Sunday, December 03, 2006

Le Procès du Général: Le Boycottage Dallaire - 20 Nov 2006

Le Procès du Général: Le Boycottage Dallaire - 20 Nov 2006

[Voici le transcrit VF du proces du Général Ndindiliyimana du 20 Novembre 2006. Comme on va decouvrir, deux des accusés sont boycotter l'audience de ce jour. Chris Black qui nous a envoyé ces transcrits version française et anglaise, s'est abstenti de participer dans le procès sur les instructions du Général, mais il a toujours des chose très riches de contribuer. Le rôle de Me Black c'est le rôle que je préfère de jouer dans la pièce ou le film de ces evenements. --mc]

TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

AFFAIRE N° ICTR-00-56-T LE PROCUREUR
CHAMBRE II C.
AUGUSTIN NDINDILIYIMANA
FRANÇOIS-XAVIER NZUWONEMEYE
INNOCENT SAGAHUTU
AUGUSTIN BIZIMUNGU

PROCÈS
Lundi 20 novembre 2006
13 h 10


Devant les Juges :
Joseph Asoka de Silva, Président
Taghrid Hikmet
Seon Ki Park

Pour le Greffe :
Roger Noël Kouambo
Issa Touré
Abraham Koshopa

Pour le Bureau du Procureur :
Ciré Aly Bâ
Moussa Sefon
Felistas Mushi
Segun Jegede
Abubacarr Tambadou

Pour la défense d’Augustin Ndindiliyimana :
Me Christopher Black
Me Patrick De Wolf (absent)

Pour la défense de François-Xavier Nzuwonemeye :
Me Charles Taku
Me Hamuli Rety

Pour la défense d’Innocent Sagahutu :
Me Fabien Segatwa
Me Seydou Doumbia

Pour la défense d’Augustin Bizimungu :
Me Gilles St-Laurent (absent)
Me Ronnie Mac Donald

Sténotypistes officielles :
Grâce Hortense Mboua
Sophie Tison

TABLE DES MATIÈRES
PRÉSENTATION DES MOYENS DE PREUVE À CHARGE


TÉMOIN ROMÉO DALLAIRE

Interrogatoire principal du Bureau du Procureur, par M. Bâ 22



(Début de l'audience : 13 h 10)

M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Greffier d'audience, voulez-vous annoncer l'affaire inscrite au rôle ?


M. TOURE :
Je vous remercie, Monsieur le Président.

La Chambre de première instance II du Tribunal pénal international pour le Rwanda, composée du Juge Joseph Asoka de Silva, Président, du Juge Taghrid Hikmet et du Juge Seon Ki Park, siège ce jour, lundi 20 novembre 2006, pour la continuation du procès dans l'affaire Le Procureur c. Augustin Bizimungu, Augustin Ndindiliyimana, François-Xavier Nzuwonemeye et Innocent Sagahutu, affaire n° ICTR-00-56-T.

Je vous remercie, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie, Monsieur le Greffier d'audience.

Monsieur... Pouvons-nous avoir la composition des parties, en commençant par le Bureau du Procureur ?


M. BÂ :
Je vous remercie, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Honorables Juges, le Bureau du Procureur est représenté, ce matin, par Monsieur Moussa Sefon, Avocat général, Monsieur Segun Jegede, Avocat général, Madame Félistas Mushi, Substitut général, Mesdames Faria Rekkas et Anne Bodley, case manager. Nous avons nos deux legal interns, et Monsieur Adamou Allagouma, enquêteur.

Mon nom est Ciré Aly Bâ, je suis Avocat général principal.

Je vous remercie.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie.

Et le Banc de la défense, s'il vous plaît.


Me MAC DONALD :
Bonjour, Honorables Juges.

En ce moment, je vais présenter une partie du mon équipe et vous demander, avec votre autorisation, bien entendu, de faire inscrire au procès-verbal une brève déclaration relative à l'absence de mon client.

Donc, nous avons Monsieur Mutabazi, qui est mon chargé du... mon assistant, et ainsi que... nous avons Étienne Mutabazi, qui est l'assistant. Oui.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


Me BLACK :
Mon client également n'est pas présent, et je voudrais également faire connaître les raisons de son absence.


Me TAKU :
Bonjour, Honorables Juges.

Je suis Charles Taku, représentant l'Accusé François-Xavier Nzuwonemeye. Nous avons avec nous Hamuli Rety, Coconseil, ainsi que Tharcisse Gatarama, qui est notre assistant.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Segatwa, vous avez la parole.


Me SEGATWA :
Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Madame, Monsieur le Juge.

Mon client est également absent ; je dirai les raisons de son absence.

Mon équipe est composée de moi-même, Segatwa Fabien, Conseil principal, de Seydou Doumbia, Coconseil, et de Mathias Sahinkuye, assistant.

Je vous remercie, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :
Monsieur le Président, je constate que nous allons avoir droit à quatre déclarations. Le temps nous est déjà compté, et on est en train de grignoter là-dessus.

Est-ce que la Défense ne pourrait pas s'organiser pour que nous ayons... n'ayons droit qu'à une seule déclaration, car je présume que les raisons que vont avancer les uns et les autres sont... sont les mêmes ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Mac Donald.


Me MAC DONALD :
Je ne pense pas, Monsieur le Président. Je pense que les quatre Accusés devraient, chacun, parler en « son » nom propre.

Le Général Bizimungu a choisi de ne pas être présent à cette partie de la procédure au motif que, premièrement, vous l'avez privé de son droit à être face à face avec son « accuseur », le général Roméo Dallaire.

Et deuxièmement, en appliquant des contraintes temporelles et rigides, contrairement aux... aux contraintes qui ont été accordées à d'autres témoins, et vous avez donc nui au droit du général Bizimungu à un procès équitable, pour des raisons économiques et relatives aussi à la stratégie de fin de mandat.

En outre, par les dernières décisions, notamment celle du 20 octobre, de cette Chambre, concernant la... le réexamen de la première Décision du 15 octobre, décision dans laquelle, vous vous rappelez, vous avez rejeté la requête du Procureur aux fins que le général Dallaire « testifie » par vidéoconférence. Eh bien, cela nous a porté préjudice.

Également, sur la base de votre — disons — Décision du 3 novembre, portant calendrier, tout ceci montre clairement les priorités de cette Chambre qui consistent à plaire au programme du général Dallaire, au détriment des droits de mon client à un procès juste et équitable.

Ces exemples mènent à la conclusion que cette Chambre a abdiqué ses responsabilités consistant à assurer à mon client un procès juste et équitable. Le général Bizimungu ne... n'a pas droit à un procès équitable dans cette Chambre, et c'est pour cette raison que je soutiens absolument ses décisions.

En limitant fortement nos droits au contre-interrogatoire, Monsieur le Président, vous m'empêchez de fournir une assistance efficace à mon client. Par conséquent, le général Bizimungu m'a temporairement libéré de l'obligation que j'ai d'être son Conseil pour sa défense.

Et j'aimerais qu'il soit consigné au procès-verbal une déclaration... une déclaration de 12 paragraphes du général Bizimungu.

M. LE PRÉSIDENT :
Vous avez déjà résumé ses intentions, donc nous pouvons recevoir le document.


Me MAC DONALD :
Je n'ai pas l'intention de faire lire ces déclarations. Je sais que vous avez des contraintes temporelles très rigides, et mon... le droit de mon client aurait été d'être entendu entièrement, mais permettez-moi de lire — je n'aurai besoin que de cinq minutes.


M. LE PRÉSIDENT :
J'ai déjà compris votre position : Vous avez dit qu'on ne vous a pas autorisé « de » parler en son nom, et maintenant, vous voulez lire cette déclaration.
Me MAC DONALD :
Dans cette lettre du 20 novembre 2006, Honorables Juges, je vous renvoie uniquement au paragraphe 12, qui dit — je vais devoir lire ces deux parties en français :

« Par la présente, je vous notifie qu'aucun de mes deux Conseils n'a le mandat de me représenter dans les audiences du témoignage de Dallaire. »

Et il explique, dans cette lettre, les raisons pour lesquelles il sait qu'il ne bénéficie pas d'un procès équitable. Cette dernière illustration — la saga Dallaire — est une illustration claire — celle que nous avons eue au cours de ces deux dernières années — pour les raisons que j'ai évoquées tantôt.

Donc, je ne puis travailler dans ces conditions, et par conséquent, et conformément à mon code de déontologie professionnelle, je me réfère à l'Article 4 du Code de déontologie de ce Tribunal, qui dit que le Conseil représente et conseille son client jusqu'à ce que le client détermine la position du Conseil, et le Conseil peut donc se retirer.

Si je puis donc remettre cette déclaration au greffier d'audience pour qu'elle soit consignée au procès-verbal.

Je ne peux pas dire devant la Chambre que mon mandat a été révoqué, mais mon mandat est suspendu, ce qui est certain.

À travers le Règlement, le Statut et la jurisprudence, il semble que, Honorables Juges, il y a une différence entre la révocation et la suspension de mandat. Ma position, actuellement, est que mon mandat est suspendu pour l'instant.

Autre chose — je fais référence à l'Article 4 du Code de déontologie de cette Chambre : Je suis… Dans ma province natale du Québec, nous avons donc ce qu'on appelle le code de déontologie du barreau du Québec, et j'ai donc la formulation française de cet article, à savoir « 3.0 », qui dit, ainsi qu'il suit :

« L'avocat doit cesser d'agir pour le client à la demande de celui-ci. »

Dons, nous sommes dans une situation où, Honorables Juges, mon client, que j'ai représenté depuis près de deux ans, me demande... m'ordonne de ne pas le représenter, encore en ce qui concerne la déposition du témoin Dallaire.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître. Je pense que vous tentez de donner l'impression que cette Chambre doit être contrôlée par l'Accusé. Donc, lorsqu'il n'est pas présent, on arrête la procédure ; et lorsqu'il revient, on doit reprendre la procédure. Est-ce ce que vous voulez dire ?

Eh bien, vous avez dit ce que vous avez dit ; et nous allons écouter ce que les autres parties disent.


Me MAC DONALD :
J'ai dit ce que je devais dire. Je soupçonne que vous avez vos prérogatives, et vous déciderez ce que vous allez faire, mais j'ai aussi mes prérogatives.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vais faire ce que je suis autorisé à faire.


Me BLACK :
Oui, Monsieur le Président, nous ne demandons pas de suspendre la procédure, vous pouvez la poursuivre comme vous le jugez. Nous ne demandons pas de retarder la procédure, ce n'est pas là notre objectif.

J'ai également une déclaration et instruction de mon client, que je peux lire. Elles ne sont pas très longues, elles prendront une minute. Elles sont en français et en anglais, je vais les lire en anglais. Ces instructions me sont adressées, avec instruction de vous les lire, raisons pour lesquelles le général Ndindiliyimana n'est pas présent dans cette salle.

« Je voudrais vous rappeler que, à plusieurs reprises, j'ai attiré votre attention sur le fait que je suis de plus en plus convaincu que je ne bénéficierai pas d'un procès juste et équitable par-devant cette Chambre. Plusieurs décisions qui ont été prises par les Juges en l'affaire d'espèce montrent, au-delà de tout doute raisonnable, que ma préoccupation est fondée.

Cela est particulièrement vrai, cela... au sujet des décisions injustes concernant ma défense, le 20 octobre 2006 et le 3 novembre 2006, relativement à la déposition du général Roméo Dallaire qui va se produire. Les conditions imposées pour sa déposition constituent une limite inacceptable de mon droit à un procès équitable, et c'est un déni clair de justice.

Une déposition libre et indépendante, par des hauts responsables avec lesquels j'ai travaillé, à l'instar du général Dallaire, sans le moindre reproche "de" lui ou "de" ses collaborateurs, lui offre un forum pour dire à la Chambre et au monde qui étaient les véritables acteurs de la tragédie rwandaise. Ce n'est que dans cette deuxième condition que le général Dallaire dira probablement la vérité et évitera de reproduire des théories manipulées.

Dans une lettre que j'ai écrite au général Dallaire le 12 février 2003 — copie que je vous ai demandée de faire verser au dossier avec cette déclaration —, je lui ai rappelé qu'immédiatement après l'attaque contre l'avion qui transportait le Président Habyarimana, je l'ai personnellement invité à venir participer, avec le haut commandement des Forces armées rwandaises, à la gestion de la crise. J'ai demandé... Je l'ai demandé à Roméo Dallaire, et Roméo Dallaire a participé à toutes les réunions auxquelles... pendant lesquelles les décisions ont été prises. »


M. BÂ :
Le... Le Conseil est en train de témoigner. Il est en train de vous rapporter des faits sur lesquels il ne pourrait revenir que s'il décide de témoigner dans ce... sa cause ou alors lorsqu'ils se décideront à contre-interroger le général Dallaire.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître...


Me BLACK :
C'est là la... la toute dernière partie de la déclaration ; je n'irai pas plus loin :

« Il est par conséquent incompréhensible, et même inacceptable, que cette personne qui aurait pu éclairer les Juges et le monde sur qui a fait quoi dans la tragédie rwandaise et qui a la véritable responsabilité de ce qui s'est passé, soit manipulée et utilisée pour déposer contre une personne innocente, comme mon humble personne.

En outre, les Juges me privent du droit de... d'être confronté face à face à cet homme, pour pouvoir démasquer ses mensonges et devoir le confronter par la suite.

Les dépositions des veuves de Ngulinzira, donc, nécessitent que je confronte directement le général Dallaire. Il est vrai que l'absence de transparence dans... ne concerne pas uniquement la déposition du général Dallaire ; il y a beaucoup d'autres situations où la transparence n'a pas été autorisée, au point d'imposer des limites drastiques sur un débat contradictoire.

Tout au long de mon procès, les Juges n'ont pas caché leur parti pris en faveur du Procureur. Ils ont systématiquement refusé à la Défense le droit de faire appel aux décisions injustes et inéquitables... »


M. LE PRÉSIDENT :
Il parle de... pour… tous les Juges ou seulement de ceux-ci ?


Me BLACK :
Il parle de vos décisions, Monsieur le Président.

« Nos demandes de certification d'appel ont été systématiquement rejetées, et le Président ne veut pas le moindre débat sur le chef d'accusation de génocide pour lequel je suis accusé, au prétexte que le constat judiciaire du génocide a déjà été pris dans d'autres procédures.

S'agissant du général Dallaire lui-même, je... j'estime que sa déposition est contestable parce qu'il y a un conflit entre lui et moi. Il y a d'ailleurs un... une affaire présentée devant les Cours belges à ce sujet.

En prenant tout cela en considération, je considère que ma représentation à ce procès, au moment où le général Dallaire dépose, revient à une mascarade de justice et aussi au déni de mon droit à un procès juste et équitable. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de ne pas être présent à la déposition du général Dallaire.

En plus de cela, je demande officiellement, formellement... J'ai quelque chose à vous demander : Je demande à la Chambre (sic) d'informer la Chambre que vous n'avez plus mandat pour me représenter dans cette procédure, tant que la Chambre siège pour entendre le général Dallaire par vidéoconférence.

Ces conditions sont inacceptables et sont une violation directe et délibérée de mon droit. »

Avant de continuer, Honorables Juges, je considère que la Chambre maintient sa décision du vendredi passé, à savoir le rejet de notre appel.


M. LE PRÉSIDENT :
Que voulez-vous dire par « maintenir la décision » ? Une fois qu'une décision a été prise, elle est... demeure.


Me BLACK :
Juste pour le procès-verbal, parce que je pense que je dois le faire pour moi-même et aussi pour Le Général, je voudrais juste faire savoir au... au procès-verbal ce sur quoi je vais contre-interroger le général Dallaire, brièvement.

Je vais... J'aimerais contre-interroger le général Dallaire sur son appréciation de la capacité et de l'état de la Gendarmerie, de sa disposition, de ses ressources, de ses hommes, de ses patrouilles conjointes avec les Nations Unies, de sa participation à l'opération « Couloir propre », également en ce qui concerne les cérémonies de prestation de serment ; et je pense que cela me prendra trois jours.


M. BÂ :
Cette procédure... Cette procédure est impropre : Il ne peut pas donner les lignes de son contre-interrogatoire, alors que l'interrogatoire n'a pas encore eu lieu !


Me BLACK :
En vertu de... du droit américain, je dois le faire. Je suis désolé, mais... Monsieur Bâ, mais cet...


M. LE PRÉSIDENT :
Nous avons déjà décidé sur la question ; par conséquent, il n'est pas nécessaire d'entrer dans tous ces détails. Vous êtes en train de prendre inutilement du temps qui est alloué à la déposition de ce témoin.

Et une autre chose que je vais vous dire, Maître : Tout le temps, pendant la déposition des autres témoins, vous dites que... que « j'avais une relation spéciale avec Dallaire et que j'aimerais avoir sa déposition » ; et maintenant qu'il est venu, vous dites... vous ne voulez plus sa déposition, et vous dites ensuite que nous ne sommes pas justes lorsque nous le faisons comparaître.


Me BLACK :
Voulez-vous peut-être que je termine, pour que vous compreniez pourquoi je le dis ?

J'aurai besoin de trois jours pour le contre-interrogatoire...


M. BÂ :
(Début de l'intervention inaudible)... Maître Black, ce n'est pas le droit américain qui est applicable devant cette Chambre ! Dites-nous quelle est la Règle, l'Article du Règlement de procédure et de preuve qui vous permet de faire ce que vous êtes en train de faire — de consigner sur le procès-verbal des lignes de votre contre-interrogatoire, alors qu'il n'y a pas encore eu d'interrogatoire.

Le droit américain ne régit pas ce Tribunal. Ce n'est que lorsque le Règlement est muet sur une question qu'on doit se référer aux principes généraux du droit et aux autres systèmes juridiques.


Me BLACK :
Le Président m'avait posé une question, et j'y répondais, Monsieur Bâ.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous vous avons donné un échéancier de temps, vous devez vous y conformer.


Me BLACK :
Je voudrais vous expliquer pourquoi je ne peux pas le faire.


M. LE PRÉSIDENT :
Vous allez réitérer votre demande au moment où vous aurez la parole pour votre contre-interrogatoire ; c'est là l'objet de votre prise de parole. Vous traitez d'autres questions.


Me BLACK :
L'on m'a donné le mandat de ce faire ; et si ne... vous ne voulez pas entendre mon argumentaire, faites-le... faites-le moi savoir.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vais gérer la Chambre comme il se doit, conformément au Règlement.


Me BLACK :
Mais l'on m'a demandé de faire cet argumentaire.


M. LE PRÉSIDENT :
Mais que pensez-vous qu'il nous faille faire ?


Me BLACK :
Soyez patient, j'ai un argumentaire à faire, un... dans un dessein bien limité ; permettez-moi de développer cet argumentaire.

J'ai également l'intention de le contre-interroger avec ses relations avec Jean-Pierre...


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, je pense que cela n'est pas pertinent.


Me BLACK :
Cela ne me prendra pas beaucoup de temps.


M. LE PRÉSIDENT :
Vous ne... Vous ne pourrez pas le contre-interroger sur tous les faits pertinents dont il parlera et ce dont il n'a même pas parlé.


Me BLACK :
Je voudrais examiner son rôle sur ce point ; cela me « faudrait » un jour, un autre jour...


M. LE PRÉSIDENT :
Cela nous mènera « à longtemps », lorsque vous allez le contre-interroger pendant un jour.


Me BLACK :
Donc, la chute de l'avion présidentiel, cela nous mène à cinq jours. Et il nous faudrait...


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Nous n'avons plus de son en cabine.


Me BLACK :
Il me faudrait un total de 15 jours pour lui poser des questions essentielles : Le décès du Président, de tous les VIP, des membres de la protection rapprochée du... du Président, sa rencontre avec mon client. Il me faudrait tout au moins 15 jours pour contre-interroger le général Dallaire. Donc, telle n'est pas mon intention.

Ma conclusion sera la suivante : L'on m'a mandaté de demander au Président et au Juge Park, de la part de l'Accusé, du fait de votre attitude dans ce procès, tout au long du procès, votre manquement, ou plutôt le fait que vous ayez rejeté toutes nos requêtes, votre manquement à faire valoir nos objections, les décisions que vous avez rendues, notre temps limité pour le contre-interrogatoire des différents témoins, le fait que vous ayez aidé des témoins à charge lorsqu'ils aviez... lorsqu'ils avaient des problèmes — et cela, au détriment des Accusés ; vous aviez un... une attitude, un comportement... et tout particulièrement, le Juge Park a eu un comportement qui, pour moi et mon client, était une attitude qui ne permettait pas d'avoir un procès équitable. Cela n'a pas valu pour le Juge Hikmet, nous pensons donc que le Juge Hikmet doive se retirer (sic).

Et enfin, l'on m'a demandé de dire ce qui suit : Si vous décidiez de ne pas vous retirer et de ne pas faire valoir cette requête, alors qu'il faille transférer le procès... le procès du Juge... du général Ndindiliyimana dans une autre juridiction, autre que le Rwanda — en Allemagne, au Canada, aux États-Unis, n'importe où ailleurs qu'au Rwanda. Et le Conseil de sécurité a mis en place ce Tribunal qui va protéger les Nations Unies, car l'on n'a pas l'intention de revenir sur la guerre et nous n'avons pas l'intention... nous n'avons pas l'opportunité d'explorer cette question. Nous avons besoin de savoir quel a été le rôle des Nations Unies au Rwanda, et savoir pourquoi ces choses se sont passées.

Je suis désolé, mais l'on m'a demandé de suspendre ; et voilà, je le fais de fait. C'est là la dernière instruction que j'ai reçue.

Un autre dernier point, pour que l'on ait l'impression que l'Accusé est là, mais disons qu'hier, quelqu'un m'a rendu visite, qui a proféré des menaces ou une menace directe contre ma vie et celle de mon client. Je ne peux travailler dans ces conditions. L'on m'a dit que j'étais un homme mort, que mon client n'était plus en sécurité à l'UNDF...


M. LE PRÉSIDENT :
Posez la question, si vous le voulez.


Me BLACK :
Je ne sais pas ce qu'il y a de drôle à entendre que quelqu'un a voulu me tuer.

Écoutez-moi, Président...


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, c'est vous qui devez écouter !

Si vous avez des plaintes à faire, allez-vous plaindre auprès des autorités compétentes.

Asseyez-vous, à présent.


Me BLACK :
Je m'assiérai, mais, s'il vous plaît, ne vous moquez pas de moi.


M. LE PRÉSIDENT :
Il ne faudrait pas que vous fassiez « de » ce Tribunal des choses drôles.

Je vous demande de vous asseoir.


Me BLACK :
L'on m'a demandé...

Je ne vais plus lutter avec vous.


M. LE PRÉSIDENT :
Il n'y a pas de lutte, mais vous utilisez ce Tribunal pour d'autres fins, et vous en avez donné l'exemple, ici et maintenant.


Me BLACK :
Non, car je vous ai dit quelque chose de sérieux ; il ne faut pas en rire, car je prends la question au sérieux.

Je me suis énervé, mais lorsque cette personne m'a sorti cela, hier soir, croyez-moi, j'étais perplexe. Et c'était un agent de la police locale.

Les instructions que j'ai reçues — je ne sais ce que vous en ferez —, c'est de quitter la Chambre, le Tribunal, car je ne représente personne. Je ne sais pas ce que vous m'ordonnerez de faire, mais je ne représente personne ici, et les instructions que j'ai reçues me demandent de quitter le prétoire.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Black, vous ne pouvez quitter le prétoire sans autre forme de procès, car c'est le Greffier... le Greffe qui vous a assigné pour un travail bien donné.


Me BLACK :
Je n'ai plus de tâches, je n'ai plus de travail à mener. Je suis un citoyen, un... un civil lambda. Je n'ai plus de fonctions ici.

Dans ce prétoire, je suis Monsieur Mac Donald (sic). Si vous m'ordonnez de rester, je resterai au prétoire en qualité de civil, je ne suis plus Avocat en l'espèce.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Segatwa ?


Me SEGATWA :
Merci, Monsieur le Président.

Évidemment, ma tâche est assez difficile, parce qu’après cela, je ne sais pas si vous aurez le temps de m’écouter, mais je vous demande votre compréhension, Monsieur le Président.

Mon client, le capitaine Innocent Sagahutu, ne s’est pas présenté à l’audience de ce jour. Et tout en témoignant de son profond respect envers la Chambre, il voudrait que cette absence soit comprise comme la traduction de la profonde inquiétude qui le traverse en ce moment. Une inquiétude accentuée par les Décisions « du » 3 et 18 novembre 2006, qui rejettent pour la énième fois les requêtes de la Défense.

La Défense d’Innocent Sagahutu estime qu’il y a eu incompréhension entre la Chambre et la Défense, et voudrait saisir cette occasion pour vous demander d’éclaircir les points de vue de la Chambre.

L’Article 19. 1 des Statuts du Tribunal dispose comme suit :

« La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément au Règlement de procédure et de preuve, les droits de l’Accusé étant pleinement respectés, et la protection des victimes et des témoins étant dûment respectée. »

En sollicitant votre auguste Tribunal, le bénéfice d’un temps plus raisonnable pour se défendre contre les accusations graves portées par le Procureur et devant être soutenues par le général Roméo Dallaire — alors commandant en chef de la force des Nations Unies, la MINUAR, déployée au Rwanda en 1994 —, rien de moins que le respect du droit universellement reconnu à tout Accusé de se défendre dans des conditions acceptables.

Le respect des droits de la Défense est l’ultime raison d’être de ce Tribunal ; et c’est également la raison d’être de la Défense. En d’autres circonstances, la Chambre s’est toujours montrée réceptive à la sollicitation de la Défense qui demandait un temps raisonnable du contre-interrogatoire, et la Chambre a souvent accordé le temps suffisant, à cet égard, pour des témoins qui ne présentaient pas autant d’intérêt que le général Dallaire, considéré à juste titre comme le témoin privilégié des événements qui ont conduit à la création de ce Tribunal.

La Défense d’Innocent Sagahutu voudrait voir cette Chambre expliciter sa décision du 3 novembre 2006, par laquelle la Chambre dit être disposée à accorder un temps supplémentaire aux parties suivant les circonstances. La Défense ne voudrait pas s’engager dans une défense entourée d’incertitudes, car du moment que les Juges ont déjà un calendrier arrêté, c’est-à-dire du 20 au 24 novembre et du 5 au 8 décembre 2006, elle n’a plus, à notre sens, une grande marge de manœuvre pour accorder un temps supplémentaire, sauf à grignoter sur le temps des uns pour l’accorder aux autres, alors que l’essentiel de la contestation porte justement sur ce calendrier, qui ne prend pas en compte l’exercice plein et entier du droit de la Défense.

La Défense d’Innocent Sagahutu constate qu’il y a du temps pour l’Accusation, à qui l’on accorde toujours le temps qu’elle demande, mais en revanche, il n’y a plus suffisamment de temps pour la Défense.

Vous direz, Monsieur le Président, que la Défense d’Innocent Sagahutu ne dispose généralement pas beaucoup de temps pour le contre-interrogatoire, mais la raison à cela est que ses prédécesseurs couvrent l’essentiel des points de son contre-interrogatoire. Et s’ils ne savent pas le faire, cela lèse les intérêts d’Innocent Sagahutu, à moins qu’en définitive, d’ores et déjà, la Chambre n’ordonne disjonction à son égard.

Et pour cela, Monsieur le Président, je vais passer à une proposition concrète. Et ne soyez pas frustré, Monsieur le Président, ce n’est pas pour mettre en question votre décision, mais dans les premières propositions contenues dans la requête du Procureur, celui-ci demandait que le général Dallaire puisse déposer en janvier et en février 2007, et ce calendrier rencontrait bien l’assentiment de l’Avocat du général Dallaire, ainsi que l’assentiment de la Défense.

Monsieur le Président et Honorables Juges, je termine en vous disant que nous ne demandons qu’un peu de compréhension, au nom du respect strict des droits de la Défense. Et ceci — je ne doute aucun instant — est en votre pouvoir.

Je vous remercie, Monsieur le Président et Honorables Juges, de votre aimable attention.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, pour ce qui est de la répartition du temps, ça n’est pas une innovation de notre part, pas du tout. C’est une décision qui a été prise, chaque Chambre (sic) a un certain temps qui lui est imparti. Et en tant qu’Avocat, vous devez savoir « combien » vous organiser. Et si, par exemple, vous devez faire votre contre-interrogatoire, si l’interrogatoire était de 3 heures, vous pouvez avoir 3 heures, et vous devez vous organiser dans ce laps de temps qui vous est imparti. Je ne puis comprendre qu’il vous faille du temps de manière illimitée. Je pense qu’il est tout à fait possible que vous puissiez gérer le temps qui vous est imparti. Maintenant que vous avons écouté...

Oui, Maître ?


Me TAKU :
Plaise à la Chambre. Comme vous l’avez fait remarquer, mon client est présent cet après-midi. Sa présence parmi nous aujourd’hui comme par le passé, du reste, ne doit être comprise comme ce qui suit : C’est-à-dire que cela... sa présence appuie l’Ordonnance qui a été rendue. Je voudrais dire que nous nous opposons de manière véhémente à l’Ordonnance qui a été rendue portant calendrier. Donc, les questions que nous avons soulevées dans notre objection reviennent de manière très claire, et c’est pour cela que je n’en dirai pas trop au moment où ces questions ont été soulevées.

Cela dit, Monsieur le Président, la question soulevée relativement à une violation potentielle du droit des Accusés pour un procès équitable, objection soulevée par mes confrères, je pense que c’est là une question fondamentale, entre autres questions.

Le fondement même sur lequel est construit ce système judiciaire, c’est là même le centre, l’épine dorsale de l’état de droit. Et pour cette raison, vous devez prendre cette question de manière sérieuse. Je pense que cela, vous l’avez vous-même dit, lorsque vous dites qu’il faudrait gagner du temps, si cela était nécessaire. Et à l’entame du procès, Monsieur le Président, Honorables Juges, vous auriez dû nous dire comment le temps était organisé, car l’on ne peut être certain de l’organisation.

Vous savez, vous-même, que mon client a connu des violations par le passé, car il n’avait pas de Conseil pour le défendre et il a accepté de venir par devant le Tribunal pour témoigner son respect à la Chambre. Je voudrais donc vous soyez patients et que vous essayiez de prendre en compte certains problèmes relatifs au temps juridique, car nous parlons de morts « rwandaises » et d’accusations qui sont portées sur d’autres Rwandais ; et il faudrait que ces personnes aient toute la latitude de se défendre à ce stade.

Je vous remercie.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, ce que vous avez dit est raisonnable, je crois, car nous n’avons même pas entendu le témoin. Une fois que ce témoin aura fait sa déposition, alors, nous saurons quel temps il faudra accorder à la Défense, et quelle extension il faudrait apporter.

Je vous remercie pour avoir soulevé la question.

Maître Segatwa, vous n’avez rien dit quant à votre présence ici... à votre mandat, tout particulièrement. Avez-vous reçu mandat de la part de votre client pour le représenter par devant la Chambre ?


Me SEGATWA :
Oui, Monsieur le Président, j’ai reçu un mandat qui est conditionnel. C’est-à-dire, nous avons demandé que la Chambre puisse donner les éclaircissements sur la portion de sa décision quand
elle dit qu’elle est disposée à accorder un temps supplémentaire suivant les circonstances.

Est-ce que cela veut dire que si les parties qui contre-interrogent n’arrivent pas à terminer le contre-interrogatoire, la Chambre est naturellement disposée à lui accorder un délai supplémentaire qu’il va solliciter ou alors « il » va lui retirer tout simplement la parole ? Parce que vous n’avez pratiquement que huit jours, deux demi-journées pour chaque équipe ; la dernière qui est la nôtre n’aura, peut-être, qu’une demi-journée, puisqu’il n’y a pas, de toute façon, 10 demi-journées, il n’y a que neuf demi-journées.

En fait, mon client demande, Monsieur le Président, que vous puissiez préciser, et qu’on ne commence pas un interrogatoire dans une incertitude absolue où on ne sait pas si on aura suffisamment de temps ou si on ne l’aura pas. Si on n’a pas suffisamment de temps, on se prépare en conséquence ; si on a plus de temps, on se prépare également en conséquence.

Ce qui est sûr, Monsieur le Président, c’est que mon client ne m’a pas dit de quitter la salle.

Je vous remercie.


Me BLACK :
Je voudrais que l’on m’autorise à me retirer de la Chambre. Je n’ai rien à faire ici, je n’ai pas
de mandat. Je pense que la procédure pourrait se poursuivre.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous avons rendu une décision sur ce point et nous avons autre chose à régler avant que nous ne revenions sur point.

Monsieur le Greffier d’audience, veuillez informer les trois Accusés que leur présence est indispensable au prétoire, conformément à l’Article 82, Règlement de procédure et de preuve. Veuillez vous en référer par la suite à la Chambre, prendre en compte les argumentaires de la Défense.

Nous allons observer une pause de cinq minutes.

Je vous remercie.


(Suspension de l’audience : 14 heures)
(Reprise de l'audience : 15 h 35)


M. LE PRÉSIDENT :
Donc, pendant cette session, les Conseils de la défense ont soulevé la question de l'injustice des décisions de la Chambre en ce qui concerne la déposition par vidéo conférence du témoin Roméo Dallaire. Le Conseil pour Ndindiliyimana a même accusé la Chambre de parti pris et a cité nommément le Président, ainsi que le Juge Seon Ki Park. La Chambre rappelle aux Conseils le devoir qu'ils ont de mener la procédure d’une manière juste. Et pourvu que cela soit fait de manière appropriée.

Par rapport à la... au Règlement concernant ce Tribunal, le Conseil est tenu de respecter toute décision prise par la Chambre que les Conseils soient d'accord ou non avec cette décision. Toute contestation de la décision de la Chambre doit se faire par voie de recours appropriée prévue par le Règlement.

La Chambre relève que Maître Black a un comportement inapproprié vis-à-vis de la Chambre et que, malgré les avertissements répétés, le Conseil Black a continué dans son comportement. Ces accusations directes à la Chambre (sic) sont... suivent… la procédure appropriée… notamment vis-à-vis du Président... du Président et, également, le fait de refuser de respecter les décisions de la Chambre ne seront plus tolérées.

Maître Black a épuisé la patience de la Chambre et la Chambre sera prête à utiliser l'Article 46 et demandera à la Chambre de le rayer de la liste des Conseils pour le rendre inapte à continuer à exercer dans le cadre de ce Tribunal, s'il continue dans son comportement.

Cette déclaration s'applique également à l'endroit de tous les Conseils concernés par cette procédure.

Monsieur le Greffier d'audience, avez-vous contacté…


M. TOURE :
Conformément aux instructions… Conformément aux instructions que vous avez données, il a été notifié aux Accusés concernés que leur présence est requise pour le procès. La réponse qu'ils ont donnée est claire : Ils refusent de venir à l'audience et ils vous remercient.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie.

Au regard du refus de la Chambre (sic), la Chambre instruit le Greffier de demander à Maître Black et à Maître Mac Donald de représenter leurs clients respectifs conformément à la réglementation.


Me MAC DONALD :
Si on lit correctement l'Article 45, avant que je ne puisse être sanctionné au regard de l’Article 45 et de l’Article 46, je dois signer un engagement écrit, cela est clair.

Et ma position est que, en ce moment particulier, et cela ne figure pas dans vos décisions, mais cela figure dans l'Article 45, spécifiquement, il est dit que pour que je sois sanctionné, je dois avoir signé un engagement écrit.

Et pour les raisons que j'ai mentionnées tantôt, Monsieur le Président, je ne peux pas rendre de service concernant mon client, si la Chambre me donne un seul jour pour contre-examiner le témoin Dallaire. C'est absolument impossible. J'en ai déjà débattu à longueur.

Ma proposition, par conséquent — et je ne voudrais pas que la Chambre la considère comme un refus —, c'est que je suis prêt à signer cet engagement tant que j'ai les garanties que j'aurais un temps suffisant pour contre-interroger Dallaire. Sinon, je ne puis le faire. Je suis dans une position impossible, je suis pris entre le marteau et l’enclume, je n’ai pas de mandat de la part de mon client, je respecte votre décision, mais vous devez aussi vous mettre à ma place.

Et l'Article 45 me donne une ouverture et une option : Si je suis prêt à être sanctionné par la Chambre, il me faut signer cet engagement. Et une fois de plus, je ne puis le faire, sauf si j'ai des garanties. À ce niveau, je ne vois rien d'autre, je me contente de demander à la Chambre de revoir...

Enfin, je voudrais ajouter une chose. Vous l’avez dit ce matin, avec tout le respect que je dois à la Chambre, donc dans ce cas particulier, lorsque la Chambre reconnaît que la Chambre de première instance avait… latitude pour le faire — dans ce cas, nous avons le témoin plus important —, vous devez utiliser votre discrétion ; une fois de plus, vous pouvez largement user de cette discrétion.

Il n'y a aucune raison pour laquelle Dallaire ne saurait être appelé de nouveau à comparaître ici en février ou en mars. Je pense que nous avons traité de cette affaire d'une manière plutôt rapide par rapport aux autres affaires. Oui, nous avons eu à contre-interroger des témoins pour trois ou quatre jours, quand cela était nécessaire. Mais vous vous rappelez le dernier témoin,
Madame Kavaruganda, je ne l'ai pas contre-interrogée pour plus de deux heures. Donc, je ne pense pas que nous exagérons, en disant qu'il faudrait revoir la décision prise par cette Chambre.


Me BLACK :
Si je peux prendre la parole, Monsieur le Président.

Je me trouve, également, dans une position très difficile parce que les instructions qui m'ont été données sont claires. Si vous me re-désignez, vous m’imposez, mon client me licenciera demain. Je ne pourrai plus lui donner le moindre conseil. Donc, ce que je suis censé faire, si vous insistez, vous dites que je suis obligé de demeurer le Conseil par rapport à cet Article ou toute autre terminologie que vous utiliserez, alors demain, je serais licencié parce que c'est ce qui s'est passé la dernière fois.

Et une fois de plus, si vous appliquez cet Article, bien, quel rapport avec les instructions données par mon client ? Mon client a dit que je ne fasse absolument rien, j'ai donc là un conflit. Mon premier devoir est à l'endroit de mon client. Je dois vous informer que je ne voudrais pas vous obliger à faire quelque chose de désagréable, je ne voudrais pas non plus que quelque chose de désagréable m’arrive. Mais jamais dans ma vie, je n'ai été contre la volonté des instructions de mon client. Si vous voulez imposer un autre Conseil qui est prêt à accepter cette position — il y a eu des précédents en ce qui concerne le TPIY —, alors vous pouvez le faire. Si vous me commettez d’office, mon client me licenciera demain. Donc, je vous dirais que si vous me donnez l'ordre de siéger, je serai présent, mais je ne pourrai pas agir. Je ne peux pas agir. Donc, dans un sens ou dans l'autre, voilà ce qui se passera.


Me SEGATWA :
S'il vous plaît, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître, avez-vous à intervenir dans ce cas ? Puisque vous êtes pratiquement dans la même position, je ne pense pas que je devrais vous donner davantage de temps, vous vous êtes exprimé à longueur sur la question.


Me SEGATWA :
Non, ce n'est pas sur la question que je vais m’exprimer, c’est plutôt sur la compréhension de votre décision, parce que je croyais que vous alliez donner une suite à notre demande. Quant à votre pouvoir discrétionnaire de nous donner un peu plus de temps, je n'ai pas compris la réponse que vous avez donnée à cela. Est-ce que vous maintenez le délai qui se trouve dans la décision ou alors est-ce que vous avez à nous dire, d'une façon claire et nette, qu'il y a ou que nous pouvons espérer un temps supplémentaire pour le contre-interrogatoire ?

Dans le cas où vous refusez d'examiner notre requête, je vous demanderais de m'accorder également un temps supplémentaire pour que je puisse recontacter mon client pour avoir des instructions de sa part d'une façon claire et nette.

En plus de cela, Monsieur le Président, il y a quelque chose que je n'ai pas compris dans ce que vous avez dit. Peut-être que la traduction n'a pas été tout à fait bien faite ou peut-être que j'étais distrait, mais vous aviez mis en garde Maître Black, et vous avez dit également que cela « va » également pour les autres Conseils.

Je voudrais savoir, Monsieur le Président, en quoi je devrais, moi, prendre de gants ou faire quelque chose qui ne... qui ne pourrait pas vous déplaire davantage ; est-ce que dans mes propos il est apparu quelque chose qui a manqué du respect à la Chambre ? Et si c'est cela, Monsieur le Président, je m'en excuse d’ores et déjà, mais je ne sais pas, dans mes propos, ce qui aurait pu frustrer la Chambre.

Je vous remercie.


M. LE PRÉSIDENT :
Non, Maître. Cela ne s'applique pas à vous, j'ai dit au cas où une telle chose se produisait, tous les Conseils doivent tenir compte de cet avertissement en Chambre. Cela s'applique à tout le monde. Donc, je pense que j'ai suffisamment donné des explications à Maître Taku.


Me BLACK :
Monsieur le Président, allez-vous prendre cette décision en vertu de l'Article 46 ou 45 ?

(Concertation entre les Juges et leurs assistants)


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître, la Chambre vous commet d'office en vertu de l'Article 45. Et cette commission est de représenter les intérêts de l'Accusé ; donc, il n'est pas question de prendre les instructions auprès de l'Accusé. Il s'agit juste de représenter l'Accusé.

Maintenant, s'agissant de Maître Mac Donald qui a parlé de signer un engagement, cela n'est pas pertinent.


Me BLACK :
Dans ce cas, je dois vous informer que... que je dois informer le général Ndindiliyimana, et le général Ndindiliyimana va mettre fin à mes services.


M. LE PRÉSIDENT :
Cela revient au général Ndindiliyimana de faire ce qu'il veut.


Me BLACK :
C'est ce qu'il fera.


M. LE PRÉSIDENT :
S'agissant de Monsieur Segatwa, la Chambre décide du calendrier, et personne n'intervient, pas même l’Accusé. Et lorsque le temps est alloué, et si vous utilisez ce temps pour d'autres choses, alors cela ira également contre les intérêts de ceux qui demandent davantage de temps.


Me MAC DONALD :
Je voudrais juste faire une observation, Honorables Juges, en ce qui concerne mon argumentaire. Je pense que c’est une question importante.

En me commettant d’office en vertu de l’Article 45, vous reconnaissez le fait que mon mandat a été soit suspendu soit révoqué. Et dans ce cas, en vertu de l'Article 45, en tant que Tribunal statutaire, vous devez suivre les prescriptions de cet Article qui dit clairement que pour que je puisse m'engager dans le cadre d’un nouveau mandat, en fonction des exigences du Greffier, je dois signer cet engagement, parce que vous aurez pu me commettre pour représenter tout autre accusé ici.

Je dois faire jouer mes options, et l'une des options est que si j'accepte de représenter cette personne, alors je dois avoir la possibilité de refuser cette commission en refusant de signer cet engagement. Ce sont là donc les arguments que je présente, mais je respecte votre décision quelle que soit celle-ci.

Autre chose que j'aimerais vous demander, Monsieur le Président, c'est que dans le passé — comme vous le savez —, dans probablement 80 % des cas, j’ai été le premier à contre-interroger. Je comprends votre décision, nous avons un certain nombre de jours, mais je voudrais être en mesure… si j'avais un ou deux jours supplémentaires, puisque mon client sera la cible principale, cela est clair. Je ne pense pas que si nous avons trois ou quatre jours qui restent, que vous alliez m'interrompre sur un jour ou deux, que vous allez exercer votre discrétion.

Je vous demanderais, vu ces circonstances particulières, de m'autoriser à contre-interroger le dernier, afin que je puisse, tout au moins, apprécier les corrections que je vais apporter. Maître Black a parlé de 15 jours, j'ai 42 pages de questions, je ne peux donc pas même vous donner une évaluation du temps qu'il me faudra.


M. LE PRÉSIDENT :
Donc la Chambre… S’il y a une raison que la Chambre juge nécessaire pour vous accorder d'autres jours, nous allons d'abord écouter la déposition ; ensuite, nous verrons comment les choses évolueront.

Pouvez-vous faire venir le témoin, Monsieur le Greffier d’audience ?


Me BLACK :
Juste une question pour être sûr.

Si l'Article 45 dit que mon travail est de protéger l'intérêt de l'Accusé et que mon client estime que je ne dois rien faire — c'est ainsi que celui-ci estime que ses intérêts sont protégés, il veut que je ne fasse rien —, je ne peux désobéir à ses instructions, je ne l'ai jamais fait de ma vie, je ne le ferai jamais.


M. LE PRÉSIDENT :
Donc, là, vous devez suivre les instructions de la Chambre. Si la Chambre vous dit : « Ne posez pas de questions », ne le faites pas.

Pouvons-nous faire entrer le témoin ? Vous pouvez donc dire au Canada que nous pouvons commencer la déposition.


M. TOURE :
(Début de l'intervention inaudible)... c'est Arusha, Issa Toure.


M. KOUAMBO :
Oui, je suis bien là, nous sommes là.


M. TOURE :
Oui, nous sommes sur le point, maintenant, d'entendre le témoin.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Monsieur le Greffier d'audience, voulez-vous faire prêter serment au témoin ?


KOUAMBO :
Je vous remercie, Monsieur le Président.

Avant cela, je voudrais informer la Chambre que nous avons Madame Marla Dow qui représente les forces canadiennes, qui est assise autour de cette table au nom du Gouvernement canadien.

(Assermentation du témoin Roméo Dallaire)

Nous en avons terminé, Monsieur le Président. Je vous remercie.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Monsieur le Procureur, vous pouvez commencer.


M. BÂ :
Monsieur le Président, il y a, en principe, deux demi-journées qui sont allouées à l'Accusation ; je tiens, avant de débuter cet interrogatoire, à faire observer respectueusement à la Chambre que la journée d'aujourd'hui a été, quelque peu, amputée et que l'on devrait, peut-être, pouvoir en tenir compte pour la suite de notre interrogatoire.

D'autre part, Monsieur le représentant du Greffe a annoncé, tout à l'heure, qu'il y a Madame Marla Dow qui est dans la salle pour représenter le Gouvernement canadien ; je crois qu'il devrait y avoir également dans la salle Maître Harvey Yarovsky qui est le conseiller du général Dallaire.

Monsieur le Représentant du Greffe, est-ce que Maître Yarovski est dans la salle, si vous m'entendez ?


KOUAMBO :
Oui, Monsieur Bâ, il est également assis à cette table.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :
Monsieur le Président.


KOUAMBO :
Oui, je suis en train de dire que Maître Harvey est également assis à cette table, il est le Conseil du général Dallaire.


M. LE PRÉSIDENT :
Ma question est que : Quelqu'un de la Défense est-il représenté à cette table ?


KOUAMBO :
Oui, Monsieur le Président. Maître Nathalie Leblanc est également là et Maître... Monsieur Tambadou est également là pour le Procureur.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.

Monsieur Bâ, vous pouvez commencer.


M. BÂ :
Merci, Monsieur le Président, j'ai votre autorisation.


LE TÉMOIN, MONSIEUR ROMÉO DALLAIRE,
ayant été dûment assermenté,
témoigne comme suit :

INTERROGATOIRE PRINCIPAL


PAR M. BÂ :

Q. Général Roméo Dallaire, bonjour.

M. DALLAIRE :

R. Bonjour.

Q. Général, êtes-vous dans la vie active actuellement ; exercez-vous des fonctions précises ?

R. Je suis sénateur au Parlement canadien.

Q. Mais si je comprends bien, Général, vous n'êtes plus dans l'armée canadienne comme membre actif de l'armée canadienne ?

R. J'ai été libéré pour des raisons médicales, le 15 avril 2000.

Q. 2000. Général, au moment d'aller à la retraite, quelles fonctions précises exerciez-vous au sein de l'armée canadienne, en 2000 ?

R. J'étais lieutenant chargé du... pour la réforme de la... et j'étais directement sous la tutelle du chef d'état-major.


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
La qualité du son est extrêmement mauvaise pour les interprètes.


M. BÂ :
O.K.

Q. Général, en 1993, avez-vous...


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Témoin, veuillez parler dans votre micro, car la réception du son n'est pas très bonne ; veuillez vous rapprocher du micro lorsque vous prendrez la parole.


M. BÂ :
O.K.

Q. Général, en 1993, avez-vous travaillé pour le compte de l'Organisation des Nations Unies ?

R. En juillet 1993, j'ai été détaché des forces canadiennes auprès des Nations Unies, et cela, en qualité de commandant des forces armées missionnaires au Rwanda, et j'occupais le grade de D. 1 au sein des Nations Unies.

Q. Quelle a été, Général, la première mission que les Nations Unies vous ont confiée... vous ont assignée ?

R. Mes fonctions consistaient à commander la force de la MINUAR, censée suivre ou contrôler la frontière rwandaise et burundaise sur la ligne où se trouvait la ligne du FPR ou... au Rwanda, sur 20 kilomètres, afin de faire état de tout mouvement de troupes ou de matériel qui se déroulerait vers le Rwanda, et cela, en appui d'une potentielle campagne du FPR.

Q. O.K. Est-ce que cette mission-là s'appelait bien MINUAR ? Cette mission qui vous avait conduit à la frontière rwando-ougandaise, est-ce qu'elle se « prénommait » déjà MINUAR ?

R. La première mission — celle dont nous parlons — s'appelait MINUAR, mission établie pour la conduite de cette surveillance de la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda. La mission de la MINUAR, en juillet, n'existait pas, car les Accords de paix d'Arusha n'avaient pas encore été signés.

Subséquemment, j'ai reçu des ordres de manière officielle selon lesquels la MINUAR existait et que son mandat a... est entré en vigueur le 5 octobre de la même année.

Q. Général, durant cette période de juillet et août, vous êtes-vous rendu à Kigali ?

R. Afin de voir et établir s'il était nécessaire de mettre en place une mission, mission de maintien de la paix au Rwanda, et cela conformément à la demande telle que stipulée dans les Accords d'Arusha signés en début août, l'on m'a envoyé en mission de reconnaissance à l'entame qui devait être dirigée par une autorité politique qui siégeait à Arusha au moment des négociations, Monsieur Padanou de son nom, et qui nous a dit... la veille de notre départ. Et ainsi donc, le 17 août, je suis parti avec une équipe mixte d'environ 12 agents, pour mener une évaluation de deux semaines, pour voir si une mission de maintien de la paix était plausible et si elle était nécessaire pour faire face et répondre à la demande des Accords de paix d'Arusha.

Q. Merci, Général. Avez-vous, dans le cadre de cette mission de reconnaissance, rencontré les responsables des deux forces ex-belligérantes ?

R. Durant la mission que j'ai menée, j'ai organisé des réunions avec les deux groupes d'anciens belligérants. Du côté gouvernemental, nous avons tenu une série de réunions avec le personnel militaire ; et le dernier jour, j'ai eu l'occasion de rencontrer le Président avant que nous ne partions. Et du côté du FPR, j'ai tenu des réunions avec le responsable du FPR, le Président du FPR, les instructeurs militaires et un certain nombre d'autorités politiques et militaires.

J'ai également tenu des réunions de clarification pendant toute cette période, des réunions au cours desquelles, surtout du côté militaire... avons passé beaucoup de temps pour nous assurer que nous comprenions tous ce que... ce dont il était question, pour éviter toute ambiguïté entre nous.

Et le colonel à la retraite, Bagosora, était du côté militaire avec le chef d'état-major de la Gendarmerie, de l'armée ; et de l'autre côté, il y avait Pasteur Bizimungu qui dirigeait l'équipe militaire et civile.


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, nous travaillions tard, aujourd'hui. Nous n'aurons qu'une pause aujourd'hui, car nous avons accusé du retard. Je propose donc que nous observions la pause entre 17 h 45 et 18 heures, mais si vous avez une préférence, veuillez en informer la Chambre.


M. BÂ :
D'accord, Monsieur le Président.

Q. Général, y avait-il un cessez-le-feu effectif à cette époque-là ; au moment où vous vous êtes rendu en août au Rwanda, le cessez-le-feu était-il effectif ?

R. Il y avait un cessez-le-feu pleinement effectif, dirigé par les observateurs de l'Organisation de l'unité africaine, très présents sur le terrain ; ils étaient environ 60 personnes. Il y avait également des observateurs du FPR, du RGF ; et les troupes étaient essentiellement de l'autre côté de la zone de délimitation dans leur propre zone ; les troupes gouvernementales étaient déployées également dans d'autres régions du pays, tout particulièrement autour de la capitale. Il n'y a eu aucun incident de violation de cessez-le-feu à cette époque... à ce moment, et cela, jusqu'au moment où j'ai pris le commandement de la mission sur le terrain, c'est-à-dire le 22 octobre.


M. BÂ :
Merci, Général. Je vais demander au représentant du Greffe de vous remettre une carte du Rwanda pour que vous matérialisiez ce qu'était alors la... les positions des parties.

Q. Comment étaient figées les deux forces ex-belligérantes à l’époque du cessez-le-feu ?

Si le représentant du Greffe peut vous remettre la carte du Rwanda.

(Le représentant du Greffe s'exécute)

Vous nous indiquerez donc la partie du territoire qu'occupait le FPR et celle qu'occupaient les forces armées gouvernementales, celle qui était sous le contrôle des FAR.


Me MAC DONALD :
Il ne s'agit pas d'une objection, j'aimerais savoir si nous avons copie de ce document. Nous avons neuf jeux de documents, des documents que vous allez exploiter. J'en déduis donc que nous avons copie de la carte dont vous parlez, Monsieur Bâ. Car, d'ici, je n'ai pas connaissance, bien évidemment, de cette carte ; je ne la vois pas à l'écran.


M. BÂ :
Mais c'est la carte du Rwanda, il n'y a pas... il n'y a pas deux cartes du Rwanda.


Me MAC DONALD :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :
C'est les mêmes que... C'est la carte du Rwanda. Si vous... On peut, peut-être, mettre ça sur le rétroprojecteur. Si vous avez des objections sur la fiabilité de cette carte, vous pourrez le dire. Si vous pensez qu'elle est... qu'elle n'est pas fiable, vous pourrez faire part de vos observations.


Me MAC DONALD :
Je ne peux m'avancer sur la question, car je ne vois rien. Ce que je vois est très vague.


M. LE PRÉSIDENT :
En fait, le problème, c'est que le Conseil ne voit pas très bien cette carte à l'écran. Donc, il demanderait que vous lui communiquiez copie de cette carte, si vous aviez des copies supplémentaires, bien évidemment. Avez-vous d'autres cartes ? Avez-vous des copies supplémentaires ? Telle est la demande du Conseil de la défense.


M. BÂ :
Je n'ai pas de copies supplémentaires avec moi, mais je pourrais en chercher.

Q. Général, vous y êtes ? Est-ce que vous pouvez nous faire cette matérialisation des deux zones qu'occupaient les deux parties ex-belligérantes ?

R. Si nous exploitons cette carte du Rwanda — la seule qui nous était disponible à l'époque —, alors le FPR se trouvait dans la zone nord, entre la frontière ougandaise et une zone...

Q. Général, excusez-moi, la Défense semble avoir une objection.


Me MAC DONALD :
Lorsqu'il dit « ici », cela doit être précisé au procès-verbal ; donnez-lui un feutre pour qu'il identifie cette zone, car si vous voulez interjeter appel, vous ne savez pas de quoi il a parlé. Il faut que cet endroit soit identifié. C'est pour cela que je demande que l'on nous donne copie de cette carte.

Maître Black suggèrerait qu'on utilise un fax pour qu'on ait sous les yeux le document que le général Dallaire identifie et annote. Mais je pense qu'il faudrait attirer son attention sur le fait qu'il est nécessaire d'identifier les zones.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, demandez au général Dallaire d'identifier les zones avec un feutre... un marqueur.


M. BÂ :

Q. Vous allez le faire, Général ; c'est le but de l'exercice, d'ailleurs.

Général, si vous pouvez utiliser un marqueur pour nous montrer... ou, s’il le faut même, des marqueurs différents pour nous montrer la zone qu'occupait le FPR et inscrire à l'intérieur de cette zone « FPR ».

R. Oui, je vais demander une feuille transparente pour superposer sur la carte, pour ne pas l'endommager. Très humblement, je voudrais suggérer que, dans le rapport des Nations Unies sur le Rwanda, cette carte est identifiée ; elle porte les différentes zones : La zone du FPR, la zone démilitarisée et la zone du RGF. Je ne vais pas surseoir à la procédure, je vais travailler de mémoire, pour retrouver les contours des différentes zones.

Et si je suivais une ligne, cette zone jusqu'ici est la zone du FPR ; ensuite, vous avez cette zone qui se dessine, plus ou moins, comme suit, appelée « la zone démilitarisée » ; et tout ce qui est à l'extérieur représente essentiellement la zone gouvernementale.

Q. Merci, Général. Nous allons, peut-être, utiliser cette carte plus tard. Vous pouvez rejoindre votre siège, je vais continuer avec mon... mes questions.

(Le témoin, Monsieur Dallaire, s'exécute)

Me MAC DONALD :
Ne devrions-nous pas identifier ceci ? Si nous devons y revenir plus tard, il faudrait peut-être que nous l'identifiions maintenant.


M. BÂ :
Identifier quoi ?


Me MAC DONALD :
La carte.


M. BÂ :
Qu'entendez-vous par « identifier la carte » ?


Me MAC DONALD :
(Début de l'intervention inaudible)...le témoin vient de faire un exercice sur une carte, il faut identifier cette carte-là — si jamais on s'en sert ultérieurement —, alors soit sous une cote P, ID ou P ; appelez ça comme vous voulez.


M. BÂ :
Non, avant la fin de mon interrogatoire, on y reviendra, et après, on lui donnera une cote ; on lui donnera une cote après ; ça n'urge pas.


Me MAC DONALD :
Et il a parlé des zones où ils avaient été stationnés, il faudrait l'identifier pour que si nous devons revenir à la carte plus tard, pour que nous puissions l'identifier, la carte que vous avez versée en preuve tantôt (sic). Mais bon, si vous ne pensez pas nécessaire de le faire, je ne voudrais surtout pas insister.


M. BÂ :
On va poursuivre, Général.

Q. Général, à l'époque, à combien estimiez-vous le nombre de soldats des Forces armées rwandaises, lorsque vous vous y êtes rendu en mission en août 93 ?

R. Les estimations ou les données que nous avons reçues des deux groupes d'anciens belligérants disaient que… du côté du FAR, environ 22 à 23 000 éléments. Cette information, d'un point de vue d'une mission de maintien de la paix des Nations Unies, doit être donnée de manière volontaire de la part des ex-belligérants qui veulent la transparence et qui veulent arriver à la mise en application des Accords de paix.

Q. Donc, du côté des FAR, vous dites... qu'est-ce qu'on vous a dit ?

R. Ce que l'on m'a dit, c'est ce que je vous ai communiqué : Entre 23 et 24 000 troupes (sic) pour l'armée, et cela, du côté gouvernemental.

Q. Et pour la Gendarmerie, est-ce que ce chiffre inclut les effectifs de la Gendarmerie ?

R. Les chiffres de la Gendarmerie... Non. Les données de la Gendarmerie varient entre 4 et 6 000, et les chiffres finaux, c'est-à-dire les nombres exacts qui ont été vérifiés et contre-vérifiés, nous n'avons jamais pu en avoir dans le cadre de cette opération.

Q. Oui, dans ces 22 à 24 000 soldats des FAR, à combien estimeriez-vous les effectifs de l'unité qu'on appelait « la Garde présidentielle » ?

R. Les chiffres dont je me « souvienne », pour ce qui est de la Garde présidentielle, montaient à 600.

Q. Merci, Général. Et les effectifs du FPR à l'époque, à combien les estimiez-vous ?

R. Encore une fois, les chiffres que je vous communique sont ceux que nous avons reçus des ex-belligérants, sans toutes les vérifications idoines ; pour le FPR, il s'agissait d'environ 11 000 à 12 000.

Q. Merci. Général, pouvez-vous nous parler de l'armement des deux forces ex-belligérantes au moment de votre inspection, d'après ce que vos interlocuteurs ont pu vous en dire, bien sûr ?

R. Oui, pour ce qui est des forces gouvernementales, tout d'abord, la liste des armes nous donne des armes personnelles, des fusils, un armement léger, et il y a une série de... d'armements beaucoup plus lourds, des « 120 millimètres », des armements lourds, « un » artillerie « lourd », des mitrailleuses, des hélicoptères et un véhicule de reconnaissance avec un système d'artillerie lourd. Donc, nous avons une grande variété d'armes qui étaient l'attribut des bataillons.

Pour ce qui du FPR, il y avait un armement léger, avec des mitrailleuses, et les mitrailleuses les plus sophistiquées, « 120 millimètres », des missiles. Cela n'a pu être confirmé, mais nous avons beaucoup de « 87 ».

Q. Merci, Général. À l'époque, en août, lorsque vous vous êtes rendu au Rwanda, qui dirigeait le Gouvernement du Rwanda ; qui était le Premier Ministre du Rwanda ?

R. À l'époque, le responsable du Gouvernement, bien évidemment, il y avait le Président Ndindiliyimana, Madame Agathe, Premier Ministre d'un Gouvernement de coalition qui attendait la mise en place d'un gouvernement transitoire.


M. LE PRÉSIDENT :
Il ne s'agissait pas de Ndindiliyimana, ça a été une erreur.

M. BÂ :
(Début de l'intervention inaudible)... Premier Ministre.

Q. Donc, Général, nous convenons bien que c'était Agathe Uwilingiyimana ?

R. Oui, cela est exact.

Q. L'aviez-vous rencontrée à cette occasion-là ?

R. Je reviens un peu en arrière. Il me semble que j'ai rencontré très peu de politiques, et je me triture l'esprit pour savoir si je l'avais rencontrée, oui ou non. Je ne puis y répondre de manière précise.

Q. Merci, Général.


Me MAC DONALD :
Une seconde, s'il vous plaît.

Je ne voudrais pas être l'empêcheur de tourner en rond. Mais je remarque que le général Dallaire consulte des notes, et je voudrais savoir de quoi il retourne. Bien évidemment, il s'y réfère pour se rafraîchir la mémoire. Et nous pourrions demander à ce que l'on nous communique ces notes, nous aimerions donc savoir avec exactitude ce qu'il a devant lui.


M. LE PRÉSIDENT :

Q. Général Dallaire, nous avons l'impression que vous lisez quelque chose ; s'agit-il de notes personnelles ? De quoi s'agit-il ?

R. Monsieur le Président, ce que j'ai sous les yeux, c'est une liste de noms, de postes, de grades qui apparaissent à la fin du glossaire de mon ouvrage. Je m'y réfère pour me rafraîchir la mémoire, après tout le temps qui s'est écoulé, bien évidemment ma capacité à toujours replacer les noms à côté des prénoms.

Q. Vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que la Défense puisse consulter le document que, vous-même, vous consultez, n'est-ce pas ?


M. DALLAIRE :
Pas du tout. Non, c'est juste une liste que j'ai sous les yeux.


Me MAC DONALD :
C'est certainement ce que j'utilise moi-même, c'est une partie de l'ouvrage du général Dallaire. Mais peut-être que Maître Black pourrait s'y reporter au moment opportun ; nous n'avons pas besoin de perdre du temps en Chambre.


M. BÂ :
O.K.

Q. Général, au terme de cette mission de reconnaissance, aviez-vous dressé un rapport pour vos mandats ; aviez-vous rendu compte à (sic) vos mandats ?

R. J'avais une équipe multidisciplinaire. Nous avons préparé un esquisse avant que nous quittions Kigali. Le rapport a été, ensuite, finalisé les premières semaines de septembre, puis, soumis, communiqué à mon supérieur hiérarchique au sein de l'opération de maintien de la paix pour qu'il s'en imprègne également.

Q. Et après cela, votre mission avec... votre collaboration avec les Nations Unies s'est-elle achevée, s'est-elle estompée où avez-vous... vous a-t-on confié une seconde mission par la suite ?

R. En fait, il y avait... j'avais toujours la mission ougandaise dont le rapport était pendant ; j'ai essayé d'assurer le suivi de mon départ pour prendre les rênes de cette mission au cours du mois de septembre. J'ai passé beaucoup de temps avec les agents des Nations Unies, pour nous pencher sur le rapport… sur le contenu de mon rapport, mais également pour les conseiller, les conseiller quant au rapport soumis au Secrétaire général, au Conseil de sécurité, pour assurer qu'il y avait un mandat pour ce qui est du rapport... de la mission de maintien de la paix sous lequel j'établissais ce rapport.

Q. Général, vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Je souhaiterais que les réponses soient un peu plus courtes à ce niveau, puisque nous ne sommes qu'à l'introduction ; ce n'est que pour camper le décor. Les réponses peuvent être un peu plus courtes à ce stade.

Ma question était de savoir si, après la mission de reconnaissance que vous aviez entreprise au mois d'août, est-ce que les Nations Unies vous ont confié, ensuite, une autre mission ?

R. Non, non, j'avais terminé ma mission de reconnaissance, je suis retourné à Dar es-Salaam, à Addis-Abeba, pour parler au facilitateur, au Président tanzanien, en pourparlers au docteur Salim Hamed Salim qui était le Président de la communauté africaine. Et je suis retourné à New York où j'ai continué à travailler sur la mission.

Q. C’est justement là… là où nous ne nous entendons pas. Je vais peut-être reformuler, c'est peut-être moi qui ai mal formulé la question.

Est-ce que, par la suite — c'est un fait connu, c'est un fait de notoriété—, on vous a confié une mission de maintien de la paix pour aller… pour faire plus court ?

R. Eh bien, j'étais responsable… La seule mission que j'avais, à l'époque, était la mission concernant l'Ouganda — la MINUAR pour l'Ouganda —, il n'y avait pas encore de mission pour le Rwanda. Cette mission n’est venue vraiment à l’existence qu'au moment où le mandat a été approuvé le 1er octobre. Et je faisais des travaux préliminaires pour aider le Secrétaire général et le Conseil de sécurité quant à savoir si on allait décider qu'il y aura une mission.

Q. Donc, est-ce qu'il a été finalement décidé qu'il devait y avoir une mission pour le Rwanda ? Et quand cela a-t-il été décidé ?

R. Au cours de la première semaine de mon retour, alors qu'on s'approchait du milieu du mois de septembre, l'opération de maintien de la paix a été proposée selon mon évaluation, et nous avons donc fait les recommandations dans le format des Nations Unies, jusqu’à… (inaudible) au Conseil de sécurité qui, finalement, a pris la décision d'approuver le mandat pour une mission de maintien de la paix au Rwanda le 5 octobre.

À l'époque, on m’a également dit que j'allais prendre le commandement de cette mission en tant que premier commandant et qu'un représentant spécial du Secrétaire général sera assigné à la mission en politique civile.


M. BÂ :

Q. D'accord. Et quel était le mandat qui vous était confié dans le cadre de cette mission ? Quel était le régime juridique de cette... de cette mission ?

M. DALLAIRE :

R. Le... Le fondement de la décision du Conseil de sécurité qui avait également... avait également accepté que je devienne le chef temporaire de la mission, jusqu'à ce que le représentant spécial vienne était que je devais être le premier commandant. Le document de mandat définit mes tâches et responsabilités, ainsi que les objectifs de la mission qui rentrent essentiellement dans le cadre du Chapitre VI, « mission de maintien de la paix », qui est limité à l'observation et au rapport sur la mission et aussi aide aux anciens belligérants pour la mise en application des Accords d'Arusha dans le cadre du mandat.

Q. Donc, une mission Chapitre VI, qu'est-ce qu'elle vous permettait ? Qu'est-ce que ce mandat vous permettait-il de faire et qu'est-ce qu'il ne vous permettait pas de faire ? Qu'est-ce qu'il ne vous permettait-il pas de faire ? Quelles étaient les limites de votre mission dans le cadre de ce Chapitre VI de la Charte des Nations Unies ?

R. Eh bien, la réponse figure dans le document du mandat qui est un document assez volumineux.

D'après mes souvenirs, j'étais censé aider dans l'appui aux deux ex-belligérants dans leur application de l’accord de paix. J'étais censé mettre en œuvre le concept des opérations de la mission de maintien de la paix, notamment la mise en place d'une zone de sécurité autour de la capitale Kigali et à l'intérieur de Kigali. Je devais également aider à l'élimination des mines dans certaines zones qui avaient souffert des mines dans une guerre civile antérieure.

Je devais également apporter mon aide dans la distribution de l'assistance humanitaire. Cela étant nécessaire à cause des près de 600 000 déplacés. Et je devais également aider... également aider dans la démobilisation et la réintégration des deux... des éléments de deux armées et, bien entendu, la Gendarmerie subséquente qui allait sortir du processus des Accords de paix d'Arusha.

Q. D'accord.

L'usage de la force par vos... par les troupes placées sous votre autorité était-il réglementé ?

R. Oui. La mise en œuvre du concept des opérations dans le cadre du mandat était composée dans l'ensemble des règles... les règles d'application. Ces règles, en vertu du Chapitre IV, concernent la... l'autodéfense et, dans cette limite, il y a certains éléments qui étaient des observateurs des Nations Unies et d'autres éléments de la mission étaient des bataillons qui disposaient d'armes, mais uniquement des armes légères pour la légitime défense et, également, pour protéger les sites des Nations Unies.

Mais... Mais j'avais, par écrit, cette réglementation concernant l'engagement en septembre, y compris une section concernant l'utilisation de la force, s'il y avait des crimes contre l'humanité, notamment des massacres ; et également un paragraphe qui provenait d'une mission selon le Chapitre VII au Cambodge, parce que nous étions préoccupés par la possibilité que des massacres se produisent si la situation ne progressait pas conformément au plan.

Q. Oui. Général, quand êtes-vous arrivé au Rwanda dans le cadre de l'exécution de cette deuxième mission ? Quand avez-vous rejoint le Rwanda ?

R. Je suis arrivé au Rwanda le 22 octobre, un jour après le coup d'État au Burundi qui a eu lieu le 21 octobre.

Q. O.K. Est-ce que, lorsque vous êtes arrivé, l'ensemble de vos troupes étaient présentes sur place ?

R. D'une manière plutôt inhabituelle, le premier commandant… Moi, j'étais la première personne sur le terrain et j'étais venu avec trois officiers de ma mission en Ouganda. Et au titre du concept des opérations, cette mission-là rentrait aussi sous mon... mon commandement.

Donc, pendant une période d'environ cinq mois, les troupes que j'avais demandées, dans le cadre du mandat, sont venues d'une manière séquentielle, progressive.

Q. Et lorsque vous avez eu toutes vos troupes présentes sur place, à combien se chiffraient-elles ?

R. Eh bien, lorsque vous m'avez posé une question au sujet des forces, les deux composantes… Il y en a deux : Il y a le nombre d'éléments et, l'autre composante, c'est le matériel, le matériel qui compose la force.

Lorsque j'ai eu tout mon effectif, je crois que nous étions à 2 568 éléments. Il y avait environ 200 civils en plus du côté civil de la mission. Toutefois, le seul contingent qui disposait réellement de matériel pour mener à bien la tâche prévue était le petit contingent belge, ainsi que le contingent du Bangladesh qui avait environ un quart des éléments.

Q. D'accord, et j'allais vous poser, d’ailleurs, une question subséquente sur le contingent belge.

En terme d'efficacité et de capacité opérationnelle, que représentait le contingent belge, pour vous ?

R. Eh bien, à la lumière des effectifs que j'ai reçus et du matériel à leur disposition, le contingent belge était un contingent professionnel de l'OTAN, composé d'environ 450 éléments, qui ne représentait que la moitié de ce qu'on m'avait promis, et donc, seule la moitié du bataillon, c'est-à-dire deux compagnies.

Le matériel qu'il avait, c'était du matériel léger, en tant que force de maintien de la paix. Ce matériel, cependant, était en train mauvais état. Il venait juste d'arriver d'une mission en Somalie. Ils avaient passé près de deux mois avec un personnel supplémentaire, pour remettre en état le matériel.

Leur capacité d'action, c'était surtout leur formation... la formation professionnelle qu'ils avaient eue. Ils avaient la communication. Ils avaient la mobilité, lorsque les véhicules étaient réparés — les véhicules à leur disposition —, et ainsi donc, ils constituaient la force principale de ma mission.

Q. Général, au terme des Accords d'Arusha, puisque je pense que vous étiez là dans le cadre des Accords d'Arusha, quelles étaient les tâches essentielles auxquelles vous deviez... vous deviez vous atteler, après votre arrivée en octobre ?

R. C'est une question extrêmement pertinente, dans la mesure où les Accords d'Arusha préconisaient une force internationale neutre. Et dans ce contexte, le... ayant un mandat d'être plus qu'un observateur, mais également ayant le mandat d'être un protecteur potentiel, eh bien, les Accords d'Arusha avaient un mandat de cette taille, alors que le mandat des Nations Unies que j'avais reçu, aux termes du Chapitre VI — mission du maintien de la paix — était limité à seulement observer la légitime défense et le rapport.

Donc, je n'avais pas vraiment l'autorité de faire la protection dans le cadre du mandat uniquement, la protection de la mission des Nations Unies et également des actifs des Nations Unies.

Q. Oui. Est-ce que, dans le cadre des Accords d'Arusha, il y avait de nouvelles institutions qui devaient être mises en place ?

R. Eh bien, aux termes des Accords, il y avait une série d'événements qui devait se produire, donc... pour lesquels un calendrier a été établi, ce qui signifie qu'après la signature des Accords au début du mois d'août, on s'attendait... enfin, ceux qui ont signé le document s'attendaient « que » la mission des Nations ait... soit prête en 27 jours, afin qu'un Gouvernement transitoire à base élargie soit mis en place vers le 10 septembre.

Eh bien, il n'était absolument pas possible de respecter ce calendrier. Et même avec l'état d'urgence que j'ai tenté de faire approuver dans le mandat, nous avions encore à mettre en place un certain nombre de mois pour que ce processus progresse ; le premier élément étant le déploiement d'une force qui allait contrôler la zone nord et, ensuite, une autre force qui pouvait donc relever le bataillon français qui était sur le terrain.

Troisièmement, le mouvement du bataillon du FPR à Kigali, ainsi que les forces de protection, pour leur structure politique et, quatrièmement, la mise en place d'un Gouvernement transitoire à base élargie qui, pour nous, devait être établi au 1er janvier 1994.

Q. D'accord. Avant d'en arriver, Général, au Gouvernement de transition à base élargie, lorsque vous avez eu toutes vos troupes présentes à Kigali, comment vous les avez... comment les avez-vous disposées sur le territoire du Rwanda ?

R. Le déploiement des troupes s'établissait ainsi qu'il suit : L'unité la plus apte étant le bataillon belge, a été déployée au centre de la capitale, avec une force à l'aéroport... une force importante à l'aéroport, car c'était mon point stratégique le plus vulnérable.

La moitié des bataillons du Bangladesh a également été déployée dans la capitale, où elle effectuait des gardes, des patrouilles et avait des responsabilités territoriales ; et elle était également ma force de réserve pour que je puisse réagir si un problème survenait entre les deux forces et qui nécessiterait plus que ce qui était sur les lieux.

Ensuite, j'ai déployé le bataillon des Ghanéens à l'intérieur de la zone démilitarisée, à certains points spécifiques. Mais puisqu'ils ne disposaient pas de véhicule, ils n'étaient pas efficaces, au plan opérationnel, trois mois après leur arrivée.

Et ensuite, dans tout le pays, y compris dans la capitale, dans la zone du FPR, j'ai déployé des observateurs dont le travail était d'observer et de rendre compte de toute altercation ou de toute action rentrant le corps... le cadre de l'Accord de paix.

Et à l'intérieur de la capitale, en vue d'aider à la mise en application de la zone sécurisée de Kigali, j'ai déployé une autre série d'observateurs qui ont été déployés à différents points, en vue de suivre les mouvements du bataillon du FPR et également les forces des FAR, y compris la principale unité de la Gendarmerie que l'on appelait la JALI compagnie, qui était une force de réaction rapide.

Et à cause du coup d'État au Burundi, je me suis retrouvé avec plus de 300 000 réfugiés dans le sud du Rwanda. J'ai donc dû... donc déployer des forces vers le sud, en vue de suivre… surveiller cette région, s'il devait se produire des altercations entre les réfugiés burundais et les Rwandais. Et je devais également apporter mon aide dans le processus humanitaire.

Q. Merci, Général. Dans la perspective de la mise en place du Gouvernement de transition à base élargie, est-il arrivé un moment où le FPR a dépêché ses représentants politiques et une partie de ses troupes à Kigali ?

R. Le 28 décembre, nous avons mené une opération appelée « Clean Corridor », qui était donc le déplacement d'un bataillon léger du FPR composé de 600 éléments, avec le président du FPR et ses hauts responsables politiques au sein du CND, qui est donc le Parlement rwandais, au centre de Kigali.

Donc, ils ont été positionnés là défensivement, et ils ont reçu une escorte, tout comme le FPR avait une escorte, et que nous avons escorté les responsables politiques et mon... et nous avons donc fourni notre escorte tout au long de ces négociations, pour continuer la mise en œuvre et l'application du Gouvernement de transition à base élargie.

Q. Oui. Et cela m'a peut-être échappé, mais où est-ce qu'on les... où est-ce que les aviez-vous installés — ces responsables politiques et ces soldats du FPR ?

R. En fait, je ne leur ai pas demandé. Lorsque nous étions sur le processus de négocier où ce bataillon devait s'installer, conformément au mandat et au procès-verbal d'Arusha, il revenait au Gouvernement... à la partie gouvernementale de proposer un site qui pourrait être convenable et qui pourrait donc abriter un bataillon, ainsi que le nombre voulu de hauts responsables politiques qui allaient les accompagner.

Et donc, une série de sites ont été identifiés — quatre sites —, et c'est le Gouvernement qui, finalement, a décidé du site qui allait être utilisé, et c'était le site du CND.

Q. Merci, Général. Aviez-vous des observateurs, au CND ?

R. Oui, j'avais essentiellement une compagnie tunisienne qui a été déployée autour du CND, une petite compagnie d'environ 60 soldats. Et à l'intérieur, il y avait également un petit groupe d'observateurs des Nations Unies, qui assurait la communication et les discussions et tout autre demande au plan logistique et assurait la coordination des convois avec le bataillon du FPR et les hauts responsables de l'unité du FPR.

Q. Merci. Les forces que vous aviez sur place, est-ce qu'elles contrôlaient les entrées et les sorties du CND ?

R. Oui, leur responsabilité consistait à prendre note des déplacements du personnel politique avec les escortes militaires, ce qui était l'unique raison pour laquelle une escorte pouvait quitter le camp.

Il s'agissait d'escorter les... le FPR à diverses réunions à Kigali ou assurer l'escorte des convois logistiques... logistiques vers ou en provenance de la zone du FPR, en vue, donc, de satisfaire leurs besoins à Kigali.

Et il y avait également ceux qui étaient autour de la zone qui notaient aussi les entrées et les sorties, et ce qui était l'objet de ma plainte par rapport à la coordination de cet effort du côté gouvernemental.

Q. Merci. Vers... À partir du moment où le contingent du FPR a rejoint Kigali, en... fin décembre, est-ce que la circulation des armes à l'intérieur de Kigali a été réglementée ?

R. Nous avons mis en place la zone sécurisée de Kigali juste avant Noël et, ce faisant, nous avons ensuite procédé à la vérification des véhicules, nous avons mené des contrôles continus, nous avons déployé des observateurs à différents points pour le matériel militaire, y compris les munitions, et le déploiement des troupes s'effectuait dans la zone sécurisée.

Et, par la suite, tous ces mouvements étaient notifiés, dans le cadre du protocole signé entre le FPR, les FAR et moi-même, pour la mise en œuvre de la zone sécurisée de Kigali.

Q. Oui. La zone sécurisée de Kigali, aux termes des accords, donc, qui ont été signés, quelles étaient les obligations respectives des parties ? Qu'est-ce que les parties pouvaient faire ? Qu'est-ce qu'elles ne pouvaient pas faire ? Qu'est-ce qu'elles n'étaient pas admises à faire ?

R. Il faut se souvenir que la zone sécurisée de Kigali était une création de moi-même avec mon personnel. À cause de la situation inhabituelle caractérisée par le fait qu'il y avait un bataillon d'un ex-belligérant qui se trouvait à l'intérieur de la zone de l'autre ex-belligérant... en vu, donc, de s'assurer que nous pouvions garantir l'équilibre, ainsi que la mise en place des positions pour la mise en application des accords de paix, nous avons donc créé cette zone sécurisée.

Dans ce contexte, essentiellement toutes les armes étaient sécurisées dans les casernes, les munitions étaient contrôlées régulièrement. Aucun mouvement de troupes n'était permis, pas plus qu'une section. Et s'il fallait des troupes plus importantes, il fallait une escorte. Aucun mouvement de convois logistiques et autres n'était autorisé, sauf s'il y avait des observations provenant de mes forces ; aucun mouvement des hauts responsables sans escorte n'était autorisé, sauf si... s'ils avaient une escorte provenant de mes forces.

Et régulièrement, nous menions des contrôles routiers inopinés pour nous assurer que des armes n'entraient ou ne sortaient de la zone sécurisée.

Q. Merci, Général. Général, au mois de janvier 1994, est-ce qu'il y a eu des tentatives pour mettre en place les institutions de transition ?

R. Oui, il y en a eu de nombreuses... de nombreuses tentatives. La première, le 5 janvier, qui a connu un peu de réussite en ce que le Président Habyarimana prêtait serment dans le cadre de la nouvelle structure de la gouvernance politique, telle qu'établie par les Accords d'Arusha, dans le cadre de ce Gouvernement transitoire.

Q. Le 5 janvier, donc, le Président Habyarimana a pu prêter serment. Est-ce que le Gouvernement de transition et l'Assemblée nationale de transition ont pu être mis en place, ce 5 janvier ?

R. Non, et cela ne s'est finalement jamais produit, et c'était là une impasse politique qui a perduré des mois durant. Il y a eu des conflits, des négociations en cours au sein des partis politiques...

Q. Général...

R. ... relativement aux personnes qui représentaient...

Q. Général, procédons par étapes. On en est encore au mois de janvier.

Le 5 janvier, sur quoi cette tentative-là a-t-elle achoppé ?

R. D'accord. Très bien. Nous avions reçu une liste de personnes qui devaient prêter serment, incluant bien évidemment le Président, mais ce jour-là, les personnes... un certain nombre des personnes devant prêter serment n'ont pu accéder à l'enceinte, car il y a eu une grande action d'envergure pour inviter les populations. Il y avait beaucoup de personnes autour du CND, l'accès était donc rendu difficile.

Et, en outre, il y avait de très forts désaccords quant aux listes de personnes devant prêter serment ; elles étaient différentes des listes négociées, et il y avait de cela plusieurs mois. Il y avait différents éléments qui s'y retrouvaient et cela empêchait le mouvement des modérés. Et mon personnel a noté la présence de certains éléments de la Garde présidentielle habillés en civil, qui se retrouvaient au sein de la population et qui invitaient les foules à des réactions violentes.


Me MAC DONALD :
Monsieur Bâ, nous sommes sur cette question. Allez-vous verser en preuve la lettre d'Agathe — 1 et 2 —, pour que le général Dallaire nous donne des précisions, à savoir s'il s'agissait du matin ou de l'après-midi ?


M. BÂ :
Attendez votre contre-interrogatoire pour faire cela.

Q. Donc, Général, vous dites qu'il y a eu des personnes qui ont été interdites d'accès. Peut-on savoir quelles sont ces personnes qui ont été interdites d'accès et qui les a empêchées d'accéder au CND ?

R. L'information que j'ai reçue — et si je me fie à ma mémoire : Ceux qui avaient été interdits d'accès étaient, entre autres, Lando.

J'essaie de retrouver les noms des autres personnes dont l'accès avait été interdit. Je pense que ces noms apparaissent dans mon livre.

Q. Oui.

R. Il y avait également... Ceux qui empêchaient l'accès étaient les populations civiles, mais sur la base des informations que je recevais de mes agents... est que ces personnes avaient été encouragées à interdire l'accès aux personnes... des personnes au CND.

Q. Vous nous avez parlé également de listes divergentes ou de substitution de listes. Pouvez-vous être un peu plus précis sur ce point ?

R. J'aurais du mal à le faire, car tout d'abord, j'ai oublié tout cela ; ces exercices étaient si nombreux. J'essaie de me rappeler la liste qui a fait l'objet de négociations et qui n'est pas celle qui a été utilisée pour les invitations... pour inviter les hautes autorités du Gouvernement.

Je me souviens également de cette liste, mais je ne sais pas qui en était l'auteur. À présent, j'ai oublié tout cela, ma mémoire me fait défaut. La liste émanait du Gouvernement, mais malheureusement, je ne pourrais me souvenir de qui, précisément, au sein du Gouvernement, en était l'auteur.

Q. Merci, Général, ce n'est pas grave.

Général, en ce début de janvier 1994, la route vous paraissait-elle… vous paraissait-elle dégagée pour la mise en place des institutions de transition ? Ou alors, les perspectives vous paraissaient-elles plutôt floues ou sombres ?

R. La situation était complexe, en ce sens que déjà, à l'époque, le 10 décembre, nous avons fait intervenir le SRG pour remettre les choses en place, et cela pour la mise en place du Gouvernement transitoire à base élargie, sur la base de la liste. Nous l'avons négocié. Nous n'avons pas connu de succès, comme je l'ai dit, le 6 janvier.

Cette stagnation politique était la source de nombreuses réunions de tous les partis, tous azimuts, aux fins de réconciliation, et cela a mené à la dernière liste de politiciens qui les affectaient à des postes militaires... ministériels pour que nous puissions les... leur faire prêter serment et que nous puissions passer au Gouvernement transitoire à base élargie.

Q. Y avait-il, à cette époque-là, une personne désignée pour occuper le poste de Premier Ministre du Gouvernement de transition à base élargie ?

R. Oui, dans le cadre des Accords d'Arusha, le Premier Ministre désigné était Faustin Twagiramungu. Il avait pris part à toutes les séances de négociations. Il s'asseyait à la gauche du représentant spécial.

Q. Général, avez-vous rencontré Faustin Twagiramungu durant ces premiers jours de janvier 1994 ?

R. Oui, j'ai eu l'occasion, lorsque j'ai pris part à ces réunions, j'ai eu l'occasion donc de le rencontrer et j'ai eu un entretien privé avec lui lorsqu'il m'a rendu visite en début janvier, pour m'entretenir d'une situation spéciale, relativement à un informateur.

Q. Quel jour était-ce... Vous vous rappelez de quel jour c'était, lorsqu'il est venu vous voir pour vous parler d'un informateur ?

R. Oui. C'était le 11 janvier. C'est ce jour-là qu'il est venu me voir. Nous avons... J'ai rencontré Faustin à d'autres occasions, mais c'étaient des réunions, des meetings politiques qui traitaient de l'impact politique.

Q. Oui. Général, arrêtons-nous au 11 janvier.

Lorsqu'il est venu vous voir pour vous parler, dites-vous, d'un informateur, comment vous est-il apparu ? Avait-il l'air préoccupé ? Dans quel état était-il ?

R. Le Premier Ministre était un homme stable, qui n'exprimait pas facilement ses émotions, et c'est pour cela qu'à cette occasion-là, il semblait perplexe. Cela m'a étonné. Il semblait préoccupé, lorsqu'il m'entretenait de ces questions sensibles qui pouvaient être également des informations dangereuses.

Q. Et... Et que vous a-t-il dit, au cours de cette rencontre ?

R. Il m'a dit qu'il y avait un élément de haut rang de l'organisation des Interahamwe qui l'avait contacté, disant qu'il était informé quant à leurs opérations, qu'il ne pouvait plus continuer à fonctionner dans le cadre des Interahamwe, qu'il ne pouvait plus continuer à travailler dans l'aile jeunesse du MRND, du fait d'actions extrémistes qui étaient programmées, l'entraînement et l'armement des miliciens également, qui étaient donc en cours. Il m'a entretenu de tout cela.

Q. Et après avoir reçu ces informations, qu'avez-vous fait ? Avez-vous décidé d'y... d'y donner une suite quelconque ?


Me MAC DONALD :
Je me vois dans l'obligation de soulever une... une objection. J'avais compris qu'il s'agissait d'éléments de preuve par ouï-dire, et « elles » ne devaient être exploitées, et je voudrais que cela soit notifié au procès-verbal.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Mac Donald a soulevé une objection.

Que cela soit noté au procès-verbal.


M. BÂ :

Q. Général, après avoir rencontré Monsieur Faustin Twagiramungu...

R. Oui.

Q. ... et reçu de lui cette information, avez-vous réagi ? Avez-vous décidé d'y donner une suite ?

R. Oui, cela venait de ce jeune homme. Nous savions quel rôle il pouvait jouer dans un gouvernement futur. J'ai immédiatement contacté le commandant du secteur de Kigali, le colonel Luc Marchal. Je lui ai demandé de suivre l'affaire, c'est-à-dire enquêter en... interroger, compiler toute l'information disponible sur cette personne et, à partir de là, nous apprécierions... nous pourrions aviser et savoir si c'était là quelque chose d'important ou si c'était une information qui nous était communiquée.

Dans beaucoup d'autres cas, nous avions du ouï-dire, des commentaires, des observations de personnes et d'autres, mais il s'agissait de faits qu'il nous était difficile de confirmer ou corroborer, du fait que je n'étais pas dans la mission Chapitre VII, c'est-à-dire que je ne pouvais pas m'adonner à des exercices de compilation d'informations.

Q. Oui. Le colonel Marchal vous a-t-il rendu compte de ses... de ses investigations, ce jour-là ou un autre jour ?

R. Oui, il est revenu à moi dans la même soirée, au camp militaire, sous escorte d'un agent des opérations. J'avais à côté de moi, également, mon officier des informations et également mon directeur de cabinet qui étaient là. Et il nous a parlé, il nous a donné les détails des informations détaillées que cet informateur communiquait quant aux opérations, quant aux actions menées par les Interahamwe et par les dirigeants du parti politique MRND.

Q. De mémoire — je sais que cela vous sera un peu difficile —, qu'est-ce qu'il vous a dit, en substance ? Quels ont été les points saillants de... de ces révélations, de ce rapport du colonel Marchal ?

R. Autant que je puisse me souvenir, les points les plus importants étaient que le parti MRND armait, entraînait les Interahamwe pour en faire une force qui serait utilisée s'il était nécessaire de se lancer dans le combat, mais également une force qui serait utilisée pour mener les tueries à grande échelle des Tutsis sur ordre.

Il nous a également donné des renseignements quant à des armes qui étaient distribuées, des entraînements qui étaient en cours, des listes qui étaient compilées — listes de cibles qui seraient recherchées, pourchassées — et...

Il s'agissait de renseignements d'ordre général quant à la conduite des Interahamwe relativement à ce qu'ils seraient amenés à faire si on leur demandait de passer à exécution, ce qui semblait être, vraisemblablement, un plan diabolique, c'est-à-dire pourchasser et finalement tuer à grande échelle les Tutsis.

Q. Général, après avoir reçu cette information, qu'avez-vous fait ?

R. Après avoir reçu ces informations, n'oublions pas qu'il a dit que les soldats belges seraient potentiellement une cible. Alors, tout cela nous a menés à penser à l'opération à Mogadiscio, au mois d'octobre. Les Américains avaient été attaqués, pourchassés, renvoyés.

Donc, sur cette base, nous avons également écouté son évaluation professionnelle du contexte, son évaluation de la source de sa crédibilité. Alors, j'ai pris cette information, j'ai agi, c'est-à-dire que j'ai donné des ordres pour établir des liens, maintenir des liens avec ces individus, essayer d'avoir des informations beaucoup plus détaillées, avoir des informations beaucoup plus officielles, et essayer de savoir où se trouvaient les armes, de peaufiner des plans, j'en passe, et également préparer une opération, et cela dans le cadre d'une cible que nous pouvions identifier.

Un jour et demi par-delà, après cette réunion, et j'ai demandé à mes hommes de récapituler toute cette information, la peaufiner, l'envoyer aux opérations de maintien de la paix à New York, sous scellés.


M. BÂ :
O.K.

Monsieur le représentant du Greffe, je vous demanderais de présenter au général le document nº 1 dans le classeur... qui se trouve dans le classeur que nous avons remis. Je crois que c'est le Prosecutor exhibit 67 que nous avons déjà déposé avec le témoin Frank Claeys. C'est le « P. 67 ».


Me MAC DONALD :
Vous auriez l'amabilité de bien vouloir nous communiquer ce document ?


M. BÂ :
Quoi ? Quel document ?


Me MAC DONALD :
Vous produisez un document. Nous aimerions bien l’avoir.


M. BÂ :
Mais vous l'avez !


Me MAC DONALD :
Non, nous ne l'avons pas. Nous vous avons communiqué tous les documents que nous allions exploiter. Vous voudrez bien nous donner les... les vôtres ?


M. BÂ :
Mais on vous l'a communiqué la semaine dernière.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président…


M. BÂ :
C'est le document nº 1.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, j'avais demandé à ce que le Procureur puisse nous donner les quelques documents sur lesquels il va se baser pour le contre-interrogatoire et, jusqu'à la date d'aujourd'hui, nous n'avons eu aucun document.


M. BÂ:
Mais qu'est-ce que cela veut dire ?


Me SEGATWA :
Si les autres l'ont eu, moi, je n'ai eu aucun document.


M. BÂ :
15 novembre 2006 : Vous avez tout un binder.


Me SEGATWA :
15 novembre ?


M. BÂ :
15 novembre 2006… (fin de l’intervention inaudible)


Me SEGATWA :
Depuis quand ? Depuis quand ?


M. BÂ :
« Aux Honorables Juges de la Chambre de première instance II et à chacune des équipes de la défense. »


Me SEGATWA :
Aucune pièce ne nous a été communiquée.


M. BÂ :
Roger, vous étiez encore à Arusha à ce moment-là ? C'est par vous que c'est passé. La Défense dit qu'elle n'a rien reçu.

Monsieur Roger, est-ce que vous m'entendez ?


Me SEGATWA :
Monsieur le Président…


M. KOUAMBO :
Oui, Monsieur Bâ.


M. BÂ :
Oui. Le 15 novembre...


M. LE PRÉSIDENT :
Une seconde, Monsieur Bâ.

Il y a eu plusieurs jeux de documents qui ont été communiqués au Greffe par le Procureur. Ces documents ont-ils été récupérés ou ont-ils été communiqués à la Défense ?


M. KOUAMBO :
Ils ont été envoyés par courriel le même jour où ils ont été donnés par le Procureur.


M. LE PRÉSIDENT :
Les Juges ont copie des documents ?


M. KOUAMBO :
Yes.


Me TAKU :
Sauf respect de votre part, je voudrais dire que je n'ai pas reçu copie de ces documents, mon client non plus.

Je pense que le Conseil de la défense doit être servi, mais également mon client doit recevoir copie de ces documents au centre de détention pour qu'il s'imprègne des accusations retenues contre lui. Et au moment où je vous parle, je n'ai rien reçu et mon client non plus. Et je proposerais que mon client soit servi par courriel, du fait des restrictions à l'UNDF.


M. LE PRÉSIDENT :
Avez-vous jeu... le jeu de ces documents... Avez-vous ce jeu de documents ?


M. BÂ :
Oui.


M. KOUAMBO :
Monsieur le Président, je confirme que les documents ont été envoyés par courriel aux parties, suivant ce procédé habituel.


Me SEGATWA :
S'il vous plaît, Monsieur le Président...


M. BÂ :
Et je l'ai... Il me semble que je l'ai vu sur mon computer.


M. KOUAMBO :
(Début de l'intervention inaudible)... avant mon départ d'Arusha.

M. LE PRÉSIDENT :
Maître Mac Donald, je vous fais remettre le jeu de documents que j'utilisais... que j'avais reçus.


Me MAC DONALD :
Nous avons des cartons et des cartons de documents. Mon assistante et mon stagiaire se sont préparés pendant plusieurs semaines. Nous ne pouvons pas consulter ces documents ici et maintenant.

Je propose que l'on suspende et que l'on nous donne le temps pour que nous nous imprégnions de ces documents. J'en connais quelques uns, à ce que je vois, mais la seule alternative serait de suspendre jusqu'à demain matin, que l'on nous donne l'occasion, tout au moins, de prendre connaissance des documents.


Me TAKU :
J'appuie cette demande pour la raison simple « il » ne faut pas prendre pour acquis que le fait d'envoyer des documents par courriel — qu'on ne les ait pas reçus — puisse régler le problème. Ces documents peuvent être communiqués à l'Accusé à l'UNDF, au centre de détention, car c'est le client qui va en prendre connaissance, au centre de détention, les comprendre et nous donner les instructions. Si ces documents n'ont pas été communiqués au client, alors, cela n'est pas avéré.

Nous sommes là depuis un moment... depuis que cette décision a été rendue et je n'ai pas reçu communication. Je ne vois pas de quoi parle le Procureur, sauf respect de votre part.

Je crois, Monsieur le Président...


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Suspension... Interruption.


M. BÂ :
Monsieur le Président, ça a l'air de quelque chose totalement fabriqué. J'ai demandé à ma case manager d'aller « printer » l'e-mail que le Greffe leur a envoyé. Toutes les équipes de défense l'ont reçu. Toutes.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président..

M. BÂ :
J'en mets ma main au feu. Toutes les équipes de défense l'ont reçu.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je crois qu'il ne faut pas mettre la main dans le feu inutilement, parce que tout ce que j'ai reçu, moi, le 16 novembre 2006, c'est exactement la déposition de témoin Pro Justitia contre, je crois, trois chefs des Interahamwe qui étaient Nkezabera… Je crois d'ailleurs que c'est contre Nkezabera. C'est tout ce que j'ai reçu, le 11 novembre, et par courriel.

Et vous vous souvenez, Monsieur le Président, qu'avant le départ de Kouambo, lorsque Maître Sefon faisait son contre-interrogatoire, j'ai rappelé qu'on devait me communiquer les dossiers sur lesquels on « va » se baser pour le contre-interrogatoire. On avait répondu que Kouambo avait les dossiers et Kouambo a dit qu'il n'avait rien reçu.

Et jusqu'à ce moment, aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, l'équipe de Sagahutu n'a reçu aucun document du Procureur, à part ce qu'il a envoyé par courriel, et c'est un Pro Justitia où Roméo Dallaire a été entendu contre un des Interahamwe qui s'appelait Nkezabera. C'est tout ce que j'ai eu comme document.


M. BÂ :
Ça, c'est le vendredi, le vendredi dernier. La communication initiale, c'est depuis le mercredi
— mercredi 15.


Me SEGATWA :
On n'a jamais eu ça.


M. BÂ :
Eh bien... C'est revenu avec le numéro du Greffe et tout. La... La lettre de transmission est là : « Aux Honorables Juges de la Chambre de première instance II et à toutes les équipes de la défense. »


M. LE PRÉSIDENT :
Nous l'avons reçu mercredi ou jeudi. C'est tout ce que je puis dire, pour ma part.

Maître Segatwa a dit au prétoire que, le lendemain, tout cela leur avait été envoyé par le Greffe.


Me SEGATWA :
Non, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous allons observer notre pause. Et nous allons revenir...


Me SEGATWA :
(Intervention inaudible : Microphone fermé)


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro !


Me SEGATWA :
Le greffier pourra lui-même attester qu'il n'a eu aucun document de la part du Procureur pour me le communiquer. Et j'avais même soulevé que je vais faire une objection sur la non-communication des documents, au cas où on arriverait en audience, sans avoir reçu les documents. Ça, on peut... (fin de l'intervention inaudible)


M. KOUAMBO :
Your Honor.

M. BÂ :
Roger ? Vous avez quelque chose à répondre ?


M. KOUAMBO :
(Intervention inaudible)


M. LE PRÉSIDENT :
Oui ? Oui, Roger ?


M. KOUAMBO :
Je souhaiterais dire que je n'ai jamais dit que je n'ai pas reçu le document, comme le suggère Monsieur Segatwa.

J'ai dit que j'ai reçu les documents du Procureur et qu'ils ont été envoyés aux parties suivant le procédé habituel, par courriel. Ils ont été envoyés aux Accusés en version papier, suivant le procédé habituel. Voilà ce que j'ai à dire.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous allons laisser le temps aux chargées de dossier pour qu'elles se renseignent.

Nous allons prendre la pause et reprendre à 18 heures, pour rattraper le retard.


M. BÂ :
Donc, une pause d'une demi-heure ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, oui, l'audience est suspendue. Nous reprendrons à 18 heures.

(Suspension de l'audience : 17 h 30)

(Reprise de l'audience : 18 h 5)

M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Greffier, quelle est votre déclaration ?


M. TOURÉ :
Monsieur le Président, nous avons ici des éléments de preuve qui établissent de façon claire que les documents dont il est question ont été effectivement envoyés par e-mail. Et j'ai ici un document ; nous avons imprimé la... la preuve qui établit qu'effectivement, ces documents ont été envoyés.

Et la liste des gens à qui les documents ont été envoyés, cette liste est bien ici.


M. BÂ :
Monsieur le Président...


M. TOURÉ :
Je vous remercie.


M. BÂ :
Vous pouvez le vérifier par votre propre e-mail, parce que c'est le même envoi qui a été fait à tout le monde. Maître Charles Taku l'a reçu, Maître Christopher Black l'a reçu, Maître Mac Donald l'a reçu, Maître St-Laurent l’a reçu, Maître Segatwa l’a reçu, Maître Doumbia l'a reçu, Nathalie Leblanc l'a reçu.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président... Monsieur le Président, est-ce que...


M. BÂ :
Est-ce qu'on pourrait ne pas perdre davantage de temps ?


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro, s'il vous plaît !


M. BÂ :
Est-ce qu'on pourrait ne pas perdre davantage de temps et continuer ? C’est patent, c’est évident que vous l'avez eu.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je crois que nous sommes… nous sommes en train de partir devant les incertitudes. On parle qu’il y a eu des documents qui ont été envoyés. Il s'agit de quels documents ? De quelles pages à quelles pages ? Il s’agit de quoi ? Parce que j'ai l'impression que nous ne parlons plus le même langage, même si on parle « du » français.

Moi, je vous dis que le seul document que j'ai reçu effectivement, il est là. Il a été envoyé par le Procureur, le 16 novembre. Il a été reçu par le greffier le 17 novembre, et il porte les cotes 9167 bis à 9157 bis.

Est-ce qu'il peut nous prouver qu'en dehors de ce document-là, il y a d'autres documents qui ont été reçus ? Parce que si on dit qu'il faut perdre du temps, je crois qu'il faut résoudre un problème de procédure très important : Le problème de communication des pièces.


M. BÂ :
Attendez.


Me SEGATWA :
Et vous vous souviendrez, Monsieur le Procureur...

Si vous voulez que je termine un tout petit peu, ou alors, je vous laisse, je reprendrai la parole après.


M. BÂ :
Oui, oui, oui, parce que je pense qu'on perd du temps.

Ça a été envoyé le 15. Vous l'avez reçu le 16/11 à 9 h 34 du matin. Ça a été envoyé le 15 dans l'après-midi, vous l’avez reçu le 16 au matin.

Monsieur le représentant du Greffe, est-ce que vous pouvez leur faire parvenir ça ?


Me SEGATWA :
(Intervention Inaudible : Microphone fermé)


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro ! Micro ! Nous ne vous entendons pas.


Me SEGATWA :
Je disais que je reprends la parole que le Procureur m'avait enlevée.

Le samedi... Le samedi, je pense que c'est le 18, j'étais avec mon client à la prison. Et le client n'avait pas de document communiqué par le Procureur. Et dimanche, ce n'est pas le moment de communication. Là, c'est très facile de nous dire qu'on a envoyé par e-mail, c'est très facile, mais nous disons que nous — et je ne dis… je ne suis pas le seul, c'est toutes les équipes de la défense... Est-ce que toutes les équipes de la défense peuvent être défaillantes en même temps ? Ce n'est quand même pas possible.

Alors, je pense qu'on ne doit pas perdre beaucoup de temps. Il y a un des Accusés qui se trouve ici. Il peut vous assurer s'il a reçu les documents ou pas, parce qu'on n'a pas communiqué uniquement aux autres, sans le lui communiquer. Il est là, vous pouvez lui demander.

Ces documents n'ont pas été communiqués, et je n'ai aucun intérêt « de » dire que je ne l'ai pas reçu. Quel intérêt aurais-je, alors que c'est moi qui l'ai demandé depuis très longtemps ? Je l'ai demandé à vous, Maître Bâ ; je l'ai demandé à Maître Sefon. Je pense tout de même qu'on devrait me croire, que je n'ai pas reçu ces documents.

Je vous remercie, Monsieur le Président.


Me BLACK :
Monsieur le Président, j'ai également reçu un seul document — document que j'ai été très surpris de recevoir samedi. Donc, il concernait la déclaration du général Dallaire aux autorités belges, et c'est l'unique document que j'ai reçu pendant le week-end. Je n'ai rien reçu d'autre.


Me TAKU :
(Intervention non interprétée)


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Procureur, avez-vous un jeu de copies... d'exemplaires du document que vous avez envoyé ?


M. BÂ :
Oui, Monsieur le Président, on peut leur faire un autre jeu. Je peux demander à mes case manager de leur faire un autre jeu, mais ils l'ont reçu depuis jeudi... jeudi matin.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien. Préparez quatre jeux pour la Défense, et demandez à votre chargée de dossier de le faire, et vous pouvez, entre-temps, poursuivre sans faire référence à ce document.

Continuez sur d'autres aspects de votre contre-interrogatoire.


Me TAKU :
Je crois qu'il y a un problème essentiel, Honorables Juges, si on respecte les délais de communication des... des documents. Je me rappelle que, dans votre ordonnance portant donc calendrier, que vous avez prescrit que les documents soient communiqués dans un certain délai.


M. LE PRÉSIDENT :
Cela a été fait à l'endroit du Greffe.

Que pouvons-nous faire ?


Me TAKU :
Non, Monsieur le Président. Ce que je voulais dire, c’est que si les documents ont été communiqués le 15, c'était dans les temps.

Deuxièmement, en ce qui concerne les autres communications, les autres documents reçus sont la déclaration consignée par les autorités belges du général Dallaire au Canada. J'ai reçu ce document pendant le week-end. Je consulte ma boîte électronique trois fois par jour. Je n'ai pas reçu tous les autres documents.

Donc, je proteste devant l'affirmation du Procureur « que » nous avons reçu ces documents, et nous ne voyons pas l’intérêt pour lequel nous « dirons » le contraire.


M. BÂ :
Monsieur le Président, ce n’est pas honnête. Ils l'ont reçu, et les moyens techniques en font foi. Ils l'ont reçu en même temps que vous, le jeudi, à 9 h 30. Et la décision à laquelle ils se réfèrent où vous disiez de remettre ça au représentant du Greffe sept jours avant, c'était pour permettre au représentant du Greffe d'aller avec les documents. Et pendant que je séjournais au Canada, il y a une dizaine de jours, le représentant du Greffe avait déjà un premier jeu.

Je suis rentré du Canada le lundi dans la nuit. Le mardi, on a eu audience. Le mercredi, on a fait la communication. Et, Monsieur le Président, si vous me demandez de continuer sans me référer à ceci ou cela, je pense que ce n'est pas... ce n’est pas équitable. Je ne peux pas chambouler mon interrogatoire à ce point, il y a une logique. Je dois... Je dois... Je dois suivre cette logique-là.

Et ce que je peux faire, c'est peut-être demander tout de suite qu'on leur donne... donne des copies au fur et à mesure, mais je dois suivre le fil normal de mon... le cours normal de mon interrogatoire.


Me MAC DONALD :
Ce n'est pas une question bien difficile, Honorables Juges.

J'ai une question à l'endroit de Monsieur Bâ : C'est un fait, nous n'avons pas de documents. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que nous continuions à suivre l'interrogatoire principal du témoin Dallaire. Il nous faut au moins une demi-heure, une heure ou deux heures pour consulter ces documents. Vous ne pouvez pas juste nous les communiquer. Il nous faut une heure ou plus, deux heures, pour examiner les documents.


M. BÂ :
C'est... C'est... C'est une...

(Concertation entre les Juges et leur assistant)

M. BÂ :
Monsieur le Président....


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Bâ, combien de documents avez-vous l'intention d'utiliser maintenant ? S'il n'y en a pas beaucoup, vous pouvez donc faire des copies et leur remettre maintenant.

Mais les documents que nous avons reçus du Greffe, eh bien, tous les noms des Conseils de la défense y figurent. S'agissant de la communication de ces documents, c'est la pratique depuis environ un an. Mais puisqu'ils se plaignent qu'ils n'ont pas reçu ces documents — ce qui est étrange, puisque nous les avons reçus et qu'ils ont été envoyés par le même canal... mais dans tous les cas, puisqu'ils disent qu'ils n'ont pas reçu ces documents, remettez les documents que vous avez l'intention... que vous avez l'intention d'utiliser maintenant.

Faites en des copies et remettez leur, et puisque... et le reste des documents, remettez-les au plus tard demain matin.


M. BÂ :
Oui, Monsieur le Président, nous allons le faire, mais c'est... c'est une stratégie cousue de fil blanc. Ça crève les yeux, mais nous allons le faire.


Me MAC DONALD :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :
J'ai envoyé... Personne ne s'y trompe, ça crève les yeux. C'est une stratégie que vous avez mise en place. Personne ne s'y trompe. Mais nous allons déposer... Nous allons vous communiquer le document. Et on va poursuivre. Mais ça, c'est enfantin, c'est ridicule ! C'est ridicule !


Me MAC DONALD :
Je voudrais juste...


M. LE PRÉSIDENT :
Je ne voudrais pas entendre d'observations sur ce problème.

Oui, Monsieur le Procureur, faites la distribution des documents.

M. BÂ :
Oui, mais Monsieur le Président, la distribution du document...


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro, micro, s'il vous plaît.


M. BÂ :
Il faut qu'ils aillent faire les photocopies et revenir. Je n'ai pas la logistique qu'il faut ici, en salle d'audience. Mais ils savent bien qu'ils ont reçu ces documents.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président...


M. LE PRÉSIDENT :
Et d'autre part, Maître, ce n'est pas la première fois que vous entendez parler de ces documents. « Ce » document a été produit au moyen de la liste des témoins. Vous aviez connaissance que ces documents ont été identifiés.


Me MAC DONALD :
Référence au message du 11 janvier qui est une copie et non pas l'original ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui.


Me MAC DONALD :
Je n'ai pas de problèmes avec cet aspect-là. Nous n’essayons... Je ne crois pas que nous sommes tous ici, en train de discuter des heures et des heures.


M. LE PRÉSIDENT :
Puisque vous dites que, peut-être, il y a eu un problème de transfert des documents...


Me MAC DONALD :
J'ai consulté mon courriel, Honorables Juges, et ces documents ne s'y trouvent pas.

« 16 novembre » : Il n'y a pas de documents dans mon courriel, ma boîte électronique.


M. BÂ :
Monsieur le Président... Pour gagner du temps, Monsieur le Greffier, est-ce que vous pourriez leur donner une copie du « P. 67 », execution... Prosecution exhibit 67. Et on va voir.

M. LE PRÉSIDENT :
Donc, voilà, cela a été fait et vous pouvez poursuivre.

Et veillez à remettre tous les autres documents d'ici demain, pour que la Défense ait le temps de les lire.


M. BÂ :
Parfait !


Me SEGATWA :
Monsieur le Président... Monsieur le Président, s'il vous plaît. Je voudrais tout de même que la Chambre ne parte pas sur de mauvaises bases en disant que les documents qu'il emploie, nous les connaissons.

Je pense que vous-même, Monsieur le Président, et à ma demande, vous avez ordonné au Procureur de nous communiquer les documents... les quelques documents sur lesquels il devait se baser pour interroger Dallaire.

Et on a discuté longtemps, en disant que les CD qu'on nous a donnés contenaient plus de 1 000 fichiers et qu'on ne pouvait pas, humainement parlant, ouvrir tous ces fichiers ; et on avait eu un compromis que les quelques documents sur lesquels il devrait se baser, il devrait nous les communiquer, et c'est vous même, le Président, qui avait demandé à Maître Bâ de le faire.

Donc, il ne faudrait pas qu’on nous dise aujourd'hui que nous ne connaissons pas ces pièces (sic). Nous ne les connaissons pas. Nous avons des CD de 3 000 pièces et, raisonnablement, je ne crois pas qu'il va déposer devant vous 3 000 pièces.

Donc, les documents qu’il a choisis, qui sont… (fin de l'intervention inaudible)


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître, vous devez suivre la procédure. J'ai dit que vous… ces documents vous sont familiers
— ceux qu’il utilise maintenant ; c’est ce que j’ai dit. Vous passez du coq-à-l'âne et vous faites une observation qui concerne tous les documents. J'ai dit que vous connaissez les documents que le Procureur utilise maintenant et qui ont déjà été utilisés par le passé.


M. BÂ :
Monsieur le Président, je vais poursuivre.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :
Merci.

Monsieur le représentant du Greffe à Ottawa — pour qu’il n’y ait pas de confusion —, pouvez-vous remettre le document n° 1 au général Dallaire ? C'est le « P. 67 ».


M. KOUAMBO :
Oui, Monsieur le Procureur, c'est déjà fait, je l'ai remis à Monsieur Dallaire.


M. BÂ :
Merci.

Q. Général, connaissez-vous ce document ?

R. Oui, ce document, je le connais.


Me SEGATWA :
Je m'excuse, Monsieur le Président, mais on parle de quel document ?


M. BÂ :
Mais c'est une pièce qui avait été déjà versée !


Me SEGATWA :
Mais il est quoi ? Moi, je ne l'ai pas… (fin de l’intervention inaudible)


M. BÂ :
Il a été versé en exhibit, et vous l'avez reçu.


Me SEGATWA :
Il est quoi, ce document ? Ce que je demande est… (fin de l’intervention inaudible)


M. BÂ :
C'est le rapport câblé du 11 janvier. Vous m'avez obligé maintenant à le dire, alors que je n’avais pas le dire à ce stade.


Me SEGATWA :
Mais vous devez le dire, puisque nous ne l’avons pas.


M. BÂ :
Je n'ai jamais vu une chose pareille !


Me SEGATWA :
Non, mais c'est la première fois que je vois ça, moi aussi !


M. BÂ :

Q. Général…


M. LE PRÉSIDENT :
Ce document a été montré sur la liste du témoin. Vous dites que vous n'avez pas vu ce document. Donc, vous n'étiez pas là ce jour-là ?


Me MAC DONALD :
Nous avons vu ce document, je suis d'accord avec cela.


M. LE PRÉSIDENT :
Donc, vous aurez copie ; ces copies sont préparées.


Me MAC DONALD :
Pas de problème. On peut toujours aller avec ce document.


M. LE PRÉSIDENT :
Eh bien, à mesure que nous avancerons, nous verrons.


Me BLACK :
De quel document parle-t-on ? Il y a le document original et il y a l'autre. On nous a montré… Est-ce le document original de New York ou alors le Procureur a-t-il l'autre copie ?

M. BÂ :
Je poursuis, Général.

Q. De qui émane ce document ?

R. C'est le rapport de situation que j'avais rédigé, corrigé et signé, le 9 janvier 1994, suite au... au briefing que j'ai reçu concernant l'informateur.


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Une partie de la communication a été interrompue.


M. BÂ :

Q. Je n'ai pas bien entendu la réponse. Ce document est-il daté ?

R. J'ai dit que c'est le rapport que j'ai envoyé à New York dans la soirée du 11 janvier 1994.

Q. O.K. Et à qui ce rapport était-il destiné ?

R. Il était destiné au major-général Baril, qui était le conseiller du secrétaire général qui travaillait au BPKO... DPKO — « Département du maintien de la paix ».

Q. Le contenu du document que vous avez entre les mains est-il le même que celui que nous avez câblé le 11 janvier ? Je vous demande de l'examiner attentivement.

R. Oui, je ne vois pas de différence, pour autant que mes souvenirs me le rappellent : Les numéros de code que nous utilisions au sein de la MINUAR y figurent. Le contenu est exact. Je ne vois rien. Il semble bien que ce soit le document que j'ai envoyé.

Q. O.K. À la suite de cet envoi, avez-vous reçu une réponse de la part du DPKO ?

R. Oui.


Me MAC DONALD :
Désolé. Le général Dallaire fait-il allusion au document qui a été versé en preuve ? Dans l'affirmative, dans quelle rubrique ? Parce que le général Dallaire a un document, nous ne savons pas ce qu'il lit.


M. LE PRÉSIDENT :
C'est un document qui a une identification n° 107.


M. BÂ :
C'est le Prosecution exhibit 67.


Me MAC DONALD :
« 67 », donc celui versé par Maître Black, qui a pour date 28 novembre 1995.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


M. BÂ :

Q. Et, Général, quand est-ce que cette réponse vous est-elle parvenue ?

R. Ce n'est que quelques heures plus tard, dans la nuit — et c'était encore tard dans l'après-midi, à New York —, que le document a été reçu et examiné, et la réponse est revenue très rapidement.

Q. Merci, Général. Avez-vous, par la suite — vous ou vos hommes —, continué à voir Jean-Pierre, l'informateur ?

R. Oui, même si j'avais reçu instruction que je ne pouvais pas mettre en application ce que j'avais proposé, je n'avais pas reçu d'instruction de cesser toute communication avec Jean-Pierre. J'ai donc continué à rassembler des informations auprès de cette personne pour, au moins, améliorer nos connaissances de ce qui se passait, à mesure qu'on nous recevait... nous recevions des informations d'autres sources en même temps.

Q. Et sur cette même lancée, vous a-t-il fourni des preuves de ce qu'il avançait ?

R. Oui. Le lendemain, déjà, j'ai pu envoyer un de mes officiers, ressortissant africain, pour se rendre dans un des sites où, selon Jean-Pierre, on devait trouver une cache d'armes. Et des armes y ont été effectivement trouvées. Et c'était au siège du MRND, dans ce bâtiment et, à l'époque, on nous disait que ce bâtiment était loué au parti par le général Ndindiliyimana.

Par la suite, il y a eu d'autres confirmations des discussions que nous avons eues. En fait, à la demande du Président, avec la direction du MRND, Jean-Pierre a pu nous donner des informations sur cette réunion — informations qu'il avait reçues séparément du président du MRND.

Q. Merci, Général. Quand est-ce que vos hommes ont cessé de voir l'informateur Jean-Pierre ?

R. Autant que je me souvienne, en fin janvier, je crois bien. Je ne me souviens malheureusement pas de la date exacte.

Q. Merci, Général. Nous reviendrons sur Jean-Pierre plus tard. Pour le moment, nous allons passer à autre chose.

Général, avez-vous pu mettre les… en place les institutions de transition, durant le mois de février 1994 ?

R. Non, nous avons fait plusieurs tentatives et, à chacune de ces tentatives, j'ai déployé plusieurs milliers de troupes sur des positions plus tactiques, afin d'aider les personnes à avoir accès au CND et à la cérémonie qui s'y déroulait.

À certaines occasions, les autorités gouvernementales n'étaient pas là. Dans certains cas, certaines autorités sont venues. Presque à aucune... aucune... Presque à aucune occasion, il n'y a eu de conflits, de troubles sur les routes que nous empruntions pour escorter qui... les personnes qui demandaient de l'escorte pour aller au CND.

Et j'ai dû amener la Gendarmerie à jouer un rôle plus actif pour contrôler ses troupes, mais à toutes ces tentatives, ils n'ont pu mettre en place ce Gouvernement transitoire.

Q. Merci, Général. Et, en gros, comment s'est passé le mois de février, au Rwanda ? Le mois de février a-t-il été calme ?

R. Du fait de l'attention croissante, du fait de l'incapacité à mettre en place le Gouvernement transitoire et du fait des frictions croissantes entre les différentes tendances politiques du côté gouvernemental, alors, nous avons vu une hausse de l'insécurité dans la capitale et dans les alentours ; cela dû au fait que le Gouvernement n'était plus en mesure de payer les salaires aux fonctionnaires, aux enseignants. Cela était également dû au fait que les personnes incitaient d'autres personnes à se lancer dans les troupes, et l'on a vu qu'il y avait des personnes en uniforme qui avaient joué un rôle très actif.

Il y a eu des attaques qui semblaient être récurrentes sur des membres modérés. Dans certains événements, il y a eu usage de grenades et d'armes. Et tout au long du mois, la situation s'est dégradée, de telle sorte que le 22 février, nous avons organisé une méga réunion avec le maire de Kigali.

Nous avons essayé de « nous » expliquer la situation. Nous avons expliqué aux différents bourgmestres de la capitale, car le Gouvernement avait, de manière tactique... avait refusé que l'on ne dise... que l'on dise aux populations ce qui se passait, comment la guerre avançait et comment nous pouvions aider à l'avancement du processus de paix.

Cette réunion a été très longue. Nous avons essayé de calmer les choses. Le Ministre de la défense essayait de déployer plus de troupes dans la capitale, qui était très déstabilisée. Les populations devaient rester sur leur position pour répondre aux Accords de paix. Le Ministre de la défense a également mis en place un couvre-feu. Nous avons essayé de mettre en place des patrouilles conjointes avec la Gendarmerie pour contrôler le système et assurer le suivi... la situation — pardon — et assurer le suivi.

Q. À cette occasion-là, et suite à ces violences, le Premier Ministre Agathe Uwilingiyimana a-t-elle eu une réaction ? Est-ce qu'elle s'est adressée à la nation ?

R. Oui, je me rappelle qu'à un moment donné... Oui, elle s'est adressée à la population après ma rencontre avec elle, dans la deuxième partie du mois de février. Elle semblait être exaspérée par l'un des ministres qui n'appartenait pas au MRND, qui venait à tous les Conseils de Ministres, qui rejetait tout ce qu'elle proposait pour atténuer les tensions en cours.

Et nous la voyions également comme jouant un rôle de dirigeante. Elle essayait de calmer les populations, d'informer les populations, de dire que ces frictions, ces tensions n'étaient que passagères, qu'il fallait faire avec en essayant... en attendant de trouver une solution avec, bien évidemment, le Gouvernement transitoire à base élargie.

Q. Merci, Général. Général, si je me fie à vos écrits, au mois de mars, vous avez pris quelques jours de vacances pour aller rendre visite à votre épouse et à vos enfants restés au Canada ; est-ce que je me trompe ?

R. Non.

Q. Un « oui » ou « non » suffit... Non.

R. J'étais en vacances et nous ne sommes pas allés au Canada. Nous sommes allés dans un autre pays ; nous nous y sommes tous retrouvés.

Au cours de ce voyage, nous nous sommes arrêtés au Canada pour parler à des personnes et, ensuite, nous sommes allés en vacances avec ma famille.

Q. Merci, Général. Quand est-ce que vous avez regagné votre poste à Kigali, si vous vous en souvenez ?

R. Je pense que c'était aux alentours du 13 (sic) mars. J'ai dû quitter le 10 ou le 11. Et, à cette époque, le Ministre de la défense et moi-même avions considéré la situation, et une certaine paix... un certain calme s'était installé sur Kigali et les personnes n'étaient plus attaquées. Il n'y avait plus de troubles.

La situation était revenue à une fausse... — je dis « fausse », car c'était temporaire —, un faux calme, car nous étions tous aux aguets, et certaines personnes demandaient plus de temps pour proposer des options. La sécurité semblait, à ce moment-là, s'être stabilisée.

Les dirigeants du FPR s'étaient retirés à Mulindi, car du point de vue politique, rien n'avançait. J'ai pensé que je pouvais aller en vacances à ce moment-là et rester en contact avec mon adjoint.

Q. J'ai entendu dans votre réponse « autour du 13 mars » ; est-ce que c'est bien ce que vous avez dit, Général ?

R. Le 30.

Q. Merci, merci. J'avais entendu « 13 mars ».

Y a-t-il eu des tentatives de mettre en place les institutions de la transition au courant de ce mois de mars ?

R. Oui. Il y en a eu au moins une, peut-être deux. Je ne suis pas sûr. Je serais certain pour une tentative.

Et il y a eu un nouveau fait, une nouvelle donne qui a été introduite, c'est-à-dire le passage important en matière de stratégie pour apporter une solution politique. Et cette transition… ce passage — si je ne m'abuse — est venu de la présidence qui a introduit l'idée d'une jonction complète et totale de toutes les factions potentielles de cette friction politique qui essayaient de convaincre tout un chacun pour dire que la CDR devait participer à cette solution même.

Ce n'est pas là le parti qui avait plus... le plus de postes ministériels. Ni le protocole, ni les Accords d'Arusha ne le prévoyait. Mais c'est cette idée nouvelle qui a été introduite, et un certain nombre de personnes des alentours — l'ambassadeur et les autres — ont essayé, à leur tour, de voir si cette option pouvait être retenue pour venir à bout de l'impasse qui prévalait.

Q. Général, comment définiriez-vous le... le parti CDR ? Quelle était son idéologie ? Quelle ligne politique défendait ce parti ?

R. Le parti CDR, si l'on en croit les informations que nous avons, était un parti extrémiste hutu ; Hutu-Power, comme nous les appelions. Un parti de ce type, donc, qui avait articulé ses positions anti-Tutsis très clairement et qui était contre les Accords de paix d'Arusha.

Et, bien évidemment, c'est pour cela qu'ils n'ont jamais adhéré à ces Accords, mais il y avait également ces partis autour, que nous entendions comme ayant... comme développant des points de vue extrémistes et qui comprenaient une minorité de Hutus.

Q. Général, je vais vous demander des réponses assez courtes.

L'inclusion du parti CDR était-elle possible sans la modification des Accords d'Arusha ?

R. Oui. C'est, en fait, l'une des discussions qui a eu cours à l'époque, car ils n'avaient pas signé les Accords. Pouvaient-ils être, donc, intronisés ?

Et je pense que l'un des éléments était la signature du protocole, et le parti CDR avait dit qu'il allait le signer et je ne... c'était de savoir s'il pouvait faire partie du processus de paix dans ce processus d'inclusion totale, et cela pour apporter une solution à l'impasse.

Selon moi, lorsque je suis revenu, je me suis dit que c'était là un nouvel élément, car le parti CDR était ouvertement anti-Tutsis et, par extension, anti-FPR, et cela sur la base de ce que nous savions. Il n'était pas logique, selon moi, qu'il puisse se réconcilier auprès du FPR — FPR qui, à l'époque, également, était difficile à gérer.

Q. Merci, Général. Général, dans le cadre des accords KWSA, Kigali weapon secure area, la MINUAR a-t-elle eu à effectuer des fouilles pour mettre la main sur des armes détenues de manière illicite, à votre retour au Rwanda, à fin mars ?

R. J'ai finalement été en mesure de convaincre New York, le DBKO, pour dire que nous devions mener à bien ce raid. Nous avions beaucoup d'informations sur de nombreux sites où se trouvaient les armes et même la localité d'origine du Président, où l'on nous disait qu'il y avait des armes lourdes.

L'on m'a autorisé à programmer la Gendarmerie, mais en utilisant nos éléments des Nations Unies, pour commencer à lancer certains de ces raids. Et lorsque je suis revenu, nous avons commencé la programmation, et c'est ce que nous avons fait à cette époque.

Q. Cette opération, à laquelle vos forces se sont livrées en collaboration avec la Gendarmerie, a-t-elle été fructueuse ? Est-ce que cela vous a permis la découverte de caches d'armes ?

R. Non. En fait, c'est tout le contraire qui s'est passé. Tout d'abord, nous avions l'impression que la Gendarmerie n'avait pas déployé suffisamment de forme... de forces, ni comme il le fallait, pour encercler et contrôler la zone.

Ensuite, il n'y avait rien sur place, et tout ce que nous avions, sur la base des informations compilées ici et là, est que la Gendarmerie avait été infiltrée par des réservistes qui auraient éventuellement pu retrouver ces personnes qui cachaient les armes.

L'on nous a proposé de mener une autre opération, le 7 avril, mais il fallait que nous informions seulement le chef d'état-major de la Gendarmerie, et cela 24 heures auparavant ; cela afin de réduire le nombre de personnes qui connaîtraient la cible.


M. BÂ :
Merci, Général.


Me MAC DONALD :
Maître Bâ, pouvons-nous avoir la date à laquelle nous nous référons ? Serait-ce le 1er avril ?


M. LE PRÉSIDENT :
Le 7.

Non, c’est celle qui était supposée être.


M. BÂ :
Non, non, Monsieur le Président. C'est la seconde qui était projetée.


Me MAC DONALD :
La première date.


M. BÂ :

Q. La première opération de fouille, vous l'avez conduite quand — si vous vous en rappelez ?

R. Je pense que c'était le 1er avril, oui.

Q. Merci, Général. Général, vous rappelez-vous d'un événement singulier auquel vous auriez pris part dans la nuit du 4 avril ?

R. Oui, ce qui s'est passé — car il s'agissait d'une force plurinationale : Certains contingents de mes forces célébraient leur fête nationale, invitaient les autres forces à se joindre à « elles » et, parfois, certains membres de la population, certaines autorités des communautés locales.

Et donc, le 4, c'était la fête nationale du Sénégal. Dans la soirée, en début de soirée, le Sénégal a donc invité... a organisé une... une fête, une soirée à laquelle étaient conviées les autorités politiques, militaires et qui devaient donc se joindre aux militaires cette soirée-là... aux forces militaires.

Q. Y avez-vous fait la rencontre d'autorités militaires rwandaises ?

R. Je ne me souviens pas très bien des autorités militaires. Ma mémoire me fait défaut. Je ne sais pas si le général Ndindiliyimana était présent. Je sais que le chef d'état-major de l'armée n'était pas là. Je ne me souviens pas de l'avoir vu.

Parmi les autres personnes, les... les autorités civiles, en l'occurrence, il y avait également le colonel Bagosora, Ministre de la défense (sic). Il y avait des militaires, mais je ne me souviens pas exactement de qui il s'agissait.


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Général Kabiligi — pardon, excusez l'interprète.


M. BÂ :

Q. Est-ce que vous y avez rencontré le colonel Bagosora ?

R. Oui, cette soirée-là, j'ai rencontré un certain nombre de personnes. J'ai parlé avec beaucoup de personnes, mais finalement, au moment du buffet, nous étions autour de la même table. Il y avait un orchestre. Nous avons eu l'occasion de parler. Son épouse était à ses côtés.

Q. Est-ce que le colonel Bagosora aurait tenu, à cette occasion, des propos auxquels vous avez accordé... ou auxquels vous accorderiez une certaine importance ? Ou est-ce que ce sont… c'étaient des discussions mondaines et banales ?

R. L'impression que j'ai eue est que le colonel Bagosora n'était plus lui-même. Il avait bu quelques verres, et il a parlé de ce que nous avions entendu à plusieurs reprises de collègues, de ministres, qui parlaient de la situation dans la... dans la Région des Grands Lacs, l'hégémonie tutsie qui était en cours avec ce qui s'était passé au Burundi — et j'en passe. Et cela, pour meubler la conversation.

Mais je lui ai demandé, entre autres questions, si, avec le Président qu'ils avaient, si le Président avait un dauphin, s'il avait quelqu'un sous l'aile, quelqu'un qui était prêt à reprendre les rênes du pays. Et il a eu réaction très violente : Il a dit qu'il n'y avait qu'un seul Président et qu'il n'y avait personne d'autre de sa trempe pour le remplacer, ou que sais-je. Et il l'a pris très mal.

Et nous avons été interrompus. Il a parlé à d'autres personnes. Il y avait beaucoup de bruit autour. Mais ensuite, il a parlé au colonel Marchal. Donc, je ne sais pas très bien quand cela s'est passé.

Le colonel Bagosora a adopté une tonalité plus sévère lorsqu'il s'est agi d'apporter une solution aux problèmes politiques et aux problèmes sociaux qui avaient cours au Rwanda.

Q. Est-ce que le colonel Marchal vous a rendu compte de la teneur de ses entretiens avec le colonel Bagosora, ce 4 avril ou un autre jour ?

R. J'ai reçu ces renseignements plus tard. Ce n'était pas le 4, car nous avons tous emprunté des chemins différents, mais nous avons reçu le nouveau mandat des Nations Unies, qui mettait une limitation de six semaines par rapport à nos forces pour ce qui était de la mise en application des Accords de paix.

Et donc, le 6, lorsque j'ai essayé de comprendre le nouveau mandat et ce que cela voulait dire pour nous… je ne me souviens pas quand l'on m'a informé de cela. Je me rappelle tout simplement que j'avais reçu ces renseignements.

Je dois dire que, dans l'état de tension qui avait été créé par cette nouvelle initiée par l'introduction de la CDR, il y avait toute une nouvelle atmosphère d'insécurité qui avait été créée ce faisant. Donc, j'ai quitté dans la première partie du mois de mars. Je pense que cela a permis d'y voir plus clair.

Lorsque je suis revenu, il y avait eu des assassinats, les troubles s'étaient accrus, toutes les tentatives avaient échoué. Il y avait eu une attaque d'envergure, utilisation d'armes nuitamment, de grenades, et ma maison elle-même a été incendiée un soir.

Nous nous sommes retrouvés dans un état de scénario, en matière de sécurité, qui dégénérait. Et, avant même que je ne quitte, j'avais ordonné le mouvement de... d'environ 250 Guinéens (sic) à Kigali, pour essayer de calmer la situation qui était devenue critique.

Q. Merci, Général. Général, le 6 avril 1994, étiez-vous au courant du voyage effectué par le Président Habyarimana à Dar es-Salam ? Je pose la question de manière directe, parce que c'est un fait de notoriété.

R. Oui, nous étions informés qu'il y était allé pour rencontrer le modérateur, c'est-à-dire le Président tanzanien, à une réunion régionale aux fins d'aider les Nations Unies à trouver une solution à cette impasse politique que nous vivions.

Q. Merci. Je vais vous poser une autre question, de manière directe également :

Le 6 avril au soir — puisque là aussi, il s'agit d'un fait de notoriété —, comment avez-vous appris le crash de l'avion présidentiel ?

R. J'ai reçu rapport disant qu'il y avait eu une explosion au camp de Kanombe, cela du quartier général.
Peu après, j'ai reçu un appel du Premier Ministre Agathe qui disait que l'avion présidentiel avait été abattu... pas abattu, qu'il s'était écrasé — je ne me souviens pas qu'elle ait dit qu'il avait été abattu ; non, il s'était écrasé — et qu'elle était fortement préoccupée, et elle nous demandait ce que nous proposions de faire.

Ensuite, nous nous sommes arrêtés là. Elle avait dit qu'elle allait rappeler. Il y a eu un appel avant 10 heures, et j'attendais un rapport du quartier général sur la situation de tension et la situation en général. Elle a dit qu'elle essayait d'entrer en contact avec un certain nombre de ses ministres, mais qu'elle était dans l'impossibilité générale de leur parler et qu'elle ne pouvait pas non plus entrer en contact avec l'un des quelconques ministres du parti MRND.

Q. Oui. Général, après ce crash, le même jour ou les jours qui ont suivi, avez-vous cherché à sécuriser le site pour sauvegarder les indices et permettre la conduite d'une enquête neutre... d'une enquête internationale sous l'égide des Nations Unies ?

R. Si vous parlez du lieu du crash, oui, j'ai essayé d'emmener certains de mes agents... certains observateurs sur le site pour qu'ils puissent le sécuriser pour mener à bien les enquêtes et les recherches, mais au moment où ils y sont arrivés — cela n'a pas pris beaucoup de temps — le lieu... le site avait déjà été sécurisé par la Garde présidentielle, car le crash a eu lieu à proximité de la Garde présidentielle, qui était à quelque encablures du camp Kanombe.

Donc, ils n'ont même pas pu s'approcher du site et il a fallu trois semaines avant que l'on nous autorise à entrer sur le site du crash, lorsque la Garde présidentielle a finalement quitté les lieux.

Q. Est-ce que vous aviez demandé aux membres des Forces armées rwandaises, des FAR, de pouvoir accéder au site ? Est-ce que vous vous êtes heurté à un refus ?

R. Je n'ai pas... Je n'ai pas fait cette demande cette nuit-là, parce que, à ma surprise, le conseiller militaire principal qui faisait partie de l'équipe de conseils est apparu au quartier général ; c'est lui qui conseillait les FAR. Et il a dit qu'il était prêt à mener immédiatement les enquêtes. Et j'ai dit... J'ai donc répondu que cela serait inacceptable, étant donné l'historique des... des relations avec le... avec les FAR et qu'il n'y aurait aucune crédibilité par rapport à ces enquêtes, et qu'il fallait que d'autres pays interviennent, notamment des pays européens, qui pourraient m'envoyer une équipe, qui savent ce qui peut se faire dans ce type d'enquêtes.

Le lendemain, le FPR avait dit qu'il n'avait aucune objection à ce que d'autres personnes interviennent dans les enquêtes, mais d'autres membres du Gouvernement ont décidé de le faire… de même. Comme j'avais manifestement un désaccord à ce sujet…

Q. Oui. Général, ce soir du 6 avril, avez-vous rencontré des autorités militaires rwandaises... des forces gouvernementales, je veux dire ?

R. Peu de temps après 22 heures — l'accident étant survenu juste après 20 heures —, donc quelque temps après 22 heures, j'ai reçu un appel d'un ami, un lieutenant-colonel qui était l'officier de liaison des forces gouvernementales dans mon quartier général. Il m'a demandé de joindre les hauts officiers qui étaient en réunion au quartier général de l'armée ; et relativement à la situation du Président... non seulement du Président, mais aussi du chef d'état-major de l'armée, ils examinaient, dans le cadre de ces réunions, quoi faire.

Q. D'accord. Général, nous allons venir à cette réunion plus tard, mais avant de vous rendre à cette réunion — à supposer que vous vous y soyez rendu —, avez-vous eu un contact avec Madame Agathe Uwilingiyimana — un contact téléphonique ?

R. Oui, je lui ai parlé à partir du quartier général, parce que, à un certain moment, vers 23 h 30, j'ai demandé au président de la réunion, le colonel Bagosora, d'aller contacter Monsieur Booh-Booh, le représentant spécial, pour l'informer de la situation et aussi de voir quel est l'aspect politique, et cela n'a pas pris longtemps.

Il y a eu communication avec Madame Agathe et… qui, une fois de plus, était extrêmement préoccupée par le fait qu'elle ne pouvait entrer en contact avec personne. Apparemment, les uns et les autres avaient disparu ou s'étaient enfuis, et elle était donc manifestement préoccupée par ce qui se passait.

Et j'essaie de fouiller dans mes souvenirs. Oui, ensuite, nous avons parlé de la situation par rapport à la... à la situation qui dégénérait rapidement, la tension qui montait. Nous avons parlé de la possibilité, pour elle, d'aller à la radio parler aux gens très tôt le matin pour s'assurer qu'il y avait encore une structure politique de direction en place et appeler au calme.

Bon, je parle maintenant de 3 heures, 4 heures du matin, depuis mon quartier général. Nous avons encore parlé pendant que j’essayais de négocier avec la station radio gouvernementale pour qu'on accepte qu'elle vienne prononcer ce discours.

Q. Oui. Général, nous allons revenir un peu en arrière : À cette réunion qui s'est tenue au quartier général, qui vous a accueilli et que s'est-il dit, à cette réunion ?

R. Lorsque je suis arrivé, ils étaient dans la grande salle de conférence, qui avait toutes les cartes étalées. Ils étaient là depuis... Et c'était une table en forme de fer à cheval avec une entrée près de la porte lorsqu'on pénétrait dans la salle. Et je dirais qu'il y avait une douzaine, ou à peu près ce chiffre, d'officiers.

J'y suis donc arrivé. Donc, je supposais que le colonel Bagosora assurait la direction de la réunion. À sa droite, il y avait les forces... le représentant des forces gouvernementales. Je ne me rappelle pas son nom. Il y avait aussi un certain nombre d'autres officiers qui étaient assis à la table.

Q. Avez-vous, au cours de cette réunion, parlé aux militaires de l'intention d'Agathe de faire une adresse à la nation, par la voie des ondes ?

R. Oui, ou plutôt... Désolé, je n'ai pas suivi la deuxième partie de votre question.
La discussion menée par le colonel Bagosora était une discussion qui était dominée par les arguments selon lesquels ils étaient une structure militaire qui tentait de garantir ou de prendre le contrôle de la situation, en raison du vide politique suscité par la mort du Président. Et ce qu'ils essayaient de faire, c'était de contrôler la situation pour qu'elle ne dégénère pas en anarchie. Et, l'intention était finalement de remettre le pouvoir à une structure politique qui assurerait le contrôle politique.

À ce moment-là, j'ai indiqué qu'à mon sens, suite à une expérience antérieure là-bas, que Madame Agathe était encore Premier Ministre. Elle semblait être la personnalité politique la plus élevée dans le système gouvernemental de coalition qui était en place. Donc, il fallait la contacter et lui demander, donc, de trouver cette solution politique.

La réponse a été, en fait, contraire à ma solution avec l'argument qu'elle n'avait vraiment aucune autorité, elle ne pouvait pas entrer en contact avec ses ministres, qu'elle avait montré qu'elle était incapable de gouverner dans le passé, qu'elle ne bénéficiait pas du respect de la population et qu'elle était, enfin, une non entité dans le processus politique, bien qu'elle continue de jouir de cette autorité de Premier Ministre jusqu'à ce moment-là.

Q. Général, à cette réunion, vous nous avez dit qu'il y avait le colonel Bagosora. Est-ce que le général Ndindiliyimana y était ?

Vous pouvez répondre par « oui » ou « non ».

R. Oui, le chef d'état-major était à sa gauche. Il écoutait essentiellement et il a approuvé ce que Bagosora disait. Il n'intervenait pas particulièrement, bien qu'il pouvait être intéressé par ce qui aurait pu être mis en place avec la Gendarmerie, notamment placer des gardes à certains points sensibles, ce qui était la procédure standard, comme par exemple à la radio, à d'autres points névralgiques, et nous pouvions donc discuter sur la manière de mettre cela en place.

Q. Oui. Les... Au cours de cette réunion, les militaires vous ont-ils parlé de la mise en place d'une structure chargée de gérer la crise — d'une structure militaire, s'entend ?

R. Essentiellement, nous parlions de la manière dont nous allions contrôler l'autorité générale dans le pays jusqu'à ce qu'ils puissent mettre en place une structure politique qui devait donc reprendre le contrôle du pays et le plus rapidement possible.

Dans ce scénario, avec le fait qu'ils étaient totalement contre Madame Agathe et qu'ils ne voulaient pas qu'elle joue le moindre rôle — nous savions qui elle était, elle était parmi les rares personnes que nous avions contactées, nous n'avions contacté personne d'autre —, et étant donné le refus d'aller dans cette direction… m'a laissé un goût amer au point que je me demandais quelles étaient les ambitions ici.

Comment pouvait-on donc dire que le Premier Ministre n'était pas une option du tout ? Est-ce qu'ils se préparaient à faire un coup d'État ou essayaient-ils vraiment de trouver une solution, mais qu'ils ne voulaient pas accepter ce qui, à mon sens, était l'option évidente, à savoir le Premier Ministre ?

Et c'est la raison pour laquelle je leur ai ensuite demandé...

Q. Général ?

R. ... d'aller contacter...

Q. Général, ma question était toute autre : Est-ce qu'ils vous ont parlé, cette nuit-là, de la création d'une structure militaire chargée de gérer la crise ? Vous pouvez me répondre par « oui » ou par « non » aussi, parfois… parfois… parfois.

R. J'aimerais bien répondre par « oui » ou par « non », mais cela est difficile, étant donné les circonstances.

La seule chose dont je me rappelle et ce dont je peux me rappeler, c'est qu'ils allaient avoir une réunion au cours de laquelle ils allaient rassembler tous les commandants pour les informer de ce qui se passait. Et cela n'était pas inhabituel, mais c'est ainsi que je me rappelle la situation.

Q. Merci, Général. Cette nuit-là, aviez-vous des observateurs au CND ? Si oui, êtes-vous entré en contact avec eux ?

R. Oui. Il y avait... Nous étions en contact, au quartier général, avec le CND, qui était une priorité pour moi et, dans la mesure où je voulais absolument, donc, protéger les responsables du FPR qui étaient là-bas, et... enfin, je voulais les informer, plutôt, de ce qui se passait, et nous voulions aussi pouvoir passer des messages qui pouvaient venir de l'autre partie — les FAR.

Q. Merci, Général. Vos observateurs, qui étaient présents au CND, vous ont-ils rapporté, durant cette nuit, une sortie des troupes du FPR de leur cantonnement ?

R. Non, il n'y a pas eu de rapport de mouvements des troupes du FPR « soit » du CND. Je n'ai pas reçu non plus de rapport de la MINUAR du côté ougandais ou de mon personnel qui était dans la zone du FPR.

Nous avions entendu, au cours des semaines précédentes, qu'il y avait eu des incidents au cours desquels le FPR avait pénétré dans la zone démilitarisée, et nous les avons fait repartir par voie de négociations, et nous menions une surveillance assez étroite du côté est de la RDC (sic).

Q. Merci, Général. Général, dans la nuit du 6 et dans la matinée du 7...


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
« RDC »... Plutôt la zone démilitarisée — pardon.


M. BÂ :

Q. La DMZ.

Dans la nuit du 6, ainsi que la matinée du 7, les accords KWSA ont-ils été respectés par les deux parties — le FPR et les FAR ?

R. Le FPR s'est cantonné dans le cadre des Accords d'Arusha de la zone sécurisée. Les FAR, eh bien, il y avait les unités, en particulier la Garde présidentielle, qui étaient allées au-delà de la zone et érigeaient déjà des barrages routiers, se déplaçaient dans la ville ; et cela a continué ostensiblement avec des éléments de la Gendarmerie le lendemain matin, tôt le matin. Comme nous pouvions l'observer, ils allaient donc d'une maison à une autre où nous pouvions entendre des coups de feu.

Q. Général, nous allons en venir à cela. Nous allons en venir à cela un peu plus tard.


Me TAKU :
Honorables Juges, nous faisons objection, vivement, au fait que le Procureur interrompe le général Dallaire. Si, au départ, il ne répond pas à la question, il peut lui dire « arrêtez-vous », mais lorsque le général Dallaire donne un réponse qui peut être utile à la Chambre et à la Défense expliquant des aspects particuliers, il n'est pas juste que le Procureur l'interrompe au moment où il répondait. La réponse n'avait pas un sens pour le Procureur, mais elle était très importante.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Monsieur le Procureur, vous pouvez poser une question... question et attendre une réponse spécifique. Si le témoin dit autre chose, il n'est pas approprié de l'interrompre à mi-parcours de sa réponse.


M. BÂ :
Merci, Président... Monsieur le Président. Je prends acte de cette note.

Q. Général, quelles sont les unités de l'armée rwandaise qui étaient concernées par cette violation des accords KWSA dans la nuit du 6 et dans la matinée du 7 avril ?

R. À ce moment-là, les unités sur lesquelles nous avions des informations étaient la Garde présidentielle, les para commandos de Kanombe, le bataillon des paras... des paras troupes. Nous étions en alerte.

Ces unités avaient des armes en position défensive autour du camp. Également, la Garde présidentielle autour de son camp, avait, en fait, élargi son camp jusqu'à la zone... la zone principale.

Q. Merci. Général, avant le levé du jour... du jour et au cours de la matinée du 7 avril, avez-vous reçu des appels à votre quartier général provenant de l'extérieur, c'est-à-dire provenant de la ville en général ?

R. Oui.

Si je peux également dire autre chose...

Q. Oui.

R. Le bataillon de reconnaissance autour de l'aéroport était aussi en état d'alerte maximale.

En réponse à la question concernant les appels téléphoniques, nous avons commencé à demander de l'assistance des… pour les hautes autorités rwandaises et également pour mon personnel civil qui se sentait gravement en insécurité. Et les appels téléphoniques étaient que nous allions chercher ces personnes, que nous leur fournissions protection et que ces personnes étaient attaquées par la Gendarmerie, par l'armée et par d'autres unités, essentiellement ces deux corps, et qu'ils avaient peur pour leur vie.

Et, au milieu de l'après-midi, j'ai reçu des informations selon lesquelles « que » certains... et pendant qu'ils nous téléphonaient, nous entendions, donc, des tirs de feu et des gens qui criaient et qui mourraient.

Q. Quelles sont ces personnes qui vous ont appelé, en général, pour demander de l'aide, pour requérir votre assistance ?

R. Ceux qui nous ont appelés étaient Lando, en particulier, et son épouse. En outre, il y avait deux ou trois autres parmi les personnes que nous protégions qui demandaient donc la protection. Il y avait aussi un ou deux autres qui... Je ne me rappelle pas la liste de ceux qui appelaient au secours, mais il y avait une liste de hautes personnalités que nous savions être des modérés, tant tutsis que hutus.

Et nous avions également le chef de la commission des droits de l'homme. Nous avions aussi Faustin Twagiramungu, qui appelait aussi au secours et que nous avons pu contacter et nous l'avons ramené à mon quartier général.

Mais pour la plupart des autres, nous n'avions simplement pas les moyens de leur fournir la protection. Donc, je me rappelle, pour le cas de Lando, qu'il a été tué ce matin-là.

Q. Général, au cours de la matinée du 7 avril, quand et où avez-vous revu le colonel Bagosora et le général Ndindiliyimana, pour la première fois, au cours de la matinée du 7 ?

R. Je continue à partir de mon quartier général. Vers 9 heures, 9 h 30, après avoir eu une série de réunions avec mon personnel, après avoir rassemblé le maximum d'informations et après avoir informé les Nations Unies à New York, eh bien, nous sommes allés au milieu de la ville pour nous rendre au Ministère de la défense, où je m'attendais à rencontrer le colonel Bagosora.

Je n'avais aucun doute que le général (sic) Bagosora, donc, avait la vedette, et la soirée précédente, j'avais également l'intention d'aller voir Booh-Booh — et Bagosora donnait l'impression que c'est lui qui avait les rênes du pouvoir —, entendre aussi ce que les gens disaient. J'avais donc l'intention de parler avec lui pour savoir ce qui se passait ; surtout dans la mesure où la réunion politique qui devait se tenir à 9 heures, et à laquelle devait participer Bagosora, avec un certain nombre de responsables, y compris Monsieur Booh-Booh, eh bien n'a pas eu lieu. Elle n'a pas eu lieu parce qu'aucun... aucune des personnalités ne pouvait se présenter, étant donné tous les barrages routiers qui avaient été érigés ici et là.

Et donc, il était crucial que nous établissions un contact avec qui tenait les rênes du pouvoir ou donnait l'impression de les tenir. C'est la raison pour laquelle je suis descendu dans la ville, et nous avons été arrêtés par la Garde présidentielle et, ensuite, nous avons continué à pied, et certains disaient que je n'avais pas... je n'étais pas autorisé à continuer.

Nous sommes allés au PNUD, parce qu'on nous a dit qu'il y avait une haute personnalité là-bas. Nous n'avons trouvé personne. Je me suis rendu au Ministère de la défense. Il y avait certains officiers là-bas. J'en ai vu un. Il y avait également des troupes qui ne semblaient pas particulièrement préoccupées. Là-bas, ils étaient dans une position défensive et il n'y avait pas de réunion là, et donc, je « suis » donc continué vers le quartier général de l'armée.

On m'a fourni un moyen de transport. Je suis arrivé au quartier... au quartier général de l'armée qui était fortement défendu. Les troupes étaient déployées. Nous y sommes arrivés et nous avons... nous... Finalement, nous avons vu que personne n'était détenu là-bas.

Q. Oui. Général, ma question est : Au cours de cette matinée, quand avez-vous revu le général... le colonel Bagosora et le général Ndindiliyimana pour la première fois ? Quand et où les avez-vous revus pour la première fois ?

R. Je suis désolé d'avoir été long.

C'était au cours de cette réunion, dans l'amphithéâtre de l'ESM. Lorsque je suis entré, le colonel Bagosora était à l'estrade, parlant aux officiers. Et il y en avait environ 40 à 60. Et le général Ndindiliyimana était assis sur une petite estrade également, mais à la table.

Q. O.K. Vous dites que vous avez trouvé le colonel Bagosora en train de s'adresser à l'assistance ; c'est bien cela ?

R. Oui, lorsque je suis entré, je les ai pris par surprise. Il leur parlait en kinyarwanda, donnant ce qui semblait être des instructions fortement autoritaires. Lorsqu'il a remarqué ma présence, immédiatement, il s'est arrêté. Il m'a approché et il m'a demandé de rejoindre le général Ndindiliyimana à la table.

Au moment où il terminait son briefing, il a parlé un peu, en français, de la création d'un comité de crise au sujet d'une déclaration à faire au pays, au cours de cet après-midi, et sur la nécessité de garder le contrôle sur la population. Il m'a alors invité à prendre la parole. Le général Ndindiliyimana était là.

J'ai parlé de la situation en disant que nous restions, même si j'avais déjà constaté que certains éléments du contingent belge avaient été tués ; et que j'étais décidé à rester et à continuer d'essayer et d'appliquer les Accords de paix d'Arusha et de les aider à regagner le contrôle de la situation.

Q. Après l'adresse du colonel Bagosora et le speech que, vous-même, vous avez fait, vous êtes-vous entretenu avec le colonel Bagosora ou le général Ndindiliyimana ?

R. Eh bien, lorsqu'il a repris la parole après moi, il a informé les officiers présents de continuer d'accomplir leurs tâches, de mener à bien les missions avec leurs troupes et il s'est arrêté brutalement. Dans cette... cette fin, il s'est promené dans la salle et il est sorti de la salle, et un certain nombre d'officiers l'ont suivi.

Et le général Ndindiliyimana a pris la direction et je lui ai dit que j'ai vu certains de mes soldats à Kigali et je leur ai dit ce qui se passait et quelle était la situation, que j'ai envoyé certains de mes soldats, de mes éléments. Et j'ai essayé de dire que, pour les officiers que j'avais constaté comme étant modérés et qui étaient à la réunion...

Le major Rutsatira est venu immédiatement et a reçu, donc, la tâche de rédiger cette déclaration, mais il avait des mots d'encouragement pour nous aider à rester.

Q. D'accord. Général, vous dites que vous vous êtes adressé au général Ndindiliyimana pour lui parler de la situation de vos hommes. Et que vous a-t-il répondu ? Vous a-t-il répondu ?

R. Au mieux de mes souvenirs, il a répondu que la situation était sous contrôle, c'est-à-dire qu'il s'y penchait, et qu'il y avait... Comment on dit cela, en anglais ? Pas des troubles, mais plutôt un chaos total, et que les gens essayaient de prendre en main la situation, que la situation était sous contrôle et qu'elle allait être réglée. En tout cas, en d'autres termes, c'est ce qu'il a dit.

Q. Oui. Vous avez également dit que, dans son speech, le colonel Bagosora a parlé de la création d'un comité de crise. Savez-vous qui présidait ce comité de crise ?

R. Oui, le président de ce comité de crise a été identifié en la personne du général Ndindiliyimana et je n'y voyais pas d'inconvénients et je pense que le fait qu'il dirige le comité de crise coulait de sens (sic)... allait de soit.

Q. O.K. Général, qu'avez-vous fait après cette réunion ? À quelle heure, à peu près, avez-vous quitté la réunion ? Et qu'avez-vous fait après cette réunion... après avoir quitté cette réunion ?

R. À ce moment-là, j'étais au comité de crise... ou plutôt, dans le sous-comité de crise. J'étais avec Rutsatira, qui essayait de mettre les choses en place. Les choses stagnaient, n'allaient nulle part. Et lorsque Bagosora est parti, c'était à ce moment-là que l'on a choisi Ndindiliyimana.

J'ai décidé d'aller au Ministère de la défense où se trouvait le bureau de Bagosora, car il savait que Ndindiliyimana était le chef du comité de crise, et il restait toujours Bagosora qui tenait les rênes jusque-là.

Où allions-nous ? À partir de ce moment-là, j'ai décidé d'aller au Ministère de la défense. J'ai utilisé le même moyen de transport. Il n'y avait là que quelques gardes, il y avait peu de personnes ; cela m'a permis de me mettre au téléphone, d'entrer en contact avec mon quartier général, que j'avais perdu depuis environ deux heures.

Q. O.K. Lorsque vous êtes entré en contact avec votre quartier général...


Me TAKU :
Monsieur Bâ, je suis désolé de vous interrompre. Vous lui avez demandé à quel moment il était sorti de cette réunion — la réunion du comité de crise — à l'ESM. Il n'a jamais répondu. Il a donné les conditions dans lesquelles il était parti, sans jamais répondre à votre question.


M. LE PRÉSIDENT :
Demandez-lui s'il se rappelle du moment « auquel » il est parti.


Me TAKU :
Vous avez posé votre question, il a répondu à côté. Il vous faudrait donc la réponse. Il doit répondre à votre question.


M. BÂ :
Vous voulez peut-être que je réponde à sa place ?

Q. Général, est-ce que vous pouvez nous dire, si vous vous en souvenez, à quelle heure, approximativement, vous avez quitté la réunion à l'ESM ?

R. Oui, j'ai dit 12 heures. Je pense que c'était aux alentours de 12 heures, à quelque 20 minutes près, mais c'était en tout cas autour de cette heure. Et lorsque je suis arrivé au Ministère de la défense, c'était l'heure du déjeuner.

Q. Merci. Êtes-vous entré en contact avec votre quartier général ou vos observateurs postés à différents endroits de la ville lorsque vous êtes... vous avez quitté l'ESM ?

R. Oui, j'ai demandé au lieutenant, au quartier général, de me donner l'accès au pôle. Il était à quelques encablures du bureau du colonel Bagosora.

J'ai commencé à téléphoner. Les lignes étaient très occupées. J'ai parlé à mon adjoint, finalement, qui m'a fait rapport d'un certain nombre d'incidents qui avaient eu cours. Il m'a confirmé que... qu'il nous manquait, dans nos rangs, certains éléments ; certains de nos hommes étaient sous contrôle militaire, tel qu'à l'aéroport, où ils étaient encerclés. Certains hommes avaient disparu. Nous ne savions plus où ils étaient. D'autres éléments étaient partis, avaient déserté leur poste. Et enfin, le plus crucial est que la section qui protégeait Madame Agathe se trouvait au camp Kigali et il... il y avait des morts dans leur rang, sans savoir combien ; 11, 15, l'on donnait des chiffres ci-et-là au fur et à mesure que l'on essayait de localiser les uns et les autres.

Il m'a dit qu'il était en contact avec le FPR, qui se trouvait toujours dans l'enceinte. Il avait reçu des messages, un message de Kagame qu'il devait communiquer.

Et, de manière générale, il préparait un rapport sur la situation qui devait être envoyé à New York dès que possible, pour leur donner des renseignements sur ce qui se passait.

Q. Général, à cette heure-là, aviez-vous déjà été informé du sort de Madame Agathe ? Connaissiez-vous déjà ce qui lui était arrivé ?

R. Non, je ne pourrais affirmer sur la base de ce que l'on me disait, qu'elle était dans l'enceinte du PNUD — non pas le siège du PNUD —, en contrebas de là où se trouvait le Ministère de la défense. Je pense que beaucoup d'agents du PNUD y vivaient, sur cette base, et il n'y avait personne autour.

J'ai pu ramener mon véhicule avec mes autres éléments. Nous avons vérifié le niveau de communication sur la radio. Il y avait beaucoup de rapports, des appels de personnes qui voulaient de l'appui, de l'aide, qui voulaient des informations.

Je suis redescendu sur la route sur 100 ou 200 mètres. J'ai trouvé le complexe du personnel du PNUD, car il portait les couleurs des Nations Unies. J'ai ouvert la porte. Il y avait là un de mes agents, un Sénégalais, capitaine de son état et environ 20 personnes hystériques, 20 agents hystériques qui ont essayé, tant bien que mal, de me dire ce qui se passait, où avaient été cachés Madame Agathe et son époux, après avoir escaladé le mur ; comment on les avait trouvés, tués et comment ils étaient allés dans un autre bâtiment... je ne me rappelle plus exactement, dans une chambre très sombre, et ils ont trouvé là les enfants de Madame Agathe qui s'y cachaient.

Q. Merci, Général. Les personnes avec lesquelles vous vous êtes entretenu ont-elles été en mesure de vous dire qui... qui avait commis des exactions sur Madame Agathe, qui l'avait assassiné ?

Vous pouvez me répondre brièvement, ce n'est pas la peine que ce soit long.

R. Oui, ils ont dit que c'était la Garde présidentielle.

Q. O.K. Général, entre minuit, le 6 avril et, disons, 15 heures, le 7 avril, a-t-on noté des coups de feu émanant du CND ou qui auraient été dirigés contre le CND ?

R. Je sais que j'ai pris un chemin détourné. Il y avait des coups de feu, mais je ne me souviens pas avoir vu...

En fait, je n'y suis pas allé, mais je n'ai pas reçu de rapport des troupes le même jour. Mais en tout cas, il y a eu des coups de feu. L'on peut imaginer plusieurs scénarios : C'était le camp de la Garde présidentielle qui se trouvait à proximité du CND et les coups de feu venaient de cette direction.

Q. Les coups de feu venaient de quelle direction ? Vous avez parlé de Garde présidentielle, vous avez parlé du CND. Donc, il y a deux endroits. Les coups de feu venaient d'où ?

R. Autant que je me souvienne du contenu du rapport, les coups de feu venaient de la zone au-delà du camp de la Garde présidentielle, qui se trouve au sud-ouest du CND. Et, par conséquent, dans certaines zones, il y a une ligne très précise de tirs sur le campus.

Q. Merci. Général, dans l'après-midi du 7 avril, êtes-vous entré en contact avec Monsieur Paul Kagame ? Sinon, avez-vous reçu des messages émanant de lui ?

R. J'ai reçu un certain nombre de messages venant de lui — je pense qu'ils étaient au nombre de quatre — et dans lesquels il m'informait de ce qu'il recevait toutes sortes de renseignements disant que les personnes qu'il connaissait, d'origine tutsie, faisaient l'objet précis de cibles, qu'« ils » risquaient leur vie ; certaines personnes avaient été tuées à Kigali.

Ensuite, il a dit qu'il était plus que jamais prêt à déployer un bataillon, voire deux, aux fins de venir en renfort aux FAR pour les aider à maîtriser la ville et la soustraire de ce que le colonel Bagosora disait « comme étant » le fief des paras commandos, et j'en passe.

Et, bien évidemment, il m'a informé et il m'a dit que si la situation n'était pas sous contrôle, il « était » alors obligé de prendre des actions de son propre chef avec ses forces. Et son dernier message a été une série de points qu'il m'a communiqués de façon ramassée. Si la force présidentielle prenait le contrôle, alors il se trouvait dans l'obligation de réagir et d'agir.

J'ai passé le message dans lequel il se proposait de déployer des bataillons venant en renfort dans la capitale pour renforcer les unités sur place, adressé au général Ndindiliyimana et à Bagosora, dans leur bureau. Nous y avons passé l'après-midi ensemble, lorsque je suis... lorsque j'ai quitté Booh-Booh. Et bien évidemment, ils ont réagi. Ils ont dit qu'ils allaient réagir, qu'ils n'avaient pas besoin d'eux. Et ils ont dit qu'il était presque impossible pour eux de se retrancher car ils devaient, pour cela, traverser la ligne des FAR, ce qui serait considéré comme une agression.

Q. Vous rappelez-vous à quelle heure, approximativement, vous avez reçu le dernier message de Paul Kagame ?

R. C'était après 15 heures, vers 15 h 30 — je pense. Mais je pense que je suis en train de forcer un tant soit peu ma mémoire à ce stade.

Q. Merci, Général.

Général, le 7 avril, vers 14 heures, aviez-vous été informé du... de l'enlèvement ou du décès de certaines personnalités rwandaises ?

R. Je recevais des renseignements. J'étais informé par voie de radio ou par téléphone, mais les rapports que nous recevions ne faisaient que confirmer les renseignements que je recevais avant notre départ et, évidemment, sur le fait qu'il y avait des personnes qui étaient ciblées, des personnes qui fuyaient pour sauver leur vie.

Et, à ce moment-là, les lieux des Nations Unies, l'hôtel Mille Collines, la radio ont été pris d'assaut par des personnes qui essayaient de fuir et qui essayaient d'être en sécurité dans l'enceinte des bâtiments des Nations Unies.

Q. D'accord. Et saviez-vous, à ce moment-là, où se trouvait le Premier Ministre désigné, Twagiramungu ?

R. Oui, j'ai été informé de mon quartier général. Je pense qu'il s'agissait de mon adjoint qui m'a dit que le colonel Marchal avait pu parler au Premier Ministre désigné, qui se trouvait dans mon quartier général.

Q. Général, après la réunion tenue à l'ESM et que vous avez quittée, dites-vous, vers 12 heures, 12 h 30, avez-vous revu le colonel Bagosora et le général Ndindiliyimana ce jour-là ?

R. Oui, bien évidemment.

Q. Quand ?

R. J'ai attendu et, tout d'abord, c'est Bagosora qui est arrivé, suivi du général Ndindiliyimana, qui est arrivé à 14 heures.

Q. Où est-ce que vous les avez revus ?

R. Nous avons passé les deux heures suivantes — deux heures et demie même, je dirais — ensemble, tous les trois, dans le bureau du colonel Bagosora avec le général Ndindiliyimana, assis sur le fauteuil, et moi, entrant et sortant du petit bureau, que j’utilisais pour appeler mon quartier général.

Aux alentours de 16 heures, le colonel Bagosora est sorti. Il essayait de régler les problèmes de mes soldats belges « à » camp Kigali. Les autorités ne pouvaient pas s'y rendre. La situation était sous contrôle ; il était sur le point de régler le problème, c'est-à-dire le problème de mes hommes belges. Il y avait des éléments belges à d'autres endroits qui n'avaient toujours pas été localisés ou qui étaient toujours sous contrôle des armes par les forces gouvernementales, à ce moment-là.

Et alors, disons vers 16 heures, avant que je ne parte, à un moment donné, j'étais à ma voiture, et à 18 heures, nous avons tenu la réunion du comité de crise au...

Q. Général… Général, avant de poursuivre...

R. ... quartier général de l'armée.

Oui ?

Q. Vous dites que vous êtes resté avec eux dans le bureau du colonel Bagosora pendant environ deux heures et demie à trois heures. Avez-vous eu des entretiens avec eux, pendant le temps que vous êtes restés ensemble ?

R. Ce moment que nous avons passé ensemble, plus que nous ne le pensions, nous avons parlé de la situation de mes hommes, et c'est un peu plus tard que le colonel Bagosora a soulevé, pour la toute première fois — de la part de quelqu'un du côté gouvernemental —, il a parlé du fait que la RTLM annonçait que les Belges étaient les auteurs et ceux qui avaient abattu l'avion présidentiel. Il disait donc qu'il fallait renvoyer chez eux les Belges, qu'il fallait s'en débarrasser, car ils avaient créé plus de problèmes qu'ils « ne les » avaient résolus.

Ils ont discuté de la question. J'ai continué à négocier avec les dirigeants du FPR au CND, de la possibilité que Bagosora, Ndindiliyimana... J'ai discuté avec eux pour voir comment nous pouvions poursuivre les tractations en matière d'Accord d'Arusha, convaincre le FPR que la situation était sous contrôle et, enfin, empêcher que le FPR n'ait une excuse pour entrer dans l'enceinte et lancer ce qui ressemblerait à une guerre civile et que l'on puisse plus jamais s'en sortir ni appliquer les Accords d'Arusha.

J'entrais et je sortais. J'étais au téléphone. Il y a eu au moins un visiteur avec lequel ils ont parlé. J'ai vu le colonel sortir et refermer la porte. C'est ce qui s'est passé, mais, à un moment donné... Ou plutôt, je n'ai jamais vu autant de personnes communes responsables. Je n'ai jamais vu cela de ma vie.

J'étais dans une opération complexe, et nous n'avions aucun contrôle de ce qui se passait. Et nous étions plus au téléphone, nous organisions plus de réunions, les personnes venaient et sortaient. Nous recevions les messages etc., etc. Et donc, c'était tout à fait le contraire.

Le général Ndindiliyimana était là, assis, acquiescant à tout ce que disait le colonel Bagosora. Le colonel Bagosora faisait travailler les gens. Il répondait au téléphone de temps à autre, mais sur un ton qui était si peu convaincant que, le plus souvent, cela donnait l'impression qu'il ne savait pas ce qui se passait, ou alors qu'il savait ce qui se passait et qu'il y avait quelque chose qui se passait et qu'il ne se préoccupait pas de savoir si nous étions en plein coup d'état ou ce qui se passait alors, car à ce moment-là, Agathe n'était plus là.

Elle avait été ciblée et tuée. Les autres ministres n’étaient pas disponibles. Faustin n'avait pas d'autorités. Il avait juste été mis là. Il n'avait aucune autorité. Et ainsi donc, personne ne pouvait dire qu'il y avait une structure gouvernementale en place, même si Bagosora avait dit qu'il travaillait sur la question pour mettre en place des politiques au cours des jours à venir et qu'il s'y attelait.

Q. Je pose peut-être une dernière question et on arrête là.

Général, pendant que vous étiez dans le bureau de Bagosora, aviez-vous réussi à établir un contact avec le CND ? Pendant que vous étiez dans le bureau, je ne dis pas au dehors.

R. Oui, j'ai pu entrer en contact avec le CND. J'ai parlé à mes agents de liaison. J'ai parlé à...

Toutes mes excuses, je vais essayer de retrouver son nom. Je suis quelque peu confus.

Sendahonga qui y était, avec Peter Rutaremere et le docteur Jacques... Je ne me souviens plus de son nom. C'étaient nos trois interlocuteurs du côté politique, c'était donc l'interface avec le FPR.

Je leur ai demandé s'ils étaient prêts à s'entretenir avec les colonels (sic) Bagosora et Ndindiliyimana. Ils se sont exécutés. Je les ai fait appeler ou j'ai fait appeler le bureau du colonel Bagosora. J'ai donné le numéro, et ils ont appelé. Le colonel Bagosora a été très avare en mots. Ils a donné le téléphone au général Ndindiliyimana, qui a été beaucoup plus loquace... un peu plus loquace.

Donc, ils ont conclu leur discussion en disant que, voilà, ils demandaient l'impossible et ils voulaient que l'on arrête la Garde présidentielle, que l'on renvoie toutes les unités, que l'on les mette sous contrôle immédiat et que... le soir et toutes les autres instances reviennent à la normale. Ils disent qu'ils ne pouvaient pas garantir tout cela.

Et à mon sens, c'était là la dernière tentative qui avait été faite de sauver les Accords d'Arusha, à moins que le FPR ne reste dans l'enceinte et non pas au DMZ et qu'il attende que l'on essaie de résoudre le problème des unités à Kigali, que l'on mette fin aux tueries.

À 16 h 20, mon personnel est venu me voir pour dire que le FPR s'était introduit dans le CND, qu'ils allaient lancer le feu et qu'il fallait penser à d'autres déploiements, aux fins d'assurer une plus grande protection et je me suis rendu compte, par la suite, que le FPR avait également fait de même.


M. BÂ :
Monsieur le Président, on peut arrêter là... on peut arrêter là pour reprendre demain.

On reprend à quelle heure demain ?


M. LE PRÉSIDENT :
Demain, nous reprendrons à 15 heures — 15 heures, heure d'Arusha. 15 heures — 15 heures, heure d'Arusha, car cette salle d'audience sera occupée par une autre Chambre. Donc, nous allons reprendre à 15 heures demain.


M. BÂ :
Pour siéger jusqu'à quelle heure ?


M. LE PRÉSIDENT :
Jusqu'à 20 heures.

Les documents de Maître Mac Donald doivent être inscrits au procès-verbal.


Me MAC DONALD :
Est-ce là le seul document que nous avons ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui.

L'audience est suspendue ; reprise demain à 15 heures.

(Levée de l'audience : 20 heures)

Fin de l'audience du 20 Novembre 2006



























SERMENT D’OFFICE

Nous, sténotypistes officielles, en service au Tribunal pénal international pour le Rwanda, certifions, sous notre serment d’office, que les pages qui précèdent ont été prises au moyen de la sténotypie et transcrites par ordinateur, et que ces pages contiennent la transcription fidèle et exacte des notes recueillies au mieux de notre compréhension.



ET NOUS AVONS SIGNÉ :


______________________________ _______________________
Grâce Hortense Mboua Sophie Tison

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