-belligérant, qui, dans le cadre de l’Accord de paix, devait obtenir la protection des dirigeants du FPR.
Nous ne pouvions pas mettre en place une zone de consignation d'armes tant que nous n'avions pas sécurisé cette zone ; et pour ce faire, nous devions avoir une mainmise avec les ex-belligérants sur ce système.
Et cela était acceptable en application des Accords de maintien de la paix. Nous étions d'accord.
Et les deux parties voulaient la paix, les deux parties voulaient, donc, faire montre de ce qu'elles faisaient de leur mieux pour assurer qu'elles s'attelaient à appliquer les Accords de paix. J'étais là tout simplement en qualité d'observateur pour m'assurer qu'il n'y avait aucune mauvaise application de ces Accords.
Q. Serait-il exact... Serait-il avéré, Général Dallaire, d’affirmer que les objectifs sous-jacents à la création de cette zone de consignation d'armes étaient au nombre de trois ?
Première raison : Assurer l'établissement, dans la paix et sans heurt, d'un Gouvernement de transition à base élargie.
Deuxième raison : Assurer la sécurité pour la grande communauté des expatriés qui résidaient à Kigali, et, également, étendre cela à toute la population de Kigali.
Troisième raison : Contrôler les déplacements, les activités des éléments des forces gouvernementales, le FPR et toutes forces à Kigali et dans les alentours.
R. J'essaie, de mémoire, de me rappeler les directives précises.
Je ne suis pas très sûr de la deuxième directive en ce que le mandat consistait à aider les Rwandais à établir une ambiance de sécurité. Le KWA (sic) était l'un de ces outils et c'était l'un des instruments utilisés. Je ne sais pas d'où vous tirez ces informations. Et s'il s'agit du KWSA, je le corrobore et je serais heureux d'avoir ces informations.
Q. N'est-il pas vrai, Général Dallaire, que l'objectif premier du KWSA de la zone de consignation des armes était de protéger le contingent du FPR, tel que déployé au CND ?
R. Non. Il ne s'agissait pas de protéger le contingent du FPR, il s'agissait de s'assurer que ces hommes… ce contingent… sa sécurité répondait à un plan structuré et que les ex-belligérants, eux-mêmes, s'y engageraient, s'y attacheraient. Et de part et d'autres, il s'agissait d'un outil pour donner une garantie transparente en matière de bonne volonté.
N'oubliez pas que Kigali est une mégalopole qui a connu d'autres guerres et que les risques d'altercation pouvaient être très forts si nous n'avions pas un outil pour gérer les outils… ou les armes dans l'environnement le plus sécurisé qui soit.
Q. Général, pourriez-vous expliquer à la Chambre le sens de la paraphrase « contrôler la circulation, les activités des éléments de l'armée ? »
R. À l'époque, dans ce contexte, au mieux de mes connaissances, cela voulait dire que les troupes, d'un côté ou de l'autre, des ex-belligérants n'étaient pas autorisées à se déplacer sans contrôle à l'intérieur de la zone. Et nous nous étions accordés sur la taille des forces... le nombre des forces qui pouvaient se déplacer sans escorte et, également, le nombre… qui pouvaient se déplacer sous escorte. Et cela dans une procédure d'alerte.
À titre d'exemple, nous avions eu deux « exemples » de la Garde présidentielle qui menaient des entraînements le matin, qui, donc, couraient dans le CND en scandant des chants patriotiques ou de guerre ; cela n'était pas autorisé dans ce cadre et nous avons dû attirer l'attention du commandant et le tir a été rectifié.
Il s’agissait de s'assurer que nous n'avions pas de déplacements de troupe d’une importance quelconque au sein du KWSA qui pouvaient créer des altercations, des frictions qui pourraient dégénérer et créer des conflits entre les deux troupes.
Q. Êtes-vous d'accord avec moi que cette définition a une connotation négative ou péjorative ?
L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
« A une connotation d'ordre général » — reprend l'interprète.
Me TAKU :
Je vais reprendre ma question.
Q. Ma question est la suivante : Général, êtes-vous d'accord avec moi que la définition « qu'il » vient de nous donner a une connotation générale ?
R. Oui. Je suppose que cela serait le cas, si nous n'avions pas précisé dans ce document volumineux, c'est-à-dire le Règlement du KWSA, ce que voulait dire cet objet, c'est-à-dire définir les structures, les méthodes d'information, le nombre d'escortes, la taille que je devais fournir en matière d'escorte — et j'en passe ! Et tout cela pour essayer d'établir cette ambiance de sécurité, mais avec des directions ou dans une direction bien précise et spécifique.
Q. N'est-il pas vrai, Général, que dans chaque camp militaire de Kigali, vous aviez des observateurs militaires pour contrôler et assurer que l'on respectait cette convention dont vous venez de parler ?
R. Le plan appelé « anti-détachement », quelquefois composé de deux ou quatre éléments… d'observateurs militaires à déployer dans les différents camps de l'armée et de la Gendarmerie, dans la zone de consignation des armes de Kigali, y compris également l'aéroport, à titre d'exemple… ils avaient pour rôle de surveiller et de donner des informations sur les mouvements de troupe, la circulation des armes et autres choses semblables.
Le camp avait des observateurs qui devaient toujours être présents ; mais il n'y avait pas ce genre d'observateurs, il n'y avait pas assez de véhicules et il n’y avait pas suffisamment de communication. À un certain moment, je n'avais aucune communication avec les observateurs, même par téléphone. Donc, je me tromperais si je vous disais que le système était efficace à 100 %.
Q. Dans tous les cas, Général, n'est-il pas exact de dire que ces observateurs, dans le cadre de la Convention, étaient permanemment de garde de jour et de nuit dans les camps militaires ?
R. Oui. Il devait y avoir une rotation à chaque site. Les gens devaient rentrer, être relevés à différentes heures de garde ; peut-être certains trois heures à la fois, d'autres vivaient même dans une sorte de résidence ou de chambre mise à leur disposition. Mais les effectifs, à un certain moment, ne permettaient pas qu'il y ait une rotation sept jours sur sept, 24 heures sur 24, en ce qui concerne les « armes » qui étaient situées dans ces sites.
Q. En termes concrets, Général, quelle était la mission de ces observateurs ?
R. Leur rôle consistait à s'assurer que les forces qui se trouvaient dans ce camp, sur ce site, devaient observer les règles de la zone de consignation des armes, en ce qui concerne le mouvement de troupe, le contrôle de système d'armement, le contrôle des munitions et y compris le contrôle, à titre d'exemple, des exercices de la formation avec des munitions réelles ou à blanc, comme on le voyait dans des exercices militaires.
Q. N'est-il pas exact, Général, que les observateurs des Nations Unies ont apposé des scellés sur tous les dépôts d'armes et de munitions dans les camps militaires de Kigali ?
R. C'était là une procédure de contrôle.
Toutefois, cette procédure n'était pas utilisée fréquemment parce que nous ne pouvions pas savoir ce qu'il y avait dans les « termes » de la zone de consignation, parce qu'il fallait maintenir l'efficacité des troupes ; ce qui signifiait qu'à certains moments, ces troupes allaient utiliser les armes dans le camp à des fins de formation. Donc, la méthode qui a été préférée était la méthode de décompte du nombre de systèmes d'armement et la consignation sur papier du nombre de munitions qui se trouvaient dans les différents dépôts.
Q. Général, avez-vous effectué les mêmes contrôles sur les dépôts d'armement du FPR ?
R. Le contrôle des armes, dans le cantonnement du FPR, devait suivre le même plan de répartition, en ce qui concerne les systèmes d'armement sous contrôle et les armes destinées à leur propre sécurité, dans leur cantonnement où « détenait » la formation, dans le cantonnement, tel que cela était autorisé dans les autres casernes des FAR…
Q. La question, Général, est la suivante : Avez-vous effectivement mené les mêmes contrôles sur les dépôts d'armement du FPR ?
R. Eh bien, au mieux de mes souvenirs, oui.
Un exemple en est qu'à une occasion, un avion belge de reconnaissance a survolé le CND et le FPR a déployé un armement lourd, une mitrailleuse lourde ; et nous sommes intervenus en leur demandant pourquoi ils avaient déployé cet armement sans notre autorisation. C'est le meilleur exemple que je puis vous citer relativement au contrôle des armements au sein du CND.
Q. Général, le FPR vous faisait-il... vous envoyait-il des rapports ?
R. Voulez-vous poser à nouveau la question, s'il vous plaît ?
Q. La question est la suivante : Ces observateurs vous envoyaient-ils des rapports ?
R. Les rapports des observateurs étaient envoyés à la chaîne des observateurs militaires et… le détachement des observateurs qui étaient sous le commandement du secteur de Kigali. Et c'est ce secteur qui, donc, collectait les informations reçues, notamment le non-respect des règles. Donc, au quartier général du secteur de Kigali, c'est là-bas qu'ils étaient chargés de faire vérifier toutes ces informations relatives à toute la région.
Q. Maintenant, Général, ces rapports étaient-ils quotidiens ? Hebdomadaires ? Mensuels ? Trimestriels ? Ou des rapports qui arrivaient de temps à autre ?
R. Eh bien, l'accès limité que nous avions…. Je dois dire que ce n'est pas surprenant que des rapports soient faits exceptionnellement par écrit, la plupart des rapports étaient oraux à l'endroit du quartier général « subordonné » comme cela se faisait dans tous les échelons de la structure de commandement.
Q. Général Dallaire, avez-vous jamais eu rapport d'une violation de cette zone — cette zone, c'est-à-dire la zone de consignation des armes de Kigali — par les Forces armées rwandaises dans l'un quelconque des camps militaires situés à Kigali ?
R. Je me rappelle des situations où il y avait des confrontations. Et ces confrontations devaient être résolues au niveau du quartier général « subordonné ». Je me rappelle, en particulier, que les observateurs au camp de la Garde présidentielle bénéficiaient de (inaudible) par coopération, ainsi que les bataillons, le commandant en particulier.
En dehors de cela, il y avait des événements mineurs. Il y avait, bien entendu, un avion qui est arrivé plein de munitions et certains véhicules qu'on a trouvés chargés de munitions. Mais rien qui n'avait un lien étroit avec les Forces armées rwandaises ou le FPR.
Q. Général Dallaire, avec qui avez-vous abordé la question de ces violations dont vous venez de parler ?
R. Les violations ont été examinées par le commandant de secteur de Kigali. Normalement, j'aurais dû le faire.
Nous avions convenu, avec le Ministère de la défense, qu'un certain nombre de hautes personnalités devaient être autorisées à garder leur armement personnel. Et à ce titre, le Ministère de la défense… le Ministre de la défense m'avait promis une liste de 89 personnes auxquelles nous devions fournir des cartes d'identité spéciales pour qu'elles se présentent à chacun de nos contrôles et qu'elles puissent montrer qu'elles avaient l'autorisation pour un port d'arme personnelle pour leur propre sécurité. Et après de nombreuses demandes, je n'ai jamais reçu cette liste. Et il y a eu quelques incidents dans lesquels des hautes personnalités ont été stoppées. Cela a créé quelques embarras… quelque embarras.
D'autres situations ? Eh bien, je recevais des plaintes émanant du Ministère de la défense. Et je me rappelle le chef de l'État de l'armée à l'époque ; selon eux, le FPR introduisait des armes, dans le convoi logistique du Burundi, dans le CND.
Toutefois, mon escorte qui les accompagnait a effectué les vérifications et nous n'avons jamais trouvé la moindre arme dans le système de transport qui était utilisé pour venir au CND.
M. BÂ :
Une petite précision, Maître Taku. J'ai entendu dans la traduction française : « Dans le convoi qui venait du Burundi » ; est-ce que c’est bien « Burundi » ?
Me TAKU :
(Intervention non interprétée)
M. BÂ :
En français, j'ai entendu « Burundi » ; est-ce que c'est Burundi ou Mulindi ?
Me TAKU :
(Intervention non interprétée)
M. BÂ :
Mais en français, ils ont dit « Burundi ».
M. LE PRÉSIDENT :
Mulindi. Mulindi.
L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS:
Correction : « Mulindi ».
La qualité du son n'autorise pas ce genre de précision. « Mulindi », probablement.
M. LE PRÉSIDENT :
Oui.
Maître Taku, si vous le jugez convenable, nous pouvons nous arrêter.
Me TAKU :
J'ai encore deux questions sur ce sujet.
Q. Général Dallaire, avez-vous eu la moindre indication que ces armes... un accord de sécurité a été publié au sein des différentes unités à Kigali, que cet accord avait été diffusé ?
R. La responsabilité de la publication de ces informations incombait à la bonne volonté des deux ex-belligérants. Et si je ne me trompe, nous avons aidé à la traduction de ce document, pour nous assurer qu'il y avait une copie en français pour que « l’attribution » soit complète au sein des Forces armées rwandaises. Les observateurs avaient des portions de cet Accord, mais je ne suis pas certain que tous les observateurs en avaient copie. Je dois dire que je ne suis pas allé jusqu'à contrôler ces détails.
Q. Général, vous avez dit dans votre déposition, dans le cadre de l’interrogation… de l'interrogatoire principal, hier, que vous avez été informé de la présence d'armes lourdes dans la région natale du Président.
Cependant, nous prenons acte de votre déposition, à savoir que vous n'avez jamais enquêté sur cette information et que, par conséquent, vous ne pouvez dire si elle était exacte ou fausse.
Au cas, toutefois, où de telles armes devaient être trouvées dans la zone… dans la région natale du Président — ce que nous nions —, cela ne pourrait-il pas être facile de l'expliquer par une attaque du FPR ?
R. Les systèmes d'armement… les systèmes d'armement lourd qui ont été sortis de Kigali, juste avant la mise en place de la zone de consignation des armes, « s'est » fait, je dirais, « pas dans la meilleure foi ». Parce que la zone de consignation des armes devait comprendre tous les systèmes d'armement qui se trouvaient, à la signature des Accords, déployés à l'intérieur de Kigali. Et ainsi donc, les régiments d'artillerie étaient à Kigali, le régiment de reconnaissance se trouvait à Kigali. Et, en tant que tels, leurs systèmes d'armement auraient dû y rester.
Parce que lorsque j’ai effectué ma reconnaissance en août, j'ai vu les systèmes d’armement. Je ne veux pas dire qu’ils y étaient tous, mais un nombre important d’armements s’y trouvait. Et lorsque nous avons mis en place la zone de consignation des armes, une grande partie de ces armes avaient déjà été déplacée.
Vous avez tout à fait raison, je n'ai pas mené une enquête subséquente sur le site natal du Président. Il faut savoir qu'il y avait 23 autres sites « dans » l’intérieur la zone de consignation et dans son périmètre, où nous avons reçu des informations selon lesquelles il y avait des caches d'armes à ces endroits.
Un certain nombre… Pour un certain nombre de celles-ci, j'ai essayé d'obtenir l'autorisation des Nations Unies, en dernière « analyse », bien que je pensais que j'aurais pu le faire moi-même, pour aller vérifier ces sites qui ne se trouvaient pas dans la zone de déploiement normal des forces militaires dans le cadre des Accords de paix. Cela, à mon sens, me donnait une autorité pour que j'aille enquêter là-bas.
Cependant, puisque toutes ces zones se trouvaient dans la zone des Forces armées rwandaises, lorsque j’ai… après que les Nations Unies aient démontré qu'ils n'étaient pas désireux que nous allions enquêter sur ce système, on a estimé que je ne pouvais pas le faire, puisque cela ne rentrait pas dans le cadre de la mission. Donc, nous étions encore en train de discuter, négocier cet aspect en avril et, si vous vous rappelez, je venais juste de commencer de mener certains de ces raids.
Q. Ma question, Général Dallaire, est la suivante… Je vais la reprendre. Apparemment, vous donnez une autre réponse à une autre question. La question est la suivante : Vous avez déclaré, hier, que l'on vous a informé de la présence d'armes lourdes ; et… corroborez-vous votre déposition d'hier et pourrez-vous la comparer à ce que vous dites à présent ? Que vous n'êtes jamais revenu sur cette information et que vous ne pouvez, en dernière instance, dire si cette information est avérée ou non ? En tout état de cause, si cette « réponse » doit être retrouvée dans la zone natale du Président, alors, l'allégation serait fondée ; mais ne pourrait-on pas expliciter cela plus aisément par le biais d'une attaque du FPR ? Telle était ma question.
R. Je vais être plus précis. Merci de porter tout cela à mon attention.
Si vous vous rappelez (inaudible) les questions d'ouverture de votre contre-interrogatoire, vous m'avez parlé du déploiement de forces armées à la signature des Accords de paix. Et lorsque j'ai mené ma reconnaissance, j'ai dit qu'ils avaient été déployés sur des positions défensives, conformément aux Accords de paix, pour permettre, par la suite, la démobilisation, et que ce système d'armement était tel qu'il était au moment de la signature. Cependant, un certain nombre de systèmes d'armes dans la zone ou bien dans le (inaudible) ont été en mouvement dans la zone.
Nous parlons d'autre chose, nous parlons des Accords de paix en tant que tels ; et si nous nous remettons dans le contexte, les deux parties voulaient la paix, la transparence, une force neutre qui les aiderait à assurer la paix. Pourquoi déployer des systèmes d’armes lourdes en cas d'une attaque du FPR, alors que nous essayions de déployer une opération d'envergure de maintien de la paix ?
Q. Général, vous ne comprenez pas ma question. Ma question...
L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Interruption !
Me TAKU :
Q. Général, je m'attachais à votre déposition d'hier : Aucune recherche n'a été menée. Par conséquent, vous ne pouvez dire à la Chambre si l'allégation est fondée ou non. Vous n'avez pas fait de recherches, c'est-à-dire la présence d'armes dans la localité d'origine du Président. Je ne parle pas de distribution, de mouvement d’armes — non ! —, je parle de la présence d’armes dans la région d'origine du Président. Et vous ne sauriez dire si ces armes ont été transportées dans la localité d'origine du Président.
Nonobstant, la question est la suivante : Si cela était avéré — même si cela n’est pas fondé, vous n’avez mené aucune recherche —, cela ne pouvait-il pas être expliqué par le fait qu’il y a eu une attaque du FPR ?
Telle est ma question. Vous répondez à autre chose. Je parle de l’allégation présumée de présence d’armes dans la localité d’origine du Président.
R. Vous avez raison. Je n'étais pas en mesure, en fait, de valider, de corroborer l'information que j'avais reçue. Et, par conséquent, je vous ai communiqué l'information que j'avais, je l'ai remise dans son cadre d'origine.
Pour ce qui était des mouvements d'armes, de la présence d'armes lourdes à proximité du front pour parer à toute attaque du FPR, c'est là un argument qui ne tient pas. C'est illogique, car nous nous trouvions dans un processus de paix.
Soit vous vous préparez à l'éventualité de la guerre ou, alors, vous déployez, de manière transparente, vos habiletés en matière de paix ; vous ne pouvez faire les deux en même temps.
Donc, si vous appuyez les forces pour la guerre, alors, vous n'êtes pas en mesure de vous préparer pour le processus de paix que nous élaborions.
Q. Une dernière question, aux fins de précision sur ce sujet : Monsieur le Témoin, dans le cadre de vos dépositions préalables, c'est-à-dire les violations du FPR sur lesquelles vous êtes revenu — je me remets dans ce cadre —, si le FPR a déployé des forces dans la zone démilitarisée et dans d’autres zones et… en avez-vous été témoin ? Donc, c'est à la lumière de ces informations que je pose ma question, Monsieur le Témoin.
R. Ces activités ont été menées à la fin mars, si je ne m'abuse, et, également, en avril. Et en tant que tels, je dois vous dire que les comportements de part et d'autre, pour une fin couronnée de succès des Accords d'Arusha, étaient peu probables. La situation dégénérait. Et nous étions dans ce contexte et, à l'époque, nous étions dans un processus qui ne nous permettait pas d'aller de l'avant quant à la mise en application des Accords de paix ; bien au contraire, nous allions vers une rupture, une violation des Accords de paix, tels que prévus en début avril.
Me TAKU :
Monsieur le Président, Honorables Juges, nous pouvons peut-être observer la pause. Et merci beaucoup pour ces mouvements allégués… Je n'avais pas très bien compris, vous avez précisé.
M. LE PRÉSIDENT :
L'audience est suspendue.
Reprise demain à 15 heures. À 15 heures, heure d’Arusha, car il y a une autre affaire qui siège dans ce prétoire.
L’audience est suspendue jusqu’à demain.
(Levée de l'audience : 20h15)
SERMENT D'OFFICE
Nous, sténotypistes officielles en service au Tribunal pénal international pour le Rwanda, certifions, sous notre serment d'office, que les pages qui précèdent ont été prises au moyen de la sténotypie et transcrites par ordinateur et que ces pages contiennent la transcription fidèle et exacte des notes recueillies au mieux de notre compréhension.
ET NOUS AVONS SIGNÉ :
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Vivianne Mayele Françoise Quentin
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