Saturday, December 16, 2006

Le Procès du Général: Le Contre-interrogatoire de Dallaire - 23 Nov 2006

Le Procès du Général: Le Contre-interrogatoire de Dallaire - 23 Nov 2006

[Ci-dessous est le contre-interrogatoire du General Dallaire devant le TPIR à Arusha du jeudi 23 novembre 2006. Notre camarade Me Black ne joue qu'un rôle secondaire dans cette séance, mais il a fait des bon coups quand même. Le témoignage de Dallaire est incroyablement intéressant parce que, exactement comme dans son livre, J'ai sucé la bite noire du diable, il présente plusieurs preuves clef malgré tout ses efforts de les cacher. Peut être c'est un effet de son propre mauvaise foi qui se tourne sur et devorer soi-même, ou juste une bêtise d'un soulard. Mais où vont aller les Droits de l'hommeurs sans leur héros/menteur cannuck? Il y aura prochainement plus des transcrits en vf et va, mais pas dans une séquence chronologiquement correcte. Attention à tout les Rwanda maniacs! --mc]

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TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA

AFFAIRE N° ICTR-2000-56-T LE PROCUREUR
CHAMBRE II
C.

AUGUSTIN NDINDILIYIMANA
FRANÇOIS-XAVIER NZUWONEMEYE
INNOCENT SAGAHUTU
AUGUSTIN BIZIMUNGU

PROCÈS

Jeudi 23 novembre 2006

(13 h 10)

Devant les Juges :
Joseph Asoka de Silva, Président
Taghrid Hikmet
Seon Ki Park

Pour le Greffe :
Roger Noël Kouambo
Issa Toure
Abraham L. Koshopa

Pour le Bureau du Procureur :
Ciré Aly Bâ
Moussa Sefon
Segun Jegede
Abubacarr Tambadou
Felistas Mushi

Pour la Défense d’Augustin Ndindiliyimana :
Me Christopher Black
Me Patrick De Wolf (absent)

Pour la Défense de François-Xavier Nzuwonemeye :
Me Charles Taku
Me Hamuli Rety

Pour la Défense d’Innocent Sagahutu :
Me Fabien Segatwa
Me Seydou Doumbia

Pour la Défense d’Augustin Bizimungu :
Me Gilles St-Laurent (absent)
Me Ronnie Mac Donald

Sténotypistes officielles :
Françoise Quentin
Grâce Hortense Mboua
Vivianne Mayele



PRÉSENTATION DES MOYENS DE PREUVE À CHARGE


TÉMOIN ROMEO DALLAIRE



PIÈCES À CONVICTION

Pour la Défense de François-Xavier Nzuwonemeye :
D. 150 (Nzuwonemeye) 10
D. 151 (Nzuwonemeye) 11
D. 152 (Nzuwonemeye) 11

Pour la Défense d’Augustin Bizimungu :
D. 153 (Bizimungu) 66

(Début de l'audience : 13 h 10)

M. LE PRÉSIDENT :
Bon après-midi, Mesdames et Messieurs.

L'audience est ouverte.

Je ne vois pas Maître Black !


Me MAC DONALD :
Je ne l'ai pas vu ce jour, Honorables Juges. Je sais qu'il ne se portait pas bien. Hier, il était très malade. En fait, selon les informations que j'ai reçues, il est allé chez le médecin hier. Et je n'ai rien entendu, je n'ai pas eu d'information depuis ce matin. Donc, je ne sais pas quelle est la situation concernant Maître Black.

Mais Maître Segatwa l'a vu ce matin.


M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)… livré une information : Je l'ai vu il y a quarante-cinq minutes. Nous avons déjeuné ensemble ici, ici au Tribunal.

(Conciliabule entre les Juges)


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le représentant du Greffe, pouvez-vous envoyer quelqu'un chercher Maître Black ?


M. TOURE :
Nous en prenons bonne note.

(Le greffier d'audience s'exécute)


M. LE PRÉSIDENT :
L'audience est suspendue pour dix minutes.

Le Coconseil de Maître Black devrait être présent !

Dans dix minutes, l'audience sera reprise.

(Suspension de l'audience : 13 h 15)

(Reprise de l'audience : 13 h 25)


Me BLACK :
Monsieur le Président, je suis…


M. LE PRÉSIDENT :
Nous avons déjà perdu 25 minutes, Maître. Nous devons commencer à l'heure !

Votre Coconseil n'est pas présent ! Vous n'êtes pas présent ! L'Accusé n'est pas présent !


Me BLACK :
J'ai un certificat médical que je peux remettre. Le médecin m'a demandé de ne pas être présent ici. Je ne sais pas quel est le problème, peut-être le paludisme, les résultats des examens ne sont pas encore prêts. On m'a dit de ne pas venir, mais j'ai constaté que je ne servirais pas les intérêts de mon client si je n'étais pas présent ici.

Ce que je vais faire, c’est essayer de rester aussi longtemps que possible pour que, par ma faute, les choses ne s’arrêtent pas. Je n’ai pas de Coconseil…


M. LE PRÉSIDENT :
Vous avez un Coconseil !


Me BLACK :
Non. Pas à Arusha, en tout cas.


M. LE PRÉSIDENT :
Je ne sais pas ! Un Coconseil a été nommé pour être ici.


Me BLACK :
Il n’est pas ici, c'est un fait, et je suis malade. Et c’est là la réalité.

Je m'excuse d'être en retard. J'ai vu un médecin la nuit dernière, c’était le seul disponible. J'en ai vu un autre ce matin, j’ai dû attendre. C'est pour cela que je suis en retard, je m’en excuse. Je ne me sens vraiment pas bien. Mais vous pouvez lire la note. Le médecin et l'infirmière m'ont dit de ne pas être présent ici. Mais je n’ai pas voulu bloquer la procédure. Ce que je vais donc essayer de faire, c'est d'être ici aussi longtemps que possible pour ne pas retarder la procédure.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.

L'audience est donc en cours.

La composition des parties est la même.

Maître Segatwa, vous pouvez poursuivre.


Me SEGATWA :
Merci, Monsieur le Président…


M. BÂ :
Est-ce que Maître Black est à même de représenter valablement son Conseil (sic) ? Parce que si ce n’est pas le cas, je crois qu’il y a quand même un problème. Vous me direz que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Mais je pense que pour la bonne tenue des débats et le respect des droits de la Défense, on doit quand même nous assurer qu’il est à même de suivre les débats et de représenter valablement son Conseil (sic).


Me BLACK :
Je ne sais pas, je ne suis pas dans la meilleure des formes, Monsieur Bâ. Eh bien, j'essaierai de faire du mieux que je puis. J'essaierai de faire ce que je peux, mais je ne suis pas dans ma meilleure forme.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Segatwa.


Me TAKU :
Honorables Juges…


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, avant que mon confrère Taku ne prenne la parole, je voudrais... je voudrais, à la suite de l'incident d'hier et des sages conseils que vous avez prodigués aux parties, apporter des précisions suivantes : Je pense que...


M. KOUAMBO :
Monsieur le Président ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui.


M. KOUAMBO :
Nous semblons avoir une petit problème technique : Nous n'avons pas les images d'Arusha ; nous pouvons vous entendre, mais nous n'avons pas l'image.


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Représentant du Greffe, essayez de voir comment ce problème peut être résolu.

(Le greffier d’audience s’exécute)

Me SEGATWA :
Monsieur le Président, est-ce que je peux continuer ? Puisque, de toute façon, ce que je dis n'intéressait pas le témoin.

M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Allez-y.


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, je disais que, à mon humble avis, dans des dossiers joints, chaque Accusé a le droit de se défendre comme s'il était dans un dossier séparé. Et cela est conforme à l’Article 82 du Règlement de procédure et de preuve. Et si cela n'est pas possible, Monsieur le Président, il appartiendra à la Chambre, suivant le même Article 82, alinéa 2, du Règlement de procédure et de preuve, d'ordonner la disjonction d'instances, pour éviter tout conflit d'intérêt de nature à causer un préjudice grave à un Accusé ou pour sauvegarder l'intérêt de la justice.

Vous vous en souviendrez, Monsieur le Président, que mon client avait demandé la disjonction de l'instance dès le début de ce procès.

Ceci dit, je m'oppose formellement à ce qu'un Avocat d'un Accusé puisse diriger mon contre-interrogatoire qui a été préparé à l'avance et discuté préalablement avec mon client. Et je ne suis ici que pour sa Défense.

Cela étant, Monsieur le Président, je réitère qu'à aucun moment, je n'ai eu l'intention de porter préjudice aux autres Coaccusés. Et si indépendamment de ma volonté, cela a été, je demande pardon au Conseil et à son client.

Après avoir suivi vos sages conseils qui disaient que le silence était d’or — bien entendu, la parole est d'argent —, en consultation avec mon équipe et mon client, j'ai décidé d'être le plus bref possible. Et en moins d'une heure, j'aurai terminé mon contre-interrogatoire.

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre aimable attention.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Maître. Vous ne devez pas suivre les instructions des autres Conseils, mais suivre les instructions de la Chambre uniquement. Vous ne devez pas autoriser les autres à vous dicter « ses » directives. Nous vous remercions de bien vouloir vous conformer aux conseils de la Chambre.

Vous pouvez poursuivre à présent.


Me TAKU :
Plaise à la Chambre, le Greffe m'a informé de ce que les problèmes techniques d'hier ont pu être résolus et qu'il serait idoine que l'on projette la cassette en tout premier lieu cet après-midi. Car si nous ne le faisions pas, nous pourrions avoir d'autres problèmes techniques.

J'ai discuté avec mon confrère, Maître Segatwa, et nous nous sommes accordés pour que cette cassette soit passée. Nous demanderions l'indulgence de la Chambre et nous demanderions à la Chambre si elle n’y voyait aucun inconvénient que l’on puisse visionner la cassiette… la cassette.


M. LE PRÉSIDENT :
En fait, je voulais vous proposer de le faire après Monsieur Segatwa. Mais si vous pensez qu’il est avisé de le faire ici et maintenant, alors, nous allons vous donner la parole — vous allez conclure — et donnerons la parole après à Maître Segatwa.


Me TAKU :
Oui.


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Roger, vous suivez la procédure ici. Est-ce que vous avez à présent les images ?


M. KOUAMBO :
Oui. Nous les avons.


M. LE PRÉSIDENT :
Une demande a été faite par Maître Taku à l'effet de pouvoir revenir sur son CD et de pouvoir visionner ce CD maintenant, pour qu'il puisse conclure son contre-interrogatoire. La Chambre fait droit à cette requête.

Qu’en pensez-vous ?

Oui, Maître Black, tout d’abord d'abord.


Me BLACK :
Je voudrais vous informer de la situation de mon Coconseil. Vous pourriez penser que je suis en train de monter un scénario. En fait, il y a eu un problème pour le faire venir. Il m'a informé de ce qu'il venait lundi. Mais il y a eu des problèmes de communication avec ce Coconseil pendant un certain moment. Il y a eu plusieurs tentatives mais, en définitive, il me dit qu'il vient lundi. Le problème, ça n'a pas été notre manque de volonté de le faire venir ici. Il vient finalement lundi. Cette situation est très difficile pour moi également.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Taku, veuillez donner les instructions nécessaires au représentant du Greffe pour que nous sachions comment il faut procéder.


CONTRE-INTERROGATOIRE (suite)


PAR Me TAKU :

Oui, Honorables Juges. Comme je l'ai indiqué hier, nous avions distribué ce que nous appelions « Transcription libre ». Et à la fin de ce bref exercice, nous demanderions qu'une transcription formelle soit faite, transcription officielle soit faite, pour que le passage de ce CD que nous visionnerons soit versé aux débats.

Donc, si nous pouvions avoir à l'écran entre les premières cinquante secondes… entre « 0:00 » et « 0:50 », donc, de ce CD

(Déroulement d’un passage du CD à l’écran)

Honorables Juges, si on peut à présent passer à « 15:00… » à « 13:00… ».

Q. Tout d'abord, un question générale : Pouvez-vous vous rappeler à présent cet entretien ?


M. DALLAIRE :

R. Après avoir visionné la cassette ici, oui. Cela s'est passé peu de « tremps » après mon retour au Canada.


Me TAKU :
Je vous remercie, Général.

Je demanderais aux techniciens de se concentrer sur « 13:41… » « 13:00 » et « 13:41 », sur ce passage, s’il vous plaît, les Techniciens.

(Déroulement d’un passage du CD à l’écran)

Techniciens, concentrez-vous sur « 17:00 » à « 20:00 ».

(Déroulement d’un passage du CD à l’écran)

Techniciens, oui, veuillez passer à « 17:00 » à « 20:00 ».

(Déroulement d’un passage du CD à l’écran)

Vous pouvez vous en arrêter là, Techniciens.

Q. Général, vous avez donné ces réponses candides, succinctes, pointues sur les événements que vous avez vécus, observés, auxquels vous avez participé et analysés minutieusement, au moment où les événements étaient toujours très frais à votre esprit, n'est-ce pas ?

R. Au moment... À ce moment-là, je n'étais plus commandant ; j'avais été blessé et j’en subissais les séquelles. Mais à ce moment-là, j'ai répondu aux questions qui m'avaient été posées.

Q. Général Dallaire, nous avons écouté attentivement les questions sur cette émission et vos réponses.
Avec tout le respect qui vous est dû, Général Dallaire, je voudrais néanmoins reposer cette question, maintenant que vous êtes assis, là ; et j'espère qu'en toute honnêteté, votre réponse sera la même. Sommes-nous d'accord, Général Dallaire ?

R. Si vous me posez ces questions, faites-le, Maître, et je vais répondre.

Q. Je dis que je répète les mêmes questions qui vous ont été posées pendant cet interview. Je n'ai pas l'intention de perdre davantage de temps. Nous avons tous écouté les questions et les réponses. Et ma question est la suivante : Maintenez-vous vos réponses ?

R. Je ne maintiens pas la totalité de ces réponses.

Q. Général Dallaire, je n'ai pas l'intention d'entrer dans un débat sur ces réponses. Vous avez donné ces réponses au monde entier au moment où vous ne prévoyiez pas de poursuites pénales, au moment où vous étiez libre dans votre Canada natal, et devant les médias mondiaux. Je conclus, Général Dallaire, qu'en tant que commandant des forces des Nations Unies, comme quelqu'un qui était peiné par ce qui s'était passé au Rwanda, vous ne trompiez pas… vous n'induisiez pas (inaudible) en erreur le monde dans les réponses que vous avez données. Est-ce exact ? Vous n’induisiez pas le monde en erreur dans les réponses que vous avez données ; est-ce exact ?

R. Je n'induisais pas le monde en erreur, je donnais les informations que j'estimais comme étant valides, à l'époque, et aussi par rapport au contexte du moment.

Je n'ai jamais nié qu'il y a d'abord eu, comme je l'ai décrit à mes supérieurs, une « décapitation politique » — c'est le terme que j'ai utilisé — et, finalement, une destruction de la possibilité de réconciliation dans le pays.

Et dans mon rapport à mes supérieurs, j'ai dit, lorsqu'on examine la Convention qui m'a été fournie par le représentant de la Croix-Rouge, que nous étions face à un génocide. L'ampleur du génocide, c'est ce que je… qui a été l'objet de mes réflexions tout au long des années. Et à l'époque, je n'aurais jamais pu imaginer que quelqu'un… ou des gens pouvaient planifier, dans le détail, les tueries de milliers de personnes.

Mais je n'ai jamais nié qu'il y avait un génocide contre un groupe ethnique, qu'il y a eu des exactions, des tueries faites derrière les lignes du FPR. Et je m'en suis plaint à Kigali à plusieurs reprises… à Kagame à plusieurs reprises.

Et, finalement, le déploiement des tueries était alimenté sur une période de temps, ce qui signifie qu'il n'y a pas eu une explosion spontanée dans tout le pays, mais qu'il y a eu des phases. Progressivement, le pays tout entier se trouvait dans cet échec catastrophique.

C'est la raison pour laquelle, j’ai rapidement recommandé que je déploie jusqu’à 5 000 soldats, en vue d'arrêter ces tueries derrière les lignes et qui continuaient d'être encouragées par tant le Gouvernement que la RTLM.

Q. Général Dallaire, puisque, néanmoins, vous dites que vous avez accordé cet interview alors que vous étiez en convalescence, je vous fais la suggestion, Général Dallaire, qu'étant donné votre état de santé qui est même plus précaire… tellement précaire que vous n'avez pas pu venir à Arusha déposer, je vous fais la suggestion que si tel était le cas, alors, votre déposition ici a été sous l'influence de votre état de santé, tel que présenté par votre médecin devant cette Chambre ; comprenez-vous cela ?

R. Je suis une personne qui a eu une (inaudible) appelée troubles post-traumatiques, mais ce trouble n'est pas venu du jour au lendemain, immédiatement. C'est un état qui a fait en sorte que je sois rappelé de ma mission. Eh bien, c'est le... l'état dans lequel je me trouvais. Vous avez ce que vous avez devant vous…


Me TAKU :
Honorables Juges, nous n'avons pas besoin d'insister davantage avec lui sur ce point qui concerne sa santé. Les raisons de santé qu'il a données… Vous avez les informations que son médecin a présentées ; vous pourrez apprécier les réponses qu'il a données à ce point particulier.

Honorables Juges, nous aurions aimé conclure notre contre-interrogatoire à ce point, mais nous voulons, Honorables Juges, faire verser en preuve ces extraits des cassettes… la cassette elle-même.

Monsieur Bâ, excusez-moi


M. BÂ :
Est-ce que vous avez la cassette elle-même ?


Me TAKU :
Oui. Nous l'avons déposée.


M. LE PRÉSIDENT :
Je pense que vous devez fournir une traduction de cette cassette.

Une seconde !

Vous devez donner une traduction... transcription du français et une traduction de l'anglais.


M. BÂ :
Ce que, moi, je vais suggérer, c'est qu'il fournisse peut-être la transcription entière de la cassette, pour que les passages puissent être replacés également dans l'intégralité de leur contexte et que cela ne soit pas tout simplement des passages sélectionnés ou manipulés, arrangés.

Et de toute façon, même s'il ne versait que cela, cela ne nous gêne nullement. L'interview du général Dallaire, moi, me convient parfaitement, même si vous vous limitez simplement à verser que cela.

Mais je crois que la procédure la plus fiable, la moins sujette à des manipulations, c'est de verser l'intégralité du texte. Mais même si vous ne versez que cette partie-là, nous, ça ne nous dérange pas.


Me TAKU :
Honorables Juges, nous avons versé le CD dans sa totalité pour la simple raison que vous devez examiner le contexte en vue d’apprécier les raisons de santé qu'il avance aujourd'hui, que vous examiniez tout le contexte. Alors, vous pourrez apprécier la situation.

Nous faisons donc verser en preuve le CD tout entier.

Nous demandons également que vous ordonniez que les services linguistiques fassent la transcription officielle de ce CD en anglais et en français et les fournissent à la Chambre ; et que les cassettes soient également versées en preuve.


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur Kouambo, vous vouliez dire quelque chose ?


M. KOUAMBO :
Oui, Monsieur le Président. J’ai essayé tout simplement de demander qu'on nous ramène les images de la salle d'audience pour qu'on puisse suivre ce qui s'y passe.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Monsieur le Représentant du Greffe, allez voir comment résoudre ce problème.

(Le greffier d’audience s’exécute)


Me TAKU :
Honorables Juges, nous voulons aussi faire verser en preuve les transcripts de la déposition du général Dallaire en l'affaire Militaires I, en date du 19 janvier 2004 et 22 janvier 2004, et les pages spécifiques dont... que nous avons exploitées pendant notre contre-interrogatoire.


M. LE PRÉSIDENT :
Monsieur le Représentant du Greffe, quelles sont les cotes qu'on peut donner à ces cassettes ?


M. KOSHOPA :
C'est « D. 149 ». « D. 149 »


M. LE PRÉSIDENT :
Et les transcripts ?


Me TAKU :
Nous avons les pages pertinentes du transcript du 19 janvier 2004 en l'affaire Militaires I : Page 28… la page de couverture et la page 28.

Ensuite, le transcript du 22 janvier 2004 : Page 46... 46, page 58, page 72.

Et le transcript du 23 janvier 2003 (sic), en la même affaire : Pages 3, 4, 5.

Le transcript du 26 janvier 2004 : Pages 80 et 81.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


Me TAKU :
Le représentant du Greffe nous aidera à mettre tout cela en forme.


M. LE PRÉSIDENT :
Avez-vous une objection au versement de ces pièces ?


M. BÂ :
Pas d'objection, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT:
« D. 150 » (MINUAR (sic)).


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
(Nzuwonemeye) — pardon.

(Admission de la pièce à conviction (Nzuwonemeye) D. 150)

M. LE PRÉSIDENT:
(Intervention non interprétée)


Me TAKU :
Honorables Juges, nous avons les rapports de situation de Monsieur Booh-Booh à Kofi Annan : La page de couverture « porte » le 12 avril 1994 et les rapports… (suite de l’intervention inaudible), en particulier « K000702 », qui couvrent la période du 11 avril au 12 avril, que nous avons exploités pendant notre contre-interrogatoire.


M. LE PRÉSIDENT :
Ce document porte la cote K000701 ; est-ce la bonne ? Oui.

Ces documents comportent plusieurs pages qui se terminent par K000710. Il s'agit donc là du rapport de situation rédigé par le Représentant spécial du (inaudible) général, Booh-Booh, et reconnu par le témoin.

Ce document est accepté sous la cote D. 151, entre parenthèses (Nzuwonemeye).

(Admission de la pièce à conviction (Nzuwonemeye) D. 151)


M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)… Maître Taku. Vous venez de dire que c'est la période du 11
au 12 avril, mais je crois que les dernières pages également concernent la période du 9 au 10 avril ; est-ce qu'on est bien d'accord là-dessus ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui. C'est la réalité.


Me TAKU :
Une minute !

Je pense que nous voulons faire verser le document en entier, comme tel qu'il se présente, puisque le 12, c’est… tout le document a été envoyé.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien. Très bien.


Me TAKU :
Et, enfin, Honorables Juges, les extraits du livre du général Dallaire, J'ai serré la main du diable : Pages 238 et 239 — J'ai serré la main du diable, la version anglaise, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Nous n'entendons pas le Président, il n'utilise pas son micro.


M. LE PRÉSIDENT :
Les pages du livre rédigé par le témoin, page 238 et page 239, sont versées en preuve sous la cote D. 152, entre parenthèses (Nzuwonemeye).

(Admission de la pièce à conviction (Nzuwonemeye) D. 152)


Me TAKU :
Je vous remercie, Monsieur le Président, Honorables Juges.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous vous remercions.

Maître Segatwa. Maître Segatwa, vous pouvez commencer.

Hier, je vous ai dit que je pensais comme suit : Les charges sont presque similaires contre Monsieur Nzuwonemeye et contre votre Accusé. Et puisque le Conseil de Monsieur Nzuwonemeye a pris un nombre d'heures limité pour couvrir ces domaines, je pensais qu'il serait prudent que, vous-même, vous en teniez à ce domaine. C'est pour cela que j'ai fait les commentaires que j'ai faits hier, je ne voulais pas vous interrompre. C’est pour cela que j’ai fait ces commentaires. Les charges, les accusations sont de nature similaire, il ne vous restait que quelques domaines très limités à couvrir dans votre contre-interrogatoire. Je pense que vous avez pris en compte tout cela.

Et cela dit, vous pouvez à présent commencer votre contre-interrogatoire. Merci.


Me SEGATWA :
Merci, Monsieur le Président.

De toute façon, je peux assurer à la Chambre que je ne vais pas répéter ce qui a été dit par mon estimé confrère Taku, d'autant plus qu'il a couvert l'essentiel des intérêts de mon client.

Mais si je me suis décidé à raccourcir mon contre-interrogatoire, c'est pour d'autres raisons, Monsieur le Président, que vous pouvez deviner.


CONTRE-INTERROGATOIRE (suite)


PAR Me SEGATWA :
Bonjour, Général Dallaire.

M. DALLAIRE :
Bonjour.

Me SEGATWA :
Évidemment, comme je le disais hier, Général Dallaire, j'aurais bien voulu que vous soyez dans la salle parce que, maintenant, je vous vois comme Armstrong sur la lune. Et la prochaine fois, je crois que vous nous ferez honneur de venir dans cette salle.

Q. Général Dallaire, est-ce que votre mission exigeait une grande neutralité, pour sa réussite ?

M. DALLAIRE :
R. C'était là l'un des préalables d'une mission de maintien de la paix, en application du chapitre VI. Oui. Effectivement.

Q. Vous avez dit, Général, que vous avez eu à rencontrer plusieurs fois les autorités — si je peux les appeler ainsi — du FPR ; est-ce que c'est vrai ?

R. Oui. Cela est exact.

Q. Est-ce que je peux affirmer que le QG du FPR se trouvait à Mulindi ?

R. Oui. C'est exact.

Q. Est-il vrai, mon Général, que le 23 avril et le 24 avril 1994, vous étiez à Mulindi ?

R. Je ne saurais y répondre avec précision. Mais j'y étais à plusieurs reprises.

Q. Général, est-ce que vous vous souvenez avoir déposé dans le dossier de Nkezabera ?

R. Était-ce une question ?

Q. Je voulais, Général, que vous puissiez me confirmer si, devant la juge d'instruction Sylvania Verstreken, vous avez donné des témoignages contre Nkezabera.

« Nkezabera », c’est : N-K-E-Z-A-B-E-R-A.

R. Si vous parlez de l'affaire Militaires I, de l'un des Accusés en l'affaire Militaires I, oui.


M. LE PRÉSIDENT :
S'agit-il d'un accusé en l'affaire Militaires I ?

Il pense que c'était l'un des Accusés en l'affaire Militaires I.

Maître Segatwa, à quel endroit cette déposition a-t-elle eu lieu ?


Me SEGATWA :

Q. Monsieur… Général, c'était contre Nkezabera, un des Interahamwe, un des… — comment on peut dire ? — des chefs des Interahamwe.


M. LE PRÉSIDENT :
Peut-être, c'est exact. Mais il faudrait lui donner tous les détails : Où cela s'est passé ? Dans quelles conditions et quelles circonstances, il a fait sa déposition. Où cela s'est-il passé ? Où ce procès a-t-il eu lieu ?


Me SEGATWA :

Q. Général, ce n’était pas un procès, c'était une audition qui a été faite dans les locaux du Ministère de la défense à Ottawa, au Canada, dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire, et c'était le 19 septembre 2006. Est-ce que vous vous en souvenez, Général ? 2006.


M. BÂ :
Maître, est-ce que vous êtes sûr de la date du 19 ?


Me SEGATWA :
Du 12 septembre 2006.


M. LE PRÉSIDENT :
Vous avez dit le 12 septembre 2006, il y a de cela quelques jours.


Me SEGATWA :
C'est ce qui est écrit, le 12 septembre 2006.

Pas quelques jours, Monsieur le Président, c’est quelques mois.

Monsieur le Président, est-ce qu'on pourrait mettre... Il s'agit d'une pièce communiquée par le Procureur, après le départ du greffier Kouambo. Mais je pense qu'en mettant ça sur le rétroprojecteur, il peut voir les pages.


M. BÂ :
Je crois que… Maître Segatwa, la difficulté vient des noms. Parce que si vous... J'ai devant moi cette déposition, comme vous ; c'est moi qui vous l'ai communiquée le vendredi dernier. Mais vous remarquerez qu'il dit, dans cette déposition, qu'il ne se rappelle pas des noms. Donc, c'est « le » nom qui doit poser problème.


Me SEGATWA :
Quels noms ?


M. BÂ :
(Intervention inaudible)


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro, s’il vous plaît, Maître.


M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)… parlé d’Ephrem Nkezabera. Ce sont les noms qui doivent poser problème.


Me SEGATWA :
Mais je pense, tout de même, que le général peut se rappeler qu'il a été dans les locaux du Ministère de la défense, à Ottawa, et qu'il a donné des témoignages à un Juge d'instruction de l'arrondissement de Bruxelles.


Me MAC DONALD :
Si je puis intervenir ?

Ce que dit Monsieur Bâ, n'est pas vrai. Je pense qu'il se trompe.

Dans ce document, le Juge d'instruction parle du livre du général Dallaire et elle se réfère à ces trois noms que le général Dallaire cite dans son livre. Ce que dit le général Dallaire est qu'il ne peut faire aucun lien physique.

Je vais lire en français : « Entre les trois personnes et les noms… » Il ne dit pas cependant qu'il ne se souvient pas des noms. Cela n'est pas vrai.


Me SEGATWA :

Q. Général, c'était uniquement pour vous rappeler que vous aviez dit devant la Juge d'instruction que vous étiez à Mulindi dans la nuit du 23 au 24 avril, je suppose que ça devait être au cours de l'année 1994 ; est-ce que j'ai bien compris ?

R. Oui. Je me souviens de ma déposition. Je me rappelle avoir passé une nuit à Mulindi. Vous me rappelez la mémoire... Vous me rafraîchissez la mémoire, vous me dites que c'est le 23, 24 avril ; cela doit être cela. Oui.

Q. Merci, Général.

Est-ce qu'à Mulindi, vous avez rencontré le général Paul Kagame ?

R. Je pense que la première fois que je l'ai rencontré, après le déclenchement de la guerre, c'était le 22. Je suis allé à Mulindi. Et lorsque j'allais à Mulindi, c'était pour rencontrer le général et, donc, c'était normal et logique que je le rencontre, de la même manière que j'ai rencontré d'autres membres de l'organisation.

Q. Merci, Général, pour les précisions.

Est-ce que vous avez eu une séance de travail avec le général… — je crois qu'il était encore major — Paul Kagame ?

R. En toute honnêteté, je ne me souviens pas de la date à laquelle ils ont accédé au grade de général ; ils étaient généraux-majors. À un moment donné, il y a eu des promotions.

Et dans ce cas d'espèce, c'était le commandant des forces du FPR ; il dirigeait les opérations et, en cette qualité, c’était mon interlocuteur principal tout au cours et tout au long de la guerre civile.

Q. Général, est-ce que vous avez en votre possession le livre J'ai serré la main du diable, version française, avec vous ?

R. Oui. Je l'ai.

Q. Est-ce que vous pouvez tourner à la page 413 ?

R. Oui. J'y suis.

Q. Général, est-ce que vous avez eu un entretien ou une séance de travail avec le général Paul Kagame ? Et c'est ce qui ressort de la page 413.

R. Oui. J'y suis.

Q. À la première ligne, vous dites : « Nous avons commencé à discuter de la situation, de la bataille elle-même » ; est-ce que vous y êtes, mon Général ?

R. Oui.

Q. Général, je cite votre livre, vous dites :

« Nous avons commencé à discuter sur la situation de la bataille elle-même. J'ai étendu ma carte militaire entre lui et moi, sur le sol. »

Vous y êtes, Mon général ?

R. Oui. Oui. J'y suis.

Q. Une question : Est-ce que ces cartes, que vous avez étendues sur le sol entre vous et lui, étaient des cartes d'état-major ? Je veux dire état-major de votre force.

R. Non. Il s'agissait de ce que nous appelons « ma propre carte de bataille ».

Q. Merci pour la précision, c'est ce que je voulais savoir, Général.

Général, je continue la lecture du livre et vous dites — je cite :

« Il était évident que Kagame avait bloqué, sans grand effort, un certain nombre de bataillons de l'armée gouvernementale rwandaise qui défendaient le cœur de la terre hutue, Ruhengeri. Cela lui permettait, une fois prise la ville de Byumba et la route principale se dirigeant vers l'est, de se rendre vers le sud, jusqu'à la frontière avec la Tanzanie, et de boucler avec le fleuve. Il faisait aussi avancer son armée vers l'ouest, jusqu'en dessous de Kigali, sur l'axe principal qui menait à la capitale. » Je ferme la parenthèse… ou, plutôt, les guillemets.

Question, Général : Est-ce que vous avez discuté avec Paul Kagame des plans de la guerre ?

R. Ma carte n'avait absolument aucune inscription dessus — comme c'est la procédure normale d'un commandant de ne pas faire marquer sa carte, mais de l’avoir à l’esprit, au cas où elle « tombait » entre de mauvaises mains pendant qu’il se déplace sur le champ de bataille.

Deuxièmement, ce que j'ai décrit à cet endroit, c'est ce que Kagame faisait. J'ai dit ce que j'ai vu de lui. Et j'ai mené exactement les mêmes activités avec le général Bizimungu, lorsque je l'ai rencontré.

Q. Général, vous continuez dans votre livre en disant — je cite :

« Une fois notre session de travail terminée, il m'a invité à dormir chez lui. Nous nous sommes serré la main avec force et nous nous sommes souhaité les meilleures des choses possibles. Puis on m'a escorté pour sortir de son bureau. » Je ferme les guillemets.

Général, une question : D'après votre compréhension, quelles pouvaient être les meilleures choses possibles pour Paul Kagame à ce moment-là ?

R. Je ne comprends absolument pas votre question.

Le fait que je sois resté à Mulindi était une mesure de sécurité, parce que je ne voulais pas franchir les lignes de batailles la nuit.

Et, deuxièmement, le fait que j'ai serré vigoureusement sa main était une pratique normale que je faisais avec toute autre personne. Et ce n'était pas chez lui, c'était dans un bungalow qui était à côté du quartier général et des résidences du personnel.

Q. Merci pour les précisions, mon Général…


M. BÂ :
Maître Segatwa…


L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Votre micro…


M. BÂ :
Je signalerai simplement que l’original du livre, c'est l'anglais. Si vous pouvez de temps en temps, également, vous référer aux passages anglais, parce qu'il y a certains passages dans la version française qui sont assez mal traduits. Ça, je le porte à votre connaissance.


Me SEGATWA :
Monsieur le Procureur, il appartient au général Dallaire de dire que la traduction a été mal faite !
M. BÂ :
J'attire simplement votre attention sur le fait que l'original du livre, c’est l’anglais !
Me SEGATWA :
Je vous en remercie…

Q. Général, vous dites qu'il était normal, pour la sécurité, de rester à Mulindi. Et je comprends.

Mais ce que je ne comprends pas, c'est que vous continuez en disant — je cite :

« Le lendemain, à Arusha, les diplomates feraient leur numéro, mais le sort en était déjà jeté. »

Et c'est vous qui dites cela, Mon général. Est-ce vrai ?

R. Oui.

Q. Est-ce que par là, Général, vous vouliez dire ou vous voulez dire que les forces du FPR se préparaient à la prise de Kigali, pendant que le Gouvernement se préparait à la rencontre avec le FPR à Arusha ?

R. Non. Ce que je disais, c'est que, en fait, Kigali était déjà encerclé et que les opérations que j'ai décrites plus haut étaient, en fait... s'inscrivaient, en fait, dans les offensives du FPR, dont Kigali était le principal objectif, et que l’opération était pleinement lancée.

Et il était normal pour moi de discuter des questions, tout au moins sur la carte, en vue de m'imprégner de ce qui allait se passer sur le terrain.

Et la situation humanitaire exigeait que je sache où se trouvaient les lignes de batailles, afin que je puisse aider les efforts humanitaires ; aussi pour avoir une meilleure idée de la situation humanitaire des déplacés, des réfugiés, des poches des personnes isolées.

Q. Je comprends très bien, Général.

Mais encore une fois, ce que je ne comprends pas, c’est que vous dites — je cite encore de nouveau :

« Au cours de notre entretien, j'ai demandé à Kagame pourquoi il ne sautait pas directement à la gorge de ses ennemis ? »

Question, Général : Probablement que « sauter à la gorge de ses ennemis » est un terme militaire ; est-ce que vous pouvez, pour nous les civils, nous dire ce que vous entendiez par cela ?

R. Oui. Dans les opérations précédentes, le FPR avait réussi à s'approcher de Kigali en un laps de temps très court en fait, en deux semaines. Nous étions déjà à plus de deux semaines dans la guerre civile… Il y avait des opérations en cours dans les alentours de la capitale, c'est-à-dire à l'est et au sud-est en avançant vers l'ouest. Il y avait donc un enveloppement progressif de la capitale. Et il me semblait que pour lui, au plan opérationnel, s'il voulait réussir ses opérations dans le laps de temps le plus court et s'il voulait sauver le plus grand nombre de personnes — ce qui était la raison pour laquelle ils ont dit qu’ils ont commencé cette guerre, pour arrêter l'exode continu à partir de
Kigali —, il devaient mener une opération d'envergure contre la capitale, faisant ainsi tomber la capitale.

Et, à mon estimation, cela allait automatiquement faire arrêter la guerre.

Q. Donc, Général, si j'ai bien compris, vous étiez d'accord avec ce scénario militaire.

R. Pas du tout ! Je n'avais pas à être d'accord ou non ! Je me contentais de m'enquérir de sa conception des opérations, tout au moins de savoir ce qui se passait, pour que je puisse continuer ma tâche, c'est-à-dire mettre en place un cessez-le-feu. Je ne peux négocier les cessez-le-feu si je ne sais où ils en sont, ce qu’ils font, ou quelle est la nature des opérations.
Q. Mais, Général, si j'ai bien compris votre livre, c'est vous qui dites :

« Au cours de notre entretien, j'ai demandé à Kagame pourquoi il ne sautait pas directement à la gorge de ses ennemis ? »

Donc, vous lui disiez : Mais pourquoi vous retardez l'assaut sur Kigali ? Est-ce que j'ai bien compris ?

R. Oui.

Q. Merci, Général.

Et vous continuez dans votre livre en disant — je cite :

« J'ai retrouvé mes officiers en train de boire un verre dans une petite cantine située à l'intérieur du camp. Pasteur Bizimungu (qui, après la victoire du FPR, deviendrait le Président de la République du Rwanda) — je ferme la parenthèse — était là avec quelques politiciens que… Je me suis assis à côté de lui, près de la cantine, alors que mes hommes et ceux du FPR paraissaient bien s'entendre et passaient un bon moment ensemble, comme seuls des soldats arrivent à le faire. » Je ferme les guillemets.

Question, Mon général : Lorsque vous dites : « Comme seuls des soldats arrivent à le faire », vous faites allusion à qui ? À quel groupe de gens ?

R. Des camarades en uniforme de plusieurs pays ou de différents pays ; ils partagent la même base professionnelle. Et, en cette qualité en tant que telle, j'avais un respect mutuel pour la capacité… cette capacité de collaboration, de coopération qui s'effectuait de part et d'autre, telle que stipulée par notre mandat, pour maintenir une communication de haut niveau entre les ex-belligérants, pour gagner leur confiance et poser des jalons pour un bon accomplissement de notre tâche.

Q. Donc, pour vous, Général, ce n'étaient plus des rebelles, mais c'étaient des vrais soldats qui devaient s'entendre avec les membres de votre force ; est-ce que j'ai bien compris ?

R. Il y a eu un long moment qui s'est déroulé avant cette reconnaissance en tant que telle, avant que le FPR ne soit considéré comme une force rebelle… Selon moi, c'était une force militaire structurée professionnelle, structurée, disciplinée, qui comptait tous les professionnels, tels que l'on pourrait s'attendre à en trouver dans les rangs militaires. Donc, mon idée de cette force était une idée professionnelle et non militaire.

Et dans mon livre, à plusieurs reprises, je parle de cela. Les militaires… La Gendarmerie, les militaires se sont rencontrés à des occasions informelles. Ils ont communiqué, ils se sont tressé… traités les uns les autres de manière très professionnelle. Et cela nous permettait de mieux comprendre la situation. Même si, à des moments, ils pouvaient être des belligérants agressifs ; et à d'autres, ils pouvaient être si fraternels.

Q. Merci, Général.

Et pendant que vous étiez là, vous avez abordé un côté politique.

Et je continue avec votre livre. Vous dites :

« Pendant une heure, Pasteur et moi avons parlé de son passé, de la catastrophe que nous vivions, de Booh-Booh, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, de la communauté internationale et de l'avenir du Rwanda, au cas où le FPR gagnait la guerre. » Je ferme les guillemets.

Général, est-ce que vous pouvez dire, en quelques mots, « de quoi » vous avez dit sur Booh-Booh, sur la communauté internationale et sur l'avenir du Rwanda, au cas où le FPR gagnait la guerre ?

R. Laissez-moi réfléchir. Douze années... plusieurs années qui se sont écoulées ; vous voulez que je revienne sur une discussion, sur quelque chose que j'ai écrit il y a quelques années, au moins cinq.

Autant que je me souvienne, la communauté internationale se posait la question de savoir si la reconnaissance de la situation, relativement au type de structure politique… qui, finalement, dirigerait le pays ; c'était là la question qui se posait. Et le fait que la communauté internationale avait fait montre d'un non désir de s'impliquer ; Monsieur Booh-Booh... la situation dans laquelle le FPR était violent, en ce sens qu'il ne voulait plus négocier avec lui ; ce que l'on pouvait faire sur la question. C'était mon représentant politique, c'était le numéro 1 de la mission également. Et ensuite, si le FPR atteignait son objectif… Car il se battait pour gagner, je ne pense pas que quelqu'un puisse déclencher une guerre et ne pas vouloir la gagner.

Donc, tout cela dans l'arène de la réconciliation… Pasteur Bizimungu était hutu, il opérait dans une organisation à « prédominante » tutsie.

Q. Merci, Général.

Est-ce que vous avez été au Rwanda, en 2004 ?

R. J'y ai été en avril, pour le dixième anniversaire — le mémorial du génocide, en d'autres termes.

Q. Général, est-ce que vous savez ce qu'est devenu Bizimungu qui devait être le Président de la République à la victoire du FPR ?

R. Vous voudrez bien reformuler votre question ? Si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question.

Q. Général, je voulais vous demander…


M. BÂ :
Maître Segatwa... Maître Segatwa...


Me SEGATWA :

Q. Général, je vous demandais si vous saviez ce qu'est devenu, aujourd’hui, Bizimungu que vous aviez rencontré à Mulindi, en ce moment-là ?

R. Je me fie aux journaux. Il a été Président un laps de temps. Il a été reconnu coupable de fraude, si je ne m'abuse, je pense même qu'il a été incarcéré. Je n'en suis pas sûr, cependant.

Q. Est-ce que, lors de votre visite au Rwanda, vous n'avez pas cherché à connaître de ses nouvelles ?

R. Je n'ai pas cherché à savoir ce qu'il est advenu de beaucoup de personnes, lui et d'autres personnes. J'y suis allé dans le cadre d'un pèlerinage personnel. Je me suis rendu aux différents endroits où s'était produit le génocide pour prendre part au mémorial du génocide. Et essentiellement pour cela. Et après, je suis rentré chez moi.

Q. Général, je vais vous demander une question qui tient à votre intime conviction : Est-ce que, si vous aviez su que Pasteur Bizimungu était incarcéré, est-ce que vous « alliez » aller le visiter en prison pour évoquer avec lui son passé et l'avenir du Rwanda, après la victoire du FPR ?

R. J'étais au Rwanda. En tant que civil canadien, je n'avais aucun pouvoir, aucune autorité pour m'ingérer dans les affaires internes du Gouvernement rwandais, du système judiciaire. J'étais affecté par le fait qu'il n'était plus président, mais je ne pouvais aucunement aller dans un point quelconque.

Essayer de savoir ce qui s’était… ce qu'il était advenu du Pasteur Bizimungu, Twagiramungu et d'autres personnes, non ! J'étais là en tant que civil, prenant part aux cérémonies et essayant de faire le deuil et d'oublier ce passé douloureux.


M. LE PRÉSIDENT :
Ces éléments sont-ils pertinents pour votre cause, Maître ?


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, est-ce que je peux demander votre patience ? Je vais terminer, Monsieur le Président ; je crois que dans quinze minutes, j'aurai terminé, si vous prenez patience.

Q. Général, revenons sur votre livre, à la page 414, vers la fin de la page. Vous dites qu'après la journée, Pasteur Bizimungu vous a conduit à la chambre des invités — et nous sommes toujours au quartier général de Paul Kagame — et vous dites, d'une façon très romantique — je cite :

« Le lit militaire était fait avec des draps blancs et un superbe oreiller, le tout sous une moustiquaire. Puis je me suis couché, me sentant un peu coupable en pensant à mes soldats, à Brent, à Kigali, mais j'étais vraiment au comble de la joie, à cause de l'odeur des draps propres, de la chaleur de la couverture et du repas convenable que j'avais mangé. Et je me suis endormi, cette nuit-là, dans ce qui m'a semblé être un bref moment de paradis terrestre. » Je ferme les guillemets.

Général, est-ce que vous sentez encore cette sensation de paradis terrestre passé à Mulindi ?

R. À l'époque, je dormais sur le plancher de mon bureau depuis le 7 avril ; n'ayant pas pu regagner mon bungalow, je dormais avec un rideau de mon bureau, ainsi qu'une couverture. Je vivais avec beaucoup d'autres personnes, entouré des sons de la guerre, de la poudre, de la putréfaction des cadavres. Et là, je me trouvais sur le sommet d'une colline — ce que j'appelle le paradis sur terre —, le Rwanda sous les arbres, toutes ces belles odeurs, et ces draps propres ; pour un simple soldat, c'était véritablement le paradis sur terre.

Q. Merci, Général.

Ma question suivante est celle de savoir si vous n'avez jamais été aussi heureux du côté des FAR ? Et si vous avez passé une seule nuit au camp… au quartier général des FAR ?

R. Je n'allais pas le faire, j'avais mon propre quartier général.

Et la seule nuit où j'ai eu un appui particulier des Forces armées rwandaises, c'était la première nuit, lorsque le général Ndindiliyimana m'a fourni son escorte.

Je n'avais pas besoin de le faire.

Et, dans tous les cas, son quartier général était au beau milieu de la guerre.

Q. Général, je prends encore votre livre à la page 306 — toujours la version française — et à la page 309 du même livre. C'était au lendemain de l'attentat, je pense, du Président… de l'avion du Président de la République, Juvénal Habyarimana.

Je lis à la page 36 (sic), c'est l'avant-dernier paragraphe...


M. BÂ :
Vous avez dit « 66 » ?


Me SEGATWA :
Non. « 306 », l’avant-dernier paragraphe, au milieu ou vers la fin :

« Je possédais toujours un mandat, puisque le FPR continuait de suivre les termes des Accords. Seules les unités délinquantes de l'armée gouvernementale rwandaise les transgressaient. »

Q. Est-ce que ce traitement que vous faites des Forces armées rwandaises n'était pas injuste, par rapport à ce que vous aviez réservé au FPR ?

R. Je ne vois pas absolument pas le moindre lien entre l'un et l'autre.

Le FPR, à l'époque, n'avait pas encore franchi les limites du CND ; je n'avais aucune information qu'ils avaient franchi la limite de la zone démilitarisée. Donc, Ils étaient encore dans les limites de l'Accord de paix. Et ce sont uniquement les FAR, pour autant que je me rappelle, qui violaient ces Accords… ces restrictions.


Me BLACK :
Je dois intervenir. Je suis désolé, Monsieur le Président.

Je sais que je ne me sens pas très bien, mais je ne pense pas que j'ai des hallucinations !

J'ai l'impression que je suis assis du côté du Procureur parce que, une fois de plus, toute cette ligne de questionnement a eu pour objet d'appuyer, de soutenir le général Dallaire, et ses qualités professionnelles, contre tous les éléments de preuve. Et de décrire le FPR comme le paradis sur terre, tandis que les FAR sont quelque chose de très différent… Je n'arrive pas à comprendre comment un Conseil de la défense peut poser des questions qui ont pour objectif d’aider le général Dallaire et de décrire sa version des événements de manière à aider le Procureur ; en essayant, donc, de désarmer Maître Mac Donald et moi-même.

Je suis extrêmement préoccupé par cette stratégie continue de mon éminent confrère de ma gauche. J'y fais objection. Cette ligne porte préjudice à la ligne de défense de mon client.

Et, comme je l'ai dit hier, cette stratégie, du moins son effet, est d’aider le général Dallaire, ainsi que le Procureur, et pourrait m’obliger à demander la disjonction de mon affaire devant ce Tribunal. Je sais que ce sera très difficile et, « probant », vous allez rejeter cette requête puisque vous êtes en stratégie de fin de mandat.

Alors, que vais-je faire ? Qu'est-ce que le général Ndindiliyimana va faire ? Qu’est-ce que le général Bizimungu doit faire ? Lorsqu'il a devant lui un Conseil de la défense qui est engagé dans une stratégie qui ne l'aide pas mais, en fait, aide l'adversaire. Je ne sais pas quoi faire !

Mais je dois dire que… je crois que cela est contre toute déontologie. Selon le code de déontologie, le Règlement de procédure et de preuve que nous devons suivre, cela n'aide pas son client, cela porte préjudice aux autres clients, certainement à mon client et au général Bizimungu. Et je ne sais pas pourquoi cela continue, cela n'est pas juste.

Nous continuons de jouer le jeu, nous sommes ici pour faire notre travail, pour protéger notre client. Et cela n'est pas la réalité, ce n’est pas ce qui est en train de se passer. Je ne sais pas pourquoi Maître Segatwa « ou » Monsieur Sagahutu ont adopté cette ligne de questionnement, mais l’effet est extrêmement préjudiciable aux autres Accusés. Et je ne sais pas pourquoi nous devons le supporter. Il doit y avoir une solution.

Je ne sais pas laquelle, Monsieur le Président, mais je vais devoir consulter mon client et décider de ce que je devrais faire, car je ne peux pas continuer deux années de plus avec ce type de manœuvre en cours qui se fait derrière… en coulisse… qui est fait en coulisse. Et je ne peux pas accepter que « c'est » la manière efficace de défendre son client. Tout le monde sait ce qui est train de se faire !


Me SEGATWA :
Monsieur le Président…


L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro ! Micro !


Me SEGATWA :
Monsieur le Président, le problème de mon confrère, Maître Black, c'est qu’il n’est pas patient ! C’est qu'il n'attend pas que je termine mon idée. Et s'il était patient, il verrait où je mène mon contre-interrogatoire. Qu'il attende pendant cinq minutes et il va voir si je suis d'accord avec le Procureur. Je pense que nous devons être patient et aucun de nous ne peut dicter la ligne de conduite d'un autre.

Il défend un client, je défends le mien. Qu’il soit patient !

Et en interrompant justement ce cours d'interrogatoire, il interrompt justement le lien des idées qui auraient pu peut-être le servir aussi.

Et de toute façon, il aura son temps, il va redresser si jamais « j'aurais » commis des erreurs. Mais permettez-moi de continuer, je n’en aurai pas pour dix minutes.

Q. Monsieur le Président… Je m’excuse ! Général Dallaire, lorsque vous êtes…


Me BLACK :
Je suis désolé, Maître Segatwa, et désolé, Monsieur le Président.

Mon rôle ici est de défendre mon client. Je ne peux pas défendre mon client lorsque mon client est attaqué par un Conseil de la défense qui est du côté de la Défense (sic). Je n'ai pas l'intention de jouer ce genre de jeu.

En boxe, il y a un terme : « Plonger » — donner l'impression que vous combattez l'adversaire alors que vous ne le faites pas réellement — et je ne voudrais pas l'accuser de « plonger ». Je ne sais pas pourquoi il fait cela ! Mais l’effet — et c’est l’effet… Et le préjudice aux intérêts de mon client est plutôt grave.

Monsieur le Président, vous n'allez me donner qu'un jour complet pour contre-interroger le général Dallaire. À cause de cela, j'allais m'engager dans une certaine ligne de questionnement qui n'allait pas prendre un jour, parce que je pensais que le général allait… je ne croyais pas qu'il allait dire tout ce que j'entends. Mais voilà le Conseil, à ma gauche, qui soulève toutes sortes de questions qui aident le Procureur et donnent une bonne image du général Dallaire. Mais je n'ai pas assez de temps pour contre-attaquer et neutraliser cet effet.

Je voudrais qu'il soit consigné au PV que quelque chose est en train de se passer. Je ne sais pas qui l’arrange, mais tout cela est préjudiciable aux intérêts de mon client. Une fois de plus, je ne vois pas comment on peut continuer avec un procès joint.

(Pages 1 à 24 prises et transcrites par Françoise Quentin, s. o.)


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, vous devez, également, vous rendre compte que les autres Conseils ont aussi les intérêts de leur client à cœur. Eux aussi sont des juristes hors pair qui peuvent juger ce qu'ils font pour les bénéfices de leur client ; je ne peux dire... pas dire « Ne faites pas ceci, ne faites pas cela ».

Par exemple, hier, je suis intervenu juste pour dire que : « Voilà les charges qui sont retenues contre votre client, essayez de limiter votre argumentaire à ces charges. » En dehors de cela, en tant que Conseil, il est habilité à poser au... au témoin des questions, tout cela, donc… ce, pendant l'interrogatoire.


Me BLACK :
Je conviens qu'il a le droit de défendre les intérêts de son client, mais ce n'est pas ce qui vient de se passer.

Maître Taku a fait un très bon travail, hier, en défendant à la fois le capitaine Sagahutu et le major Nzuwonemeye, mais... mais la ligne de questionnement actuelle n'a pour seul objectif que de nuire aux intérêts du général Ndindiliyimana et... parce que ce que le général Dallaire a dit sur mon client et ses rapports avec lui, eh bien, par rapport à tout cela, ce que dit Maître Sagahutu (sic) est très préjudiciable.

Je sais que vous ne pouvez pas prescrire à Maître Sagahutu (sic) ce qu'il doit faire, mais je voulais faire inscrire au procès-verbal que ce qui se passe dans cette salle est très étrange.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Segatwa ?

Si vous n'allez encore prendre que quelques minutes pour en finir, alors faites.


Me SEGATWA :
S'il ne m'avait pas interrompu, je crois que j'aurais déjà terminé. Je m'imagine de toute façon que, du côté d'un Conseil, il y a un minimum de patience.

Est-ce que je peux continuer, Monsieur le Président ?

(Signe affirmatif de la part du Président)

Q. Général Dallaire, si vous m'entendez, lorsque vous êtes entré...

M. DALLAIRE :
R. Oui.

Q. Lorsque vous êtes entré dans la salle de l'ESM, où vous avez trouvé des officiers en réunion, est-ce que vous avez été bien accueilli ?

R. Oui.

Q. Pourquoi, alors, Général, vous dites dans votre livre, à la page 309 — je cite : « Somme toute, cependant, l'assemblée n'était pas vraiment sympathique » ?

R. Tout simplement, car le... le colonel Bagosora s'est arrêté, il est venu à ma rencontre, il m'a serré la main — et j'en passe —, mais dans l'assemblée, il y avait une réaction qui n'était pas une réaction de bienvenue, qui ne reflétait pas forcément une ambiance positive. Même si le colonel Bagosora a été très poli, je l'interrompais dans ce qu'il faisait. Et ensuite, l'on m'a désigné mon siège, et les débats se sont poursuivis. C'est là l'impression que j'ai eue.

Q. Général, vous avez parlé de Monsieur Booh-Booh. Je ne dis pas à cette séance, mais vous avez...

Je voulais vous poser une question que tout le monde connaît... que tout le monde connaît : Est-ce que vous connaissez Monsieur Booh-Booh ?

R. Je le connais d'un point de vue professionnel, sur la base des rencontres professionnelles que nous avons eues et un certain nombre de discussions que nous avons eues.

Et une fois, il m'a décrit, dans les détails, une industrie... une industrie de la banane au Cameroun
— je crois —, et il en était loin, et c'était la source de préoccupation pour lui. Il a été le « prochain » ambassadeur auprès des Nations Unies. Il m'a dit qu'il connaissait le Secrétaire général Boutros-Ghali. Il m'a parlé, également, de l'époque où il était Ministre des affaires étrangères.

Je ne connais pas tous les détails sur sa famille. Il s'agissait plutôt de discussions informelles, et cela, à deux ou trois reprises... ou occasions.

Q. Oui. Est-ce que je me trompe si je dis qu'il était le chef de la Mission ?

R. À son arrivée dans la zone de la Mission, je... je lui ai détaché ma responsabilité de chef de mission. Il n'a jamais assumé ce rôle, jusqu'au moment où il a quitté la zone. Je ne m'en... Je ne me souviens pas de la date ; ça devait être certainement au mois de mai.

Q. Mais pendant qu'il était chef de mission, c'était quand même votre chef ?

R. Cela ne fait aucun doute et cela était indéniable.

Q. Général, est-ce que vous avez lit... vous avez, plutôt, lu le dossier de Booh-Booh...

Non, excusez-moi, je crois que je confonds les choses. Est-ce que vous avez lu le livre de Booh-Booh, qui s'intitule Le patron de Dallaire parle ?

R. Non, j'en ai vu ou lu des extraits ; je n'ai, cependant, pas lu l'ouvrage dans sa totalité.

Q. Est-ce que, parmi ces extraits, vous avez pu lire l'entête du chapitre 10, où il dit — je cite : « Dallaire s’allie au FPR contre la paix » ?

R. Je ne me souviens pas avoir lu quelque chose qui ressemblerait à ce que vous venez de dire.

Q. Je vous invite, Général, à lire ce livre.

Mais est-ce que l'attitude que vous aviez vis-à-vis du FPR, qui vous amenait au paradis, et l'attitude que vous aviez envers l'armée gouvernementale n'étaient pas, à votre avis, partisanes ?

R. Non.

Q. Comment vous dites « non », Général, quand pour les uns, vous les traitez de vrais soldats, et pour les autres, non ? Et lorsque Dallaire (sic) dit que vous vous êtes allié aux premiers pour aller contre la paix, comment vous expliquez cela ? Oui, c'est ce que Booh-Booh dit — que vous vous alliiez avec le FPR, contre la paix.

R. Monsieur Booh-Booh dit... peut dire tout ce qu'il a envie de dire, c'est la prérogative que lui octroie sa qualité de citoyen libre de son pays. Nous n'avons pas parlé, dans les détails, des capacités des forces gouvernementales. Et en tant que tel, vous pouvez dire que j'ai traité l'un d'armée professionnelle et l'autre d'autre chose. Si vous voulez discuter des capacités professionnelles des forces gouvernementales, nous pourrions le faire et en conclure avec la question.

Q. Général, lors de vos dépositions dans l'affaire Akayezu, vous avez, vous-même, dit que le Gouvernement intérimaire vous attaquait « pour » être des alliés du FPR ; et il donnait comme exemple que chaque fois que la MINUAR arrivait quelque part, le FPR y arrivait quelque deux, trois ou cinq jours après. Qu'en pensez-vous, Général ?

R. Si vous avez lu tout le livre — si tel est le cas —, vous verriez que j'ai dit que du fait… que je courais après le Gouvernement et ses autorités ; alors, ils bougeaient ci et là, ils se retiraient, j'allais les rencontrer ; et la « prochaine » fois que je voulais les rencontrer, ils n'étaient plus là, car ils voulaient arrêter l'avancée du FPR ; et ils n'avaient pas eu la capacité de ce faire.

Il est facile d'extrapoler et de dire qu'en fait — je me souviens... si je me souviens bien —, l'élément de reconnaissance du FPR… Lorsque vous êtes du côté des perdants, vous essayez de vous raccrocher à n'importe quoi pour essayer d'excuser le manque de professionnalisme dans les opérations à l'époque.

C'est l'analyse que je fais de la situation, à ce jour.

Q. Général, je voulais terminer en vous posant une question que je me pose toujours : Vous êtes entouré de beaucoup d'égard de la part de la communauté internationale et, également, de la part de votre Nation. Est-ce que cela est dû à votre statut de général... de général en retraite, à votre statut de sénateur ou au fait que vous avez réussi votre mission au Rwanda ?

R. L'appui dont je bénéficie est un appui que « je m'attends à être reçu » par tout officier « en active » ou à la retraite, de la part de la communauté internationale. Je pense que c'est de cette manière que notre pays est établi.

Q. Je termine cependant, Général, en rappelant une lettre de Kouchner qui disait que, avec les capacités que vous aviez, vous auriez pu arrêter les massacres en quelques jours. Qu'est-ce que vous en dites, Général ?

R. J'y réponds que lorsque Monsieur Kouchner accèdera au grade de général, il me donnera son évaluation militaire. En attendant cela, nous avons fait ce que nous avons fait, et je ne vais pas évaluer ses capacités en tant que créateur de Médecins sans frontières ou ses responsabilités autres, telles que politiques.


Me SEGATWA :
Je n'ai plus d'autres questions, Général. Merci.


M. LE PRÉSIDENT :
Je vous remercie.

Nous allons observer une pause de 30 minutes.

L'audience est suspendue pour 30 minutes.

Général, vous pouvez prendre une tasse de thé.

(Suspension de l'audience : 15 h 15)

(Reprise de l’audience : 15 h 50)


Me BLACK :
Monsieur le Président, il y a une courtoisie que je n'ai pas rendue. J'ai un nouvel assistant juridique depuis hier soir, Louis Paul Nsengiyumva. Je ne l'ai pas présenté, et je suis désolé que je ne l'aie pas fait avant.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Mac Donald, vous pouvez commencer.


Me MAC DONALD :
Je vous remercie, Monsieur le Président.

Comme vous le savez, j'ai demandé l'autorisation de passer en dernier.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


Me MAC DONALD :
Je ne passe pas en dernier, mais je ne vais pas en faire un plat.
Pour que je puisse évaluer le plan de mes questions au général Dallaire, je voudrais savoir si vous allez m'autoriser à contre-interroger, peut-être, le 5, lorsque nous reviendrons, pour que j'aie le temps de récapituler mes questions. Lorsque vous avez accordé au moins deux demi-journées et, peut-être, il me faut environ une heure ou deux…


M. LE PRÉSIDENT :
Nous avons aujourd'hui, demain et mardi — pleine journée —, donc le 5 ; donc, vous pourrez avoir les deux jours suivants.


Me BLACK :
J'ai discuté avec mon client, je ne peux pas faire une promesse, mais il est possible… peut-être, si je pourrais faire le contre-interrogatoire suffisant pour mon client, ensuite, je pourrais, peut-être, lui donner quelques heures, mais ça dépendra.


M. LE PRÉSIDENT :
Vous pouvez toujours vous organiser entre vous pour répartir le temps entre vous deux.


Me MAC DONALD :
Merci, Monsieur le Président.

S'agissant des questions d'intendance, ma stagiaire juridique est en train de terminer la structure des différents documents. Nous aurons besoin de 5 ou 10 minutes.

Ce que je suggère, c'est que je commence avec le général Dallaire. Malheureusement, ma stagiaire devra fournir ces documents à mesure que nous progressons, si cela ne rencontre pas le désaccord de la Chambre.

CONTRE-INTERROGATOIRE

PAR Me MAC DONALD :
Général Dallaire, bonjour.

Q. Pour venir, brièvement, sur l'extrait qu'on vous a montré il y a quelques minutes qui est une entrevue que vous avez accordée à... aux journalistes — je pense que c’est Jean-François Lépine, à l’émission Le point —, on s'entend, Général, que c'est une… une entrevue qui aurait été donnée
le 14 septembre 1994 ; est-ce que c'est exact ?

M. DALLAIRE :
R. Je me rappelle relativement près de mon retour, oui.

Q. Et si je comprends bien, à ce moment-là, vous étiez toujours membre des Forces armées canadiennes ; c'est exact ?

R. À l'époque, j'étais commandant adjoint de l'armée canadienne.

Q. Et vous avez fait état dans... réponse que vous avez fournie à Maître Segatwa... à Maître Taku plutôt, que… je comprends que votre mandat au Rwanda n'avait pas été renouvelé. La question que je vous pose, c’est : Est-ce que c'est suite à votre demande ou c'est suite à certaines pressions, par exemple, que les Nations Unies auraient subies en rapport avec votre présence au Rwanda ?

R. Je n'ai pas eu des pressions d'un pays pour que je quitte, mais la décision que j'ai prise — demander à être relevé de mes fonctions — avait trait à ma capacité, à l'époque, de continuer à exercer le commandement. J'ai estimé que je faisais courir un risque à la Mission.

Q. Et comment s'est effectuée cette demande là, Général ? Est-ce que c'est une demande… J’imagine que si c’est à votre demande à vous, c’est une demande formelle, demande écrite auprès des Forces armées canadiennes ; est-ce que c'est exact ?

R. Cela est... Je suis passé par deux canaux : Le premier canal était une demande orale faite au général Baril, l'informant que j'estimais que je n'étais plus en mesure d'exercer le commandement ; et cela a été suivi par une lettre officielle adressée au chef d'état-major de la défense canadienne, lui demandant que je sois libéré de mon commandement. Et je me rappelle que, dans cette lettre, j'ai indiqué que mon adjoint pouvait reprendre le commandement.

Q. Maintenant, pouvez-vous nous dire, Général, à partir de quand avez-vous commencé à remettre en question, finalement, vos capacités, en tant que commandant de la force ? Je suppose que ça ne s’est pas fait du jour au lendemain ; alors, quand — si vous pouvez nous situer dans le temps ?

R. Mon esprit a commencé à changer considérablement après l’installation du Gouvernement qui est encore en place, aujourd'hui, au Rwanda. Étant donné les... Étant donné que la tension du conflit avait cessé, il y avait encore beaucoup de tensions avec le FPR et la zone de protection humanitaire au sud, il y avait d’énormes frictions qui venaient des groupes administratifs — des gangs qui refaisaient surface —, et il y avait, également, une mission qu'on essayait de remettre en place, et étant donné la mauvaise volonté de la communauté internationale à nous fournir du matériel et du personnel, tout cela m’a affecté au point que je suis devenu impatient, intolérant, manquant d'objectivité et je n'arrivais plus à dormir ou à manger correctement.

Et cette attitude… Et ce moral mauvais que j'avais créait des incertitudes et a progressé au point que je me suis rendu compte que je ne pouvais plus commander. Il y a eu, également, un incident au cours duquel je me suis servi de mon pistolet, ce qui n'était pas approprié. Et cela, donc, mettait en danger le personnel. Il est donc devenu essentiel qu'une décision soit prise.


M. LE PRÉSIDENT :
Général, adoptez un débit lent, les interprètes ont du mal à vous suivre.


Me MAC DONALD :

Q. Ma question, Général, c’était d’abord un aperçu dans le temps, non pas les circonstances qui vous ont incité à faire cette demande-là, mais dans le temps. Pouvez-vous nous indiquer, dans le temps, quand avez-vous commencé à douter de vos capacités ? Une date, si vous pouvez.

R. Je n'ai pas de date, mais j'ai une période : Dans la dernière moitié du mois de juillet — oui, dernière moitié de juillet.

Q. Maintenant, dans le cadre de la préparation de votre témoignage, je suppose, Général, qu'on vous a... on vous a remis votre… ou vos dépositions dans Militaires I de même que dans Akayezu ; c'est exact ?

R. Voulez-vous répéter la question ?

Q. Certainement. Dans le cadre de la préparation de votre témoignage, ici, dans ce procès, je suppose qu'on vous a remis vos dépositions faites dans Militaires I de même que dans le procès d’Akayezu ; est-ce que c'est exact ?

R. J'ai fait ma déposition comme je le fais ici, aujourd'hui.


M. LE PRÉSIDENT :
Avez-vous lu ces dépositions avant de commencer votre déposition ici ? C'est le sens de la question.


M. DALLAIRE:
Non, je n'ai pas lu les procès-verbaux, même s'ils m'ont été communiqués. Mais je ne les ai pas lus.


Me MAC DONALD :

Q. On vous a également parlé, je suppose, du témoignage de votre mission information officer, le capitaine… (inaudible) Franck Claeys ; c'est exact ?

R. Je n'ai lu aucune transcription de sa déposition, celle de Claeys ; j'en ai connaissance, mais je n'ai aucune connaissance spécifique qui émanerait de ma connaissance des transcriptions.

Q. On vous a lu certains extraits, par exemple, du témoignage du major… du capitaine Claeys et également de Madame Alison Des Forges ; c'est exact ? Que vous ayez, vous-même, lu les transcripts ou non, c'est pas important. Ce que je vous suggère, c'est : Dans la préparation de votre témoignage, on vous a fait part d'extraits de témoignages de ces gens-là — Claeys, notamment, et Madame Des Forges ; c'est exact ?

R. Vous vous impatientez, et vous allez très vite. Je ne suis pas en mesure de comprendre votre question.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Mac Donald, il semblerait qu'il y ait des coupures lorsque vous posez votre question.

Reprenez-la, s'il vous plaît.


Me MAC DONALD :

Q. (Début de l'intervention inaudible)... de la préparation de votre témoignage dans ce procès-ci, ce que je vous suggère, c'est qu'on vous a fait part d'extraits de témoignages notamment du capitaine Claeys — Franck Claeys —, du major Beardsley et du témoignage également de Madame Alison Des Forges, qui a témoigné dans ce procès-ci également ; alors, c'est exact ?

R. Je n'ai pas connaissance de ces dépositions. Et si l'on se rappelle bien, ma volonté de déposer en l’espèce était conditionnée par le fait que je n'avais pas eu suffisamment de temps pour me préparer pour ma déposition. La Chambre a imposé ce temps, car elle avait des contraintes de temps, et je me suis préparé autant que je le pouvais.

Q. Mais je vous suggère, Général, que vous avez été approché en 2005… depuis 2005 que vous savez que vous allez témoigner dans ce procès-ci, n'est-ce pas ?

R. L'on m'a informé que, très certainement, nous serions contactés. La réponse que nous avons donnée, que je ne me sentais pas capable, mon équipe médicale, non plus, ne pensait pas que j'étais en mesure de déposer en direct. Et l'on s’est même posé la question de savoir si je pouvais témoigner. Et j'ai continué à attendre la décision qui pourrait émaner de la Chambre.

Q. Alors, en aucun temps, dans le cadre de la préparation de votre témoignage dans ce procès-ci, on ne vous ait parlé… qu’on ne vous ait parlé d'aucune façon, directement ou indirectement, par exemple, « sur les » dépositions du major Beardsley ou encore des dépositions de Madame Des Forges ; c'est ce que je comprends ?

R. J'ai entendu parler de la déposition ou les dépositions d'Alison Des Forges, même si je n'en connais aucune ; à moins que je ne m'abuse, le major Brent Beardsley n'a pas comparu par-devant cette Chambre. Le fait de savoir si Claeys a déposé ici ou non, je sais qu'il l'a déjà fait auparavant.

Q. (Début de l'intervention inaudible)... ouvrage de Abdul Ruzibiza intitulé Rwanda, l'histoire secrète ?

R. Non.

Q. Vous avez certainement entendu parler de cet ouvrage-là, n’est-ce pas ?

R. Oui, j'en ai entendu parler, j'ai même achevé le livre, même si je ne l'ai pas lu.

Q. Est-ce que je pourrais vous demander pourquoi ? Je comprends que vous êtes un homme occupé, Général Dallaire, mais j'imagine que vous connaissez un peu le contenu...

R. Pour la raison simple suivante : Le Rwanda... La raison en est que l'expérience rwandaise remonte à plusieurs années. J'ai essayé de me maintenir informé de la situation. J'avais, moi-même, mes écrits. Et il y a 20, voire 25 livres de toute nature qui ont été écrits sur le Rwanda. Je suis quelque peu occupé à d'autres fonctions, y compris la recherche que je mène.

Q. Vous conviendrez avec moi, Général Dallaire, que dans l'hypothèse où, effectivement, vous ne l'avez pas lu, ce livre-là d’Abdul Ruzibiza, vous connaissez quand même le contenu ; enfin, vous savez que Ruzibiza, qui est un ancien membre du network commando du FPR, parle en détail de certains événements que je pourrais qualifier de très importants, notamment le... l'assassinat du Président Habyarimana ; vous êtes au courant de ça, qu'il fait état, dans cet ouvrage-là, des tenants et aboutissants de cet assassinat-là ?

R. Si vous ne m'aviez pas rappelé qu'il était membre du commandant (sic) FPR, je ne m'en souvenais pas. Tout ce dont je me souviens, c'est le titre. Et pour vous dire la vérité, je n'ai aucune idée, quant au contenu de ce livre.

Q. Mon collègue, Maître Segatwa, vous a parlé également du livre de Jacques-Roger Booh-Booh intitulé Le patron de Dallaire parle, révélations sur les dérives d'un général de l'ONU au Rwanda. Et je comprends que vous... ce que vous dites, vous, c’est que vous avez lu certains extraits de ce livre-là. Premièrement, est-ce que c'est un livre que vous avez en votre possession, Général ?

R. Oui. Je l'ai acheté, il est dans ma bibliothèque. J'en ai lu quelques extraits, je n'ai pas lu tout le livre. Je n'ai pas lu non plus les 20 autres livres qui ont été produits depuis 1994 sur le Rwanda.

Q. Avez-vous lu ou vous a-t-on fait part du rapport de Bernard Lugan qui a été déposé la semaine dernière, je pense, dans le procès Militaires I, « oui » ou « non » ?

R. Je ne sais rien de cette personne. Le nom ne me dit absolument rien.

Q. Avez-vous lu ou vous a-t-on fait part du rapport daté du 17 novembre 2006, rapport du juge Bruguière — Jean-Louis Bruguière —, premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris ? Est-ce que… Est-ce qu'on vous a parlé de ce rapport-là depuis sa publication ou l’avez-vous encore lu ?

R. Je sais... J'en sais ce que les journaux canadiens ont écrit sur la question.

Q. (Début de l'intervention inaudible)... en fait, je voulais les conclusions, Général, suite à cette enquête-là qui a été menée par le juge Bruguière, relativement « à les » plaintes portées par les membres des familles de l'équipage du Falcon 50.


M. BÂ :
Maître Mac Donald, est-ce que vous pouvez nous en fournir une copie ?


Me MAC DONALD :
J'étais et je suis persuadé, Maître Bâ, que vous avez non seulement une copie, mais vous avez lu ce rapport-là.


M. BÂ :
Je ne l'ai pas lu, j'ai écouté RFI, j’ai entendu quelques commentaires, un collègue me l'a envoyé dans mon ordinateur, mais je ne l'ai pas lu.

(Rires du côté du Banc de la défense)

Me MAC DONALD :
Mon assistant va vous en fournir une copie, Maître Bâ, mais je vais faire…


M. BÂ :
Merci beaucoup.


Me MAC DONALD :
Je fais référence à trois… en fait, aux conclusions du rapport, Général.

Q. Et c'est à la page 61, et je vous fais grâce, là, des éléments factuels de cette enquête-là. Je vais, peut-être, y revenir en cours de route, mais je vais me contenter, pour l'instant, de vous lire les conclusions.

Alors, une des conclusions :

« Attendu que les responsables du FPR sus-mentionnés, ayant participé à la conception, la planification et la réalisation de l'attentat dans les conditions précisées ci-dessus, sont susceptibles de faire l'objet de poursuites des chefs d'assassinat, de complicité d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, et d'associations de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme. »

Évidemment, cette enquête-là avait été montée et élaborée en rapport, encore une fois, avec l'assassinat du Président Habyarimana le 6 avril 1994.


M. BÂ :
Maître Mac Donald, est-ce que je peux avoir une précision ?

Est-ce que le juge Bruguière a rendu cette ordonnance en sa qualité de vice-président, donc de juge du fond, ou est-ce qu'il l'a fait en sa qualité de juge d'instruction ? Est-ce le juge d'instruction qui parle ou est-ce que c'est une décision d'une Chambre correctionnelle ?


Me MAC DONALD :
J'ai l'impression, Maître Bâ, que peu importe.


M. BÂ :
Ah, non !


Me MAC DONALD :
C'est une commission d'enquête, alors ce sont les conclusions du juge.

Alors, pour vous fournir des précisions, je vais vous donner le rapport ; vous pouvez revenir en
ré-interrogatoire avec le général, mais ce sont les conclusions suite à l'enquête.


M. BÂ :
Merci.


Me MAC DONALD :

Q. Deuxième conclusion, Général Dallaire :

« Mais attendu que Paul Kagame, Président de la République du Rwanda, qui bénéficie, à ce titre, de l’immunité accordée en France aux chefs d'État en exercice, ne peut être poursuivi dans le cadre de cette procédure, qu'il pourrait en revanche faire l'objet de poursuites par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. »

Alors, je vous soumets, Général, que cette conclusion-là est sans équivoque et révèle, sans l'ombre d'un doute, que les éléments factuels recueillis par le juge Bruguière démontrent clairement que Paul Kagame, l'homme que vous avez qualifié comme étant un homme extraordinaire, est derrière l'assassinat du Président Habyarimana.

La question que je vous pose : Seriez-vous, Général, prêt… — dans l'hypothèse où la demande, évidemment, vous était faite — seriez-vous prêt à témoigner en faveur ou en défaveur de Kagame ?

R. Je ne suis pas informé… Je ne suis pas informé du tout du contenu de ce rapport dont vous me parlez, à l'exception de ce que vous venez de me lire. Que ces actions soient entreprises en France par un juge soit, la procédure va suivre son cours. Et au moment opportun, si je suis contacté, alors je prendrai la décision idoine qui s’imposera à ce moment-là.

Q. Êtes-vous surpris, Général Dallaire, des… — je vais le dire en anglais, parce que j'ignore le terme en français — du fact finding du juge Bruguière, à l'effet que, selon lui, Kagame, en fait, est non seulement responsable de l'assassinat du Président Habyarimana, mais également responsable des... du drame... du drame rwandais qui, comme on le sait, a… est la cause directe de cette... (fin de l’intervention inaudible)

R. Au cours des 12 dernières années, j'ai entendu parler des scénarii civils dans le cadre desquels l'abattage de l'avion présidentiel était l'élément-clé ; élément-clé dans la mesure où il a été le déclenchement de l'échec catastrophique au Rwanda. Et j'ai pensé que c'était un scénario qui a fait l'objet d'enquêtes ; donc, laissons les enquêtes suivre leur cours. Je n'ai rien d'autre à dire.

Q. Mais j'ai... Permettez-moi de revenir un peu à Ruzibiza. J'ai un peu de difficulté, Général, à comprendre : Vous réalisez l'impact que l'assassinat d'Habyarimana a eu dans l'histoire rwandaise ; vous avez un individu du nom d'Abdul Ruzibiza qui, encore une fois, est un membre du network commando — qui est un commando spécial formé par Kagame —, et Ruzibiza vient raconter, en détail, la planification et l'exécution de ce plan machiavélique de Kagame, dans un ouvrage que vous avez en votre possession, et j'ai un peu de difficulté à comprendre que vous n'ayez pas pris 5, 10, 15 minutes, une demi-heure pour, du moins, lire cet aspect-là du témoignage de Ruzibiza dans son ouvrage. J'ai un peu de difficulté avec ça, Général.

R. Est-ce une question ?

Q. En fait, si vous pouvez commenter, si vous voulez. Vous avez l'ouvrage en votre possession. Vous... (fin de l'intervention inaudible)

R. Alors, peut-être, pouvez-vous préciser votre position ? J'ai plus de 2 000 ouvrages en ma possession ; je ne les ai pas tous lus. Et je n'ai pas le sentiment que même… tant maintenant que dans l'avenir, que je pourrai les lire tous.

Et s'agissant de votre perspective quant à savoir pourquoi je ne l'ai pas lu, c'est votre position ; vous pouvez l'adopter. Je ne suis pas impliqué dans les activités du Tribunal ou encore dans l'histoire du Rwanda. Je vis avec les conséquences que cela a eu sur moi, mais je suis aussi tenu de mener d'autres activités au Sénat canadien, aussi, en tant que citoyen canadien, dans mes activités familiales et professionnelles ; donc, cela ne rentre pas dans mes priorités actuelles.

Q. Je ne connais pas l'étendue des... de votre bibliothèque personnelle, mais je suis persuadé, Général — et vous en conviendrez avec moi — qu'aucun de ces ouvrages-là n'a comme auteur l'un des participants à l'assassinat d'Habyarimana ; vous êtes d'accord avec moi ?

R. Je ne le sais pas. Qui a dit que ce monsieur dit la vérité dans son livre ? Je n'ai aucun moyen d'évaluer si ce monsieur dit la vérité ou non. N'ayant pas lu le livre, je ne peux pas vous donner une réponse, dans un sens ou dans l'autre.

Q. Mais à plus forte raison, Général, je vous soumets respectueusement : Vous n'avez, effectivement, aucune façon de déterminer la crédibilité ou l'exactitude des propos de Ruzibiza ; mais, justement, peut-être qu'en lisant son livre, vous seriez en mesure de rectifier le tir sur certaines de ses allégations, étant donné que vous-même étiez sur le terrain. Est-ce que ça vous a déjà... Cela vous a-t-il jamais traversé l'esprit ?

R. Et puis, quoi d'autre ? Non, cela ne m'a pas traversé l'esprit, pour être honnête. À part être appelé à comparaître devant ce Tribunal, j'ai participé à tellement d'autres choses. Non, cela ne m'a pas traversé l'esprit de disséquer ce qui s'est passé dans la nuit du 6 au 7. Je vous dis entièrement la vérité. Pendant 12 ans, j'ai passé beaucoup de temps sur ce sujet, mais j'ai également passé du temps sur d'autres choses.


Me MAC DONALD :
Honorables Juges, lorsque Monsieur Bâ faisait l'interrogatoire principal, j'ai préparé mon plan en français, mais peut-être, si cela rentre… l'agrément de la Chambre, je vais devoir, de temps à autre, passer du français à l'anglais. Très bien.

Q. S'agissant de l'ouvrage de Monsieur Booh-Booh, qui était votre patron, au Rwanda, une fois de plus, vous avez dit que vous avez lu des extraits de cet ouvrage, mais puisque nous ne savons pas quels extraits vous avez lus, j'ai bien peur que je devrais lire certains extraits moi-même et, peut-être, voudrez-vous faire des observations sur ces extraits ?

Le premier extrait est à la page 134.

Puis-je demander au représentant du Greffe de distribuer les documents ?

Je pense que Maître Leblanc a une copie pour le général Dallaire. Nous pouvons le faire tout au moins maintenant.

(Le représentant du Greffe s'exécute)

Je voudrais vous dire, Général Dallaire : Je ne voudrais pas que vous le considériez, de quelque manière que ce soit, que c'est une attaque générale ; c'est ce que votre patron a écrit dans son ouvrage, qu'il a publié — je crois —, environ, 10 ans après... plus de 10 ans après les événements.

Donc, je vais lire quelques extraits. Peut-être, à la fin, pourrez-vous commenter sur ce que
Monsieur Booh-Booh a dit.

Premier extrait, page 134… Non, je vais sauter cet extrait, Général, parce qu'il n'est pas vraiment pertinent. Commençons avec la page 137.

Il dit ce qui suit, en français :
« Ainsi, Dallaire ment lorsqu'il prétend, dans son livre, qu'il donnait l'exemple de retenue en matière de relations sexuelles avec les Rwandaises... »


L'INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Voulez-vous lire lentement ? Lorsque vous faites la lecture, allez doucement. C'est plus difficile pour les interprètes.


Me MAC DONALD :
« (Début de l'intervention inaudible)... votre vie nocturne… »


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)


Me MAC DONALD :
« … agitée »


M. LE PRÉSIDENT :
Puisque c'est une version en français, vous pouvez la remettre aux interprètes.


Me MAC DONALD :
Il dit ceci, que : « Son comportement général portait gravement atteinte à la réputation de la Mission que je dirigeais. »


M. LE PRÉSIDENT :
Un instant. Un instant.


Me MAC DONALD :
On prépare une copie pour les interprètes.


M. LE PRÉSIDENT :
Voulez-vous une suspension pour... pour quelques minutes ?


Me MAC DONALD :
Oui, jusqu'à ce que les copies soient distribuées.

(Les documents sont distribués à toutes les parties et aux interprètes)

Ces extraits sont dans le jeu de documents 2… du document n° 1.

Puis-je poursuivre, Monsieur le Président ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, faites, à moins que le témoin ait demandé du temps pour se familiariser avec les documents.

M. DALLAIRE:
Non, nous pouvons continuer.


Me MAC DONALD :
Thank you, Your Honor.

Je m'excuse, Général, nous allons continuer.
Alors, page 139 :

« Parce que son comportement général portait gravement atteinte à la réputation de la Mission que je dirigeais et entravait lourdement notre action d'arbitre impartial auprès des Rwandais. »


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Mac Donald, reprenez, parce que les interprètes ne... n'ont pas trouvé ce paragraphe.


Me MAC DONALD :

Q. Alors, voici ce que dit Booh-Booh — Jacques-Roger Booh-Booh —, à la page 139 :

« Parce que son comportement général portait gravement atteinte à la réputation de la mission que je dirigeais et entravait lourdement notre action d'arbitre impartial auprès des Rwandais. »

Et je vous fais grâce du restant du paragraphe, Général. Mais plus loin, à la page 139 :

« De plus, Dallaire constituait un handicap de taille pour la MINUAR, par son hostilité viscérale aux francophones et aux Français. Il avait choisi son camp dans la crise rwandaise. Il était allergique à mes collaborateurs africains francophones, qu'il a surnommés les "Franco-Africains". »

Maintenant, à la page 94…

R. (Intervention non interprétée)

Q. Alors, encore une fois, votre supérieur, Monsieur Booh-Booh, dit ceci — et c'est au paragraphe 2 :

« Venir prendre des gallons en Afrique sur le dos des morts, et rentrer au Canada en général Mac Arthur, c'est ce que Dallaire voulait. Constatons que c'est raté, vu les performances médiocres de ce général plus soucieux de politique que de son travail de militaire pour la paix. Est-ce cela, travailler pour la paix ? »

Et deux autres passages, à la page 120. Il dit ceci... Ou 121. Oui. O.K. Alors, « 120 », dernier paragraphe :

« Je dois ici préciser mes rapports avec le FPR, que j'ai effleurés plus haut [et encore une fois, c'est Jacques-Roger Booh-Booh… docteur Booh-Booh qui parle]. Ces rapports ont connu une longue période d'observation au cours de laquelle les membres du FPR ont cherché les faiblesses de leur interlocuteur et sa propension à succomber devant les fameux cadeaux, c'est-à-dire les jeunes femmes tutsies. »

Et Booh-Booh continue en disant :
« Ils ont dû être déçus de ne pas voir... de ne pas me voir dans les bras de leurs hirondelles. »

À la page 121 :

« Ils voulaient faire de moi un inconditionnel défenseur de leur cause, en recourant à la ruse, au chantage et au harcèlement. Tout cela n'a pas marché, car je ne me considérais pas moins prince qu'eux. Les rapports étaient donc difficiles avec moi, à l'opposé de Dallaire, qui était leur sous-marin au sein de la MINUAR, avec — semble-t-il — une Tutsie sous son toit. Cette légèreté de mon officier a coûté cher à la MINUAR ; j'y reviendrai. »

Et finalement, à la page 120... 123 :

« Alors, Dallaire n'était pas neutre, il était plutôt de connivence avec le FPR. Voici la clé qui permet de comprendre cette situation : Le dossier des... Le dossier des violations des Accords d'Arusha par le FPR est vide dans les archives du commandement de la force de la MINUAR. »

Et finalement, Général Dallaire, à la page 124, dernier paragraphe, deuxième ligne :

« De plus, il indiquait clairement, par cet engagement personnel affiché, son parti pris pour le FPR. Cela nuisait, bien sûr, à l'ensemble de la MINUAR. Autant il s'est impliqué, avec raison et mon appui, à dénicher les caches d'armes d’Habyarimana, les camps d'entraînement des milices du MRND, les Escadrons de la mort au pouvoir, autant il s'est fait discret — je dirais secret — sur le ravitaillement en armement du FPR depuis l'Ouganda, en général, et le convoyage de leurs armes à Kigali, en particulier. »

Alors, les citations que je vous ai lues, Général Dallaire, est-ce que ce sont des citations que vous aviez lues, que vous aviez pris la peine de lire dans l'ouvrage de Jacques-Roger Booh-Booh, ou en entendez-vous parler pour la première fois aujourd'hui ?

R. Non, je ne m'en souviens pas. J'ai entendu parler de ces allégations, mais je n'ai pas lu le livre.

Q. Et si on regarde le profil de... du docteur Booh-Booh… Jacques-Roger Booh-Booh, on sait que c'est un... — et je vous pose la question, si c'est à votre connaissance — c'est un docteur en droit, diplomate de carrière, plusieurs fois ambassadeurs, notamment à Moscou, Paris, auprès de l'UNESCO, Ministre des relations extérieures du Cameroun pendant cinq ans. Est-ce que vous connaissiez un peu le profil du docteur Jacques-Roger Booh-Booh ?

R. Non, pas de manière aussi détaillée, mais je connaissais sa carrière professionnelle. Oui, je la connaissais.

Q. (Début de l'intervention inaudible)... Général, que… et quand on... quand on lit votre... votre ouvrage — votre propre ouvrage —, on réalise qu'il y avait manifestement certaines dissensions entre vous et votre supérieur hiérarchique, Monsieur Booh-Booh.

Et pensez-vous que les contacts ou les relations entre vous deux aient pu s'envenimer à cause de cette perception-là qu'avait Monsieur Booh-Booh à votre égard ?

Et encore une fois, Général, je vous le dis en toute... toute honnêteté, ce ne sont pas... certainement pas des attaques personnelles de ma part, mais je me dois encore une fois de questionner sur ces très sérieuses accusations du docteur Booh-Booh.

Alors, il y avait des dissensions entre vous et Jacques-Roger Booh-Booh sur le terrain. La question est : Pensez-vous que cette… cette perception-là que Booh-Booh pouvait avoir de vous a pu être, finalement, la cause de... de ces mauvaises relations entre vous deux ?

R. Dans la description que vous faites de Monsieur Booh-Booh, vous... vous décrivez un politicien chevronné, doublé d'un diplomate. Mes connaissances en matière de politique, jusqu'à ce que je devienne sénateur et que je n'aie des responsabilités sur la scène politique, se limitaient lorsque j'étais chef de mission sur le site, et plus tard, au départ de Monsieur Booh-Booh ; mais avec toute cette expérience, sur la base de la description... des descriptions qui, selon lui... des actions « qui », selon lui, j'aurais posé, je dois dire qu'il ne m'a jamais renvoyé.

Il lui revenait de ce faire si le premier... ou si le commandant de la force mettait en péril la mission, dans une mesure telle que la Mission était considérée comme ne pouvant même pas remplir son devoir premier, c'est-à-dire être transparent et impartial.

Ainsi donc, lorsque je considère les actions que j'ai prises lorsque j'ai déployé, dans les camps, les militaires qui pouvaient être une menace, lorsque j'ai mis sur place un informateur qui nous a dit qu'il n'y avait que des adultes consentants sur la scène des combats, je pense qu'il était étonnant que... ces actions, telles que présentées, sont très étonnantes, surtout lorsque cet homme m'accuse de tous ces... de toutes ces accusations.

Je voudrais revenir sur le professeur Chrétien, qui a fait une analyse de la propagande de l'information au Rwanda, qui soulève un certain nombre de points relatifs aux méthodes usitées pour communiquer les informations — les informations erronées de part et d'autre. Tout cela pour dire, de façon ramassée, que les désaccords entre Monsieur Booh-Booh et moi-même — pour ce qui me concerne —, en tout état de cause, commencent dans la dernière partie du mois de décembre, lorsque, tout d'abord, il a refusé de... d'endosser la responsabilité totale et entière pour la coordination, la résolution et, finalement, la décision sur les problèmes internes en cours au sein de la Mission, fussent-ils de logistique, de procédure, qu'il s'agisse également des termes de référence.

Et bien évidemment, il m'est apparu difficile de travailler avec cet homme, à cause de sa méthode de travail, mais également à cause du fait que nous ne trouvions pas des solutions politiques novatrices pour résoudre l'impasse.

Et enfin, cela mettait toute la Mission en danger, tout particulièrement mes hommes, mes militaires qui, en « bout » de compte, sont également ses hommes, ses militaires. Et dans son dernier commentaire, c'est son dédain des troupes et son manque de respect à l'égard des troupes, lorsqu'ils accomplissaient leur devoir.

Q. À un certain point, Général, je pense que vous conviendrez avec moi que le Représentant spécial, Jacques-Roger Booh-Booh, n'avait pas l'autorité de vous démettre. Vous le saviez, n'est-ce pas ?

R. Non, cela n'est pas exact. La réponse est qu'il travaillait directement pour le Secrétaire général, mais avec le personnel du DPKO. Et s'il en... en faisait la demande, à savoir que je sois démis, il en informait le Secrétaire général qui, en dernière analyse, décidait. Mais il pouvait me relever de mes fonctions, me confiner au quartier général, ou même demander que je quitte le théâtre des opérations. Aucune de ces actions n'a même jamais été évoquée par lui.

Q. C'est votre réponse, Général, mais une fois de plus, vous faites allusion au DPKO, que vous appelez, en français, le triumvirat, avec le général Baril, qui était votre ami... et auquel le général Baril, votre ami, appartenait.

Je suis en désaccord avec vous, Général, mais il ne pouvait pas, de son propre gré, vous mettre de côté sans obtenir le consentement du Secrétaire général lui-même. Mais cela, peut-être, est une question de droit, et je ne pense pas qu'on peut trancher cette question ici, mais c'est mon opinion, et vous pouvez maintenir la vôtre.

R. Je ne vous donne pas une opinion, Maître, je vous donne un fait. Et le fait est que le Représentant spécial des Nations Unies — et cela a été fait par d'autres —, de fait, il avait pour prérogative de recommander au Secrétaire général, qui prenait les décisions ; et je sais que les deux se connaissaient très bien, ayant travaillé ensemble précédemment dans d'autres endroits comme au Ministère des affaires étrangères, aussi comme ambassadeurs aux Nations Unies, et il avait une communication privilégiée avec le Secrétaire général.

Q. Je suis d'accord avec vous, Général, c'est ce que je dis.

Et il pouvait... Et il pouvait recommander votre destitution, mais il ne pouvait pas, personnellement, vous relever de vos fonctions. Nous parlons de la même chose. Mais je suis d'accord avec vous : Il avait beaucoup de pouvoir, s'agissant de ces recommandations, manifestement.

R. Maintenant, si je puis répondre, Maître, à la Chambre, si nécessaire, qu'en janvier, le numéro 3 de la mission, à savoir le responsable administratif principal, a été démis de ses fonctions sur sa recommandation, parce que Monsieur Booh-Booh estimait qu'il ne remplissait absolument pas les conditions requises — il a été remplacé dans une période de moins d'un mois.

Q. Je crois que vous parlez de Monsieur Hallqvist ; est-ce exact ?

R. Oui.

Q. Je comprends que vous ne vous entendiez absolument pas avec Monsieur Hallqvist également, n'est-ce pas ?

R. Monsieur Hallqvist et moi avons eu beaucoup de discussions sur la situation administrative et logistique qui mettait la Mission à risque. Nous nous sommes parlé face à face, et... mais finalement, nous sommes arrivés à un accord pour résoudre les problèmes, bien que nous n'étions pas toujours du même avis. Ces circonstances ne se sont jamais présentées avec Monsieur Booh-Booh ; il ne m'a jamais donné cette occasion.

Q. S'agissant de… de la mission de Monsieur Booh-Booh sur le terrain, avez-vous lu, Général, la lettre émanant du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, « à la » page 190 et 191 du livre — je crois ?

R. Vous avez dit ? Je n'ai que jusqu'à la page 171.

Q. J'en suis désolé, Général. Je vais lire un paragraphe, juste un paragraphe. Premier paragraphe où il dit ce qui suit, Général — et c'est une lettre qui est adressée par Monsieur Boutros Boutros-Ghali au Président de la République du Cameroun, il dit ce qui suit :

« Monsieur le Président… » Sorry. « Monsieur le Président, au moment où prend fin la mission de Monsieur Jacques Booh-Booh, en tant que mon représentant spécial au Rwanda, je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu mettre ses remarquables talents de diplomate et de négociateur à la disposition de l'organisation des Nations Unies. »

Êtes-vous d'accord avec cette perception du Secrétaire général ?

R. Non.

Q. Très bien. Pouvez-vous dire à la Chambre quand vous avez parlé pour la dernière fois à Jacques-Roger Booh-Booh ? Quel a été votre dernier contact ?

R. Je n'arrive pas à dire cela. Il a quitté la Mission plus tôt que… pendant le mois de mai, ostensiblement, avec pour mission de se rendre dans des États africains pour tenter de les convaincre de fournir des troupes au nouveau mandat que nous avons reçu, à savoir accroître la taille de la force. Il me semble donc que c'était en mai… à la mi-mai, quand, finalement, il a installé son quartier général à Nairobi. Et ensuite, je crois, son contrat a été résilié — je ne sais pas quels termes utiliser — vers le 15 juin, et je suis devenu ostensiblement le chef de mission par intérim et, puis, officiellement à partir de la mi-juin.

Q. Je vous remercie.

Même si vous n'avez pas lu ce livre dans sa totalité, le livre de Monsieur Booh-Booh — et je suppose que vous avez beaucoup de gens autour de vous, Général —, votre entourage qui… certainement, vous a résumé ces allégations malveillantes de Monsieur Booh-Booh ; ma question est la suivante : Avez-vous, à quelque moment que ce soit, envisagé d'exercer des poursuites pénales contre Monsieur Booh-Booh sur ces allégations ?

R. Ma... Mes informations sont essentiellement venues des revues lues et des commentaires, comme vous dites, d'amis qui s'intéressaient au sujet. Souvent, des commentaires très succincts. Et j'ai vu mon Conseil pour lui demander : Y a-t-il quelque chose dans ce qui est dit qui m'oblige à réagir au plan juridique ? Et ne recevant aucune instruction particulière, dans un sens comme dans l'autre, j'ai estimé qu'il ne valait pas la peine d'exercer des poursuites juridiques.

Q. Je trouve étrange que vous consultiez votre Conseil sur un ouvrage que vous n'auriez pas lu. Nous nous serions attendu à ce que vous lisiez le livre d'abord, avant de solliciter un avis juridique.


Me YAROVSKY :
Monsieur le Président, c’est Yarovsky… Maître Yarovsky, Conseil du général Dallaire.

Et je crois que c'est une question de privilège, le Conseil n'est pas autorisé à interroger le général Dallaire sur toute consultation qu'il a eue ou n'a pas eue avec son Conseil. Et cela est tout à fait en dehors de l'interrogatoire. Et je fais respectueusement valoir qu'il y a une question de confidentialité ici.


Me MAC DONALD :
Oui, c'est vrai, c'est un privilège qui appartient au général Dallaire, et uniquement au général Dallaire. Je suis d'accord, en partie, avec Maître Yarovsky.

Si je cherchais à entrer dans la conversation, nous ne savons pas qui le général Dallaire a vu, je n'ai pas l'intention de le faire. Ma question était essentiellement la suivante : Avez-vous demandé l'avis de votre Conseil sur la possibilité de faire quelque chose par rapport à ces allégations ? C'était une question qui demandait juste une réponse par « oui » ou par « non ». Mais je ne vais absolument pas entrer dans les détails, si le général Dallaire a, effectivement, sollicité un avis professionnel sur cette question.

Q. Donc, mon observation, Général Dallaire, une fois de plus, je vous conseille également de ne pas entrer dans les tenants et aboutissants de votre discussion avec votre Conseil, si vous l'avez effectivement consulté.

Une fois de plus, j'ai des difficultés à concevoir le fait que vous sollicitez une opinion juridique sans avoir lu ce livre dans sa totalité ; ce qui m'a pris entre une heure et demie et deux heures à lire. Comment cela se fait-il ?

R. Je n'avais aucun intérêt à lire ce livre, en dehors des informations que j'avais reçues, des commentaires faits sur le livre. Que j'aie eu du temps ou que j'aie voulu m'y appesantir, tout ce que je voulais, c'était de m'assurer qu'il n'y avait rien dans ce livre qui pouvait nécessiter une action juridique dans un sens comme dans l'autre. Sinon, j'ai lu des avis, j'ai écouté... des gens ont publié, qui avaient des avis différents sur moi, sur ma conduite, sur mes décisions professionnelles. Et je n'ai pas lu la totalité de ces articles, et je n'ai pas l'intention de faire une auto analyse des résultats de toutes ces informations. Bien entendu, vous pouvez vous demander si j'aurais dû ou non lire le livre, mais cela est ma décision, et je n'ai pas estimé nécessaire de faire la lecture totale de ce livre.

Q. J'ai une pensée : Je me rappelle que vous avez dit quelque chose — cela me trotte dans la tête — sur l'internet. Je pense que le lendemain de la mise sur le marché de ce livre de Booh-Booh, vous vous rappelez que vous avez été interviewé par des journalistes, et je me rappelle vos commentaires ; vous avez dit... premièrement, vous avez écarté toutes ces allégations, et vous avez dit… sur cet article de l’Internet, vous avez dit que cela va faire une lecture intéressante. Vous rappelez-vous l'avoir dit ?

R. Non, je ne me le rappelle pas

Q. Très bien, je vais essayer de trouver la référence.

Avez-vous... Avez-vous réagi à cette série d'allégations par Monsieur Booh-Booh ? L'avez-vous fait sous une forme quelconque par écrit ou sous une autre forme, à ces allégations ?

R. Non, je ne me rappelle pas avoir entrepris l'écriture d'un article. Si j'ai été interviewé sur le livre, oui, entre autres choses, c'est possible ; j'accordais des entrevues, des entretiens sur une base presque quotidienne. Et il est apparu sur le marché pendant un certain temps. Il a disparu. J'ai eu une copie de ce livre entre les mains, je m'en souviens. Mais je dois dire que les commentaires faits sur mes exploits sexuels outrepassent tout ce que l'on a pu dire ci et là ; il dit une chose et, moi, j'avance le contraire.

Q. Très bien. Je comprends, Général. Et vous n'avez donc rien publié, pour répondre en tant que tel à ses allégations, si je vous ai bien compris ?

R. Moi, personnellement, non.

Q. Très bien.

À votre connaissance, l’un quelconque de vos collègues sur le terrain, au Rwanda, en 1993, 1994, l’un quelconque de vos collègues est-il jamais venu à votre rescousse — si je puis le dire ainsi — pour répondre à ces allégations — quelqu’un comme Luc Marchal, Franck Claeys, quelqu’un… n’importe qui qui a servi sous vos ordres et qui aurait pu dénoncer cela de manière vigoureuse ?

Encore une fois, à votre connaissance, savez-vous, si oui ou non, cela a été fait par quelqu’un qui était sous vos ordres, au Rwanda ?
M. DALLAIRE :

R. Je ne me souviens pas que l’on ait soulevé la question. C’est vrai qu’il y avait tout un nombre de tracts qui circulaient. Il y avait une histoire dans le pays qui disait que les dessins animés étaient très explicites, qu’ils avaient, disons, une connotation sexuelle.

Et pour revenir aux personnes qui avaient des points de vue divergents au niveau politique ou à tout autre niveau, je me rappelle avoir vu certains de ces dessins animés. Par la suite, lorsque j’ai pris part à une conférence sur les sujets des médias au Rwanda, et... à l’Université de Montréal — je ne me souviens pas de la date précise… Mais à part cela, mon point de vue était très clair, dans la mission.

Et il n’y avait aucun suivi. Rien n’a été soulevé par le personnel politique de Monsieur Booh-Booh — personnel très important —, même pas par Monsieur Kabia, qui était le chef du personnel.

Q. J’ai oublié de vous demander… un peu plus tôt, de vous poser une question sur un livre d’un journaliste français... il doit être français, Charles Onana — O-N-A-N-A. Il a écrit un livre, il y a de cela quelques années, sur Kagame, accusant Kagame, entre autres, d’être responsable de l’attentat de l’avion... de l’assassinat du Président Habyarimana. Je ne me souviens plus du titre du livre. Le... C’était le premier livre qu’il a écrit sur Kagame.

Auriez-vous lu un livre, Général Dallaire, dont l’auteur est Charles Anana... Onana, sur Kagame ?

R. Je ne me souviens ni de l’auteur, ni du livre.

Q. Très bien. Dans ce cas d’espèce, le Président Kagame a été mis « en » mal par ces allégations. Il a saisi les autorités françaises. De façon résumée, il a interjeté appel et, si j’ai bien compris, il s’est retiré avant même que l’affaire ne soit jugée en appel.

Et, encore une fois, puisque vous n’avez pas lu ce livre entièrement — le livre de Monsieur Booh-Booh, j’entends — je vous suggère, Général, que vous êtes, en fait, la seule véritable cible de ce livre, vous-même et le FPR. C’est un commentaire que je vais faire à présent. Je ne vais pas m’y appesantir, mais dans son livre, en page 8, Monsieur Booh-Booh dit les raisons pour lesquelles... dit que les raisons pour lesquelles il pensait... les raisons pour lesquelles il pensait être tenu d’écrire sur certains points. Et je vais vous donner lecture de quelques passages très brefs. Avez-vous la page 8 en face de vous ?

R. Oui.

Q. Deuxième paragraphe, à partir de la fin, qui dit ce qui suit :

« (Début de la citation inaudible)... était pour respecter de réserve inhérente (sic) au métier de diplomate et surtout par humilité et par respect pour les centaines de milliers de Rwandais tués pendant le génocide. »

Ce qui m’a frappé, Général Dallaire, c’est que ça n’est pas, de toute évidence, une réaction spontanée de la part de Monsieur Booh-Booh. Il s’est décanté... Il a décanté ses pensées datant
d’au moins 10 ans. L’on serait tenté de se poser la question de savoir pourquoi il dit ceci. Ce n’est pas spontané, il ne réagit à rien en particulier ; pourquoi aurait-il dit ceci, 10 années plus tard ?

Je vous suggère, Général, que vous devriez... En fait, vous disposez d’une plate-forme ici, aujourd’hui, pour dénoncer tout ce qu’il a avancé contre vous ou sur vous. Je suis sûr que vous avez des choses à dire ; peut-être devriez-vous écrire, éventuellement. Si j’ai bien compris votre livre, J’ai serré la main du diable... Si j’ai bien compris, en l’affaire Militaires I, vous dites que vous... vous proposiez de faire une deuxième publication de ce livre ; vous ai-je bien compris ?

R. Non, la seule chose qui s’est produite, c’est que j’ai apporté des correctifs quant au contenu, « le » nom et des erreurs de frappe, également, ont été corrigés.

Q. J’ai une question que je n’avais pas l’intention de vous poser ; je vais le faire très rapidement.
Vous avez vu le film « Hôtel Rwanda », qui était une représentation hollywoodienne de ce qui s’est passé au Rwanda ; avez-vous vu le film, Général ?

R. Oui, je l’ai vu.

Q. Ce qui m’a frappé — nous supposons que c’est vous qui êtes représenté —, mais… — à moins que je ne me trompe — mais à aucun moment, dans ce film, votre nom n’est mentionné.

R. Au Festival du film de Toronto, lorsque le film est sorti, j’ai rencontré le scénariste qui m’a dit qu’il n’avait pas lu mon livre, qu’il n’avait jamais pris part à un quelconque entretien avec moi pour pouvoir m’intégrer au film, et… (inaudible), qui jouait le rôle du colonel canadien, devait représenter tout à la fois... en fait, les Nations Unies, et non pas le commandant de la force.

Q. Je vois, je comprends. La raison pour laquelle je pose cette question... Je ne voudrais pas en faire toute une histoire, mais il s’est susurré, à un moment donné, que la raison pour laquelle on ne vous y mentionnait pas était dû au fait que vous n’aviez pas donné votre approbation sur le cachet, comme on appelle. Donc, l’on ne vous a jamais contacté, vous n’avez jamais été consulté d’une quelconque manière selon vos dires, n’est-ce pas ?

R. Absolument.

Q. Je vous remercie.

Général, j’ai quelques questions relatives à votre mission — votre mission de reconnaissance. Je vais lire de ce rapport certains passages et vous demander, par la suite, s’il s’agissait là de votre perception, votre perception des faits au moment où vous meniez cette mission.

Et sur la base de l’interrogatoire principal, j’en... je déduis que la première mouture de ce rapport a commencé au moment où vous vous trouviez encore au Rwanda, aux fins de mener à bien cette mission technique, n’est-ce pas ?

R. La première... La première mouture a été commencée ; elle n’a jamais été achevée. Certains passages ont été terminés à notre retour, mais je voulais que l’on ait au moins une mouture avant que nous quittions le Rwanda, oui.

Q. D’accord.

Ce document... C’est le document 13 du jeu de documents n° 2. Je dispose de certains passages dudit rapport.

Pour ce qui est des dates, Général, vous ne semblez pas sûr si vous avez rencontré certaines personnes. En page 2, j’attire votre attention sur le fait que, selon ce rapport, le 22 août, vous auriez rencontré le Premier Ministre désigné, en l’occurrence Monsieur Twagiramungu, n’est-ce pas ?

R. Je me rappelle avoir rencontré Faustin. Oui, je crois bien.

Q. Très bien. Selon le rapport...


M. KOUAMBO :
Un instant, Roger Kouambo du Greffe.


Me MAC DONALD :
Oui.


M. KOUAMBO :
Le document que nous a remis votre assistante, Maître Nathalie, ne semble pas refléter ce que vous avez.


Me MAC DONALD :
Oui. Un instant, Monsieur Kouambo.


M. KOUAMBO :
Si vous pouvez donner le... le numéro... Si vous pouvez donner le numéro au dessus de la page, pour qu’on vérifie un peu plus ?


Me MAC DONALD :
Monsieur, il semblerait que, si elle a ce document-là, c’est le numéro F-16 ; il y a eu différentes réponses dans nos... Effectivement...


M. KOUAMBO :
Je crois que nous y sommes.


Me MAC DONALD :

Q. Vous l’avez ? L’avez-vous devant vous, Général ?

R. Oui, je l’ai. Et la liste des... C’est la liste des personnes que j’ai rencontrées.

Q. Je voudrais donc vous reporter au 30 août. Il semblerait qu’il y ait une incertitude sur ce point, déjà, hier.

Vous avez rencontré le Premier Ministre Agathe le 30 août — il semblerait, tout au moins.

Très bien. Page 5, Général, paragraphe 1 : « Utilisation du FPR » — d’après ce que je lis.

Je vais vous donner lecture, Général — page 5, paragraphe 14 — « les » trois dernières lignes, qui disent ce qui suit :

« Les représentants du FPR, encore une fois, ont insisté pour dire qu’il ne fallait pas que nous retournions à Kigali si les troupes françaises étaient toujours présentes dans la capitale. »

Je voudrais... Je pensais à un passage de votre livre lorsque j’ai lu ceci ; je pense que c’est
la page 210 de la version française, lorsque vous dites, Général, que suite aux invasions du FPR, de 1990 à 1993… Vous semblez dire, dans votre livre, que s’il ne s’agissait pas, pour les troupes françaises... que si ce n’était pas à cause des forces françaises, le FPR aurait pu remporter
la bataille. Le FPR, en d’autres termes, a attaqué ; l’armée rwandaise, bien évidemment, défendait
le territoire rwandais, mais avec l’aide des forces ou des troupes françaises ; et si ce n’était pas
à cause ou du fait de la présence des troupes françaises, alors le FPR aurait pris le pays, même avant 1994 ?

R. C’était le consensus général à l’époque.

Q. Oui, mais vous êtes d’accord avec le fait que, lorsque vous dites que c’était le consensus général, c’est également ce que vous pensiez, n’est-ce pas ?

R. Je veux dire, ce sont là les informations que j’avais reçues. Je recevais ces informations des personnes qui étaient sur le terrain et qui en parlaient, qui « l’ »avaient lu ou qui « l’ »avaient vécu.

Q. Très bien, j’y reviendrai. Je reviendrai à cette question, Général — ce sujet sur les troupes françaises — dans un instant.

R. Très bien.

Q. Eh bien, à la page... Dans l’une des sections — je ne sais pas sous quelle section, la pagination peut être différente —, je suis à la page 7, et vous traitez des forces... des forces gouvernementales sur le terrain.

R. Peut-être, si vous voulez bien, nous allons utiliser les trois derniers chiffres de ce code... de cette cote qui est en haut, à droite.

Q. Très bien. Très bien. Donc, le numéro est L0022656.

R. Très bien, c’est noté.

Q. Nous sommes au paragraphe 33, vous dites ce qui suit — et une fois de plus, j’aimerais que vous nous « dites » si c’était là votre évaluation de la situation à l’époque :

« Composition : L’armée rwandaise compte sept secteurs opérationnels de 28 bataillons d’infanterie, sept unités spéciales, six zones de camp militaire et deux unités de logistique.

Il y a des écoles pour les officiers, les gradés et d’autres infrastructures de formation. L’académie militaire et le collège n’ont pas fonctionné depuis que la guerre a commencé.

Et force... La force totale s’élève à environ 29 000 personnels distribués en unités de combat comptant entre 600 et 800 personnes chacune. »

Maintenant, la partie importante est le paragraphe suivant, et vous dites ceci... ou votre... votre rapport est le suivant :

« La victoire du FPR, dans sa dernière offensive, a déjà affecté négativement le moral des forces gouvernementales. La possibilité pour beaucoup de soldats de perdre leur travail pendant la transition à la nouvelle armée, et à cause du fait qu’ils perdront beaucoup d’avantages — salaire, alimentation gratuite, logement — signifie qu’ils sont confrontés à un avenir incertain. »

S’agissant de la formation, paragraphe 35, vous dites ceci :

« La norme générale de formation au sein des FAR est mauvaise. Une période d’expansion rapide
de 5 000 à 34 000 pendant la guerre a été menée sans une base de formation efficace. Les soldats ne justifient que des compétences militaires élémentaires à différents degrés. »

Paragraphe 37 :

« Le système logistique est jugé comme étant efficace de manière marginale. La norme d’entretien est mauvaise. Le système d’approvisionnement ne peut fournir que des besoins de base. Le système de transport est sujet à beaucoup de pénuries. L’armée continue d’utiliser les véhicules civils et publics pour satisfaire ses besoins minimums. »

S’agissant de ce paragraphe, Général Dallaire, je comprends que c’était là votre évaluation de la situation à l’époque ; est-ce exact ?

R. C’est exact.

Q. Page… La page suivante, n° L0022657, paragraphe 43, le rapport continue ainsi qu’il suit :

« Évaluation de la capacité.

La capacité des FAR est évaluée comme étant de moyenne à faible en raison d’un moral bas, d’une absence de formation, d’un matériel de mauvaise qualité, d’un appui limité au service, de l’absence de finances et de la lassitude due à la guerre. L’organisation doit être reconstruite. »

Une fois de plus, nous sommes là en août 1993. Votre évaluation est-elle exacte ?

R. Elle est exacte.

Q. S’agissant, maintenant... Bon, j’essaie de trier les informations. Très bien, j’y suis.

Page 9, paragraphe 47, les trois derniers numéros de la cote : 658 ; et il est dit ceci :

« Les forces de police au Rwanda sont organisées de « la » même manière que la police française ou belge, et leurs fonctions, en temps de paix et de guerre, sont semblables. À l’heure actuelle,
la Gendarmerie rwandaise peut être considérée comme étant sur le pied de guerre, ce qui signifie que ses différentes missions doivent être considérées comme des missions militaires de sécurité.
La plus grande partie de la... [je suis désolé] La plus grande partie de la Gendarmerie rwandaise est déployée sur la ligne de front où elle est occupée à assurer la sécurité des points névralgiques. »

Et ensuite, nous avons ces points névralgiques.

Une fois de plus, c’était votre évaluation de la situation, Général Dallaire, en août 1993 ;
est-ce exact ?

R. Oui, c’était là l’évaluation, à l’époque. Oui.

Q. Très bien.

Et enfin, s’agissant de ce point particulier, paragraphe 49, « Informations détaillées »... le paragraphe commence par « Informations détaillées » et dit ce qui suit :

« La force totale actuelle de la Gendarmerie rwandaise s’élève à 6 000 personnes. À l’exclusion de l’unité de logistique, les unités sont déployées sur le front. Et les 2 000 gendarmes actuellement en formation… Sur ce chiffre, il n’y a que 400 gendarmes qui effectuent... mènent... jouent un rôle de police en temps de paix. »

Ensuite, nous avons le dernier… la page qui se termine par « 659 » en cote, le paragraphe 56.

Vous dites ceci au sujet du Ministère de la justice, vous dites que :

« Le Ministère de la justice ou le département de la justice ne travaille pas efficacement. Les prisons sont surpeuplées, et beaucoup de prisonniers peuvent s’échapper. Le Ministère public est non existant. Le résultat est un système juridique qui est entièrement paralysé. »

Donc, une fois de plus, c’était en août 1993, et je suppose que c’était là votre évaluation de la situation.

Et comme nous disons en français, Général Dallaire, vous conviendrez avec moi qu’à plus forte raison, lorsque le Gouvernement a quitté Kigali en avril, Kigali était complètement paralysée, les services publics, la justice qui était même paralysée avant cette date, déjà en août 1993 ; êtes-vous d’accord avec moi ?

R. Je ne suis pas d’accord ainsi qu’il suit : L’évaluation que nous avons faite était une évaluation sur une période de 10 jours sur le terrain, avec différents personnels. Et je maintiens l’évaluation. Ce sont les informations dont nous disposions, que nous avions reçues lorsque nous pouvions bénéficier de collaboration, c’étaient les informations qui nous avaient été fournies.

S’agissant de la situation des affaires dans le pays, lorsque j’ai atterri, le 27 octobre, et pendant cette période de collecte des informations sur le déploiement des forces... par exemple, la Gendarmerie avait un certain nombre d’éléments à Kigali, dans la compagnie Joly qui, en fait, nous soutenait, et vice versa. Donc, le scénario changeait à mesure que nous recevions de meilleures informations, ce qui demandait donc une réactualisation de ce document.

Cependant, si vous parlez de la nuit du 6 avril, lorsque l’avion présidentiel a été abattu, nous... comme je l’ai indiqué, c’était une période d’une très forte intensité. Il y avait des émeutes, il y avait la fonction publique qui n’était pas payée, les enseignants n’étaient pas payés, les... les soldats ne recevaient pas de ration, notamment des rations par jour. Et nous sommes entrés dans un processus qui avançait vers la paralysie, à cause du fait que le Gouvernement de transition n’était pas en place. Donc, une meilleure évaluation de la capacité, c’était montrer que les choses dégénéraient à mesure que l’impasse politique s’accentuait.

C’est donc là les éclaircissements que je pouvais donner au sujet de votre question.

Q. Je vous remercie.


M. BÂ :
Une précision, Maître Mac Donald. J’ai entendu « Compagnie Joly ». Est-ce que ce ne serait pas « Jali » ?


Me MAC DONALD :
Posez cette question au... Posez cette question au général.


M. BÂ :
(Début de l’intervention inaudible)... au général, mais c’est pas mon temps de poser des questions. J’aimerais que vous fassiez faire la lumière là-dessus. C’est « Joli » ou « Jali » ?


Me MAC DONALD :
Vous devrez le faire en interrogatoire complémentaire.


M. BÂ :
Si vous préférez que... Ça m’importe peu. Si vous préférez que ça demeure comme ça, ça ne me... ça ne me dérange pas.


Me MAC DONALD :
Je peux le faire.

Q. Est-ce Joly ou Jali, à votre connaissance ?

R. J’ai quelque fois l’incapacité à avoir la mémoire des noms, et la première fois que je l’ai entendu, j’ai entendu Joli, mais vous avez raison, c’est Jali. Mais c’était un problème que j’avais toujours avec le général Ndindiliyimana, à savoir que je n’appelais pas correctement cette force.

Q. « Jali » et non pas « Joly ».

Page 12, « 661 », les trois derniers chiffres, nous revenons sur la question des troupes françaises sur le territoire rwandais.

Vous dites ceci au paragraphe 70 :

« Le retrait des troupes étrangères est nécessaire dans le cadre de l’Accord de paix, en application de l’article 72 du Protocole de l’intégration des forces armées. L’article stipule que le retrait devra prendre place après le déploiement d’une force neutre internationale ou une expansion du NMOG, sous le commandement et contrôle des Nations Unies. »

Q. Étant donné que… Je suppose qu’à l’époque, vous le saviez, Général Dallaire ; en août 1993, vous saviez donc que le FPR n’avait pas été capable de prendre le pays, à cause de l’intervention de... des troupes françaises. Cela ne vous a-t-il pas poussé à agir ou, en d’autres termes, n’avez-vous pas évalué ce retrait comme étant précaire pour le pays ?

En d’autres termes, n’avez-vous pas vu dans ce préalable requis... n’avez-vous pas vu « en » cela — « nous ne faisons rien tant que les troupes ne sont pas parties » — comme étant une manière pour le FPR de faire partir les Français du pays, pour ensuite s’approprier le pays ? C’est ce qui s’est passé, n’est-ce pas ?

Excusez-moi, Général. Si je puis éclaircir un point ici relativement à notre discussion : Nous parlons d’un pays qui était en guerre, qui a signé un accord de paix… Aller aux Nations Unies… On lui a demandé d’envoyer une force de maintien de la paix, car « ils » ont convaincu les Nations Unies que les deux parties étaient désireuses de paix, et tout ce qu’ils voulaient, c’était un arbitre qui pourrait les aider à observer… faire rapport relativement à toute déviation de l’Accord de paix ?

R. Nous ne sommes pas dans un exercice d’analyse, nous savons si ces personnes retournent en guerre ou si nous sommes dans un contexte de guerre potentielle. Non, nous sommes dans un contexte d’application d’un Accord de paix. Dans un cadre normal d’accord de paix, si vous avez des forces étrangères sur le territoire, qui n’ont rien à voir avec le processus de paix, alors ces forces doivent se retirer et évacuer ce qui a été un point de controverse. Lorsque les conseillers des forces françaises au sein de l’unité-élite, également, les conseillers des forces belges qui étaient dans d’autres unités ont été autorisés à rester…

Q. Je comprends cela, mais avec tout le respect que je vous dois, Général, selon moi, c’est là une approche théorique et simpliste. Nous savons, aujourd’hui, que le FPR n’a jamais eu l’intention d’appliquer cet Accord de paix. C’était un montage. La seule façon, pour eux, de prendre le pays, c’était par la force ; tout le monde le sait. Excusez-moi, Général.

R. Je ne suis pas impliqué, Maître. Je ne pense pas que, dans cet exercice en Chambre, que... je sois tenu de vous donner ces informations, au mieux de mes connaissances, avec toutes les dates. Et je voudrais également mettre l’accent sur le fait que l’attaché des forces françaises, lorsque j’ai présenté mon concept d’opération qui coûtait… qui constituait au moins 2 600 troupes, m’a dit que nous allions au-delà de nos besoins ; il me fallait tout juste 500 observateurs. Et les Français avaient dit aux Nations Unies qu’ils voulaient que leurs troupes soient là, et c’est pour cela qu’ils appuyaient l’Accord de paix aux Nations Unies. C’est l’information qui m’a été relayée.

Q. Encore une fois, je dois parler français. À plus forte raison, si l’objet de l’exercice était finalement d’arriver à la paix, pourquoi le FPR a-t-il insisté sur cette condition — c’est-à-dire que les troupes françaises quittent le pays ? Je pense que cela aurait dû réveiller quelque chose dans votre esprit lorsque vous avez vu l’insistance, la persistance du FPR sur cet article 72. Un homme de votre trempe et expérience aurait dû s’en rendre compte ; c’est mon point de vue.

R. Sur la base de mon expérience, cela voulait dire que nous passions à un Accord de paix et l’une des forces qui était considérée comme force ennemie au préalable, ennemie au FPR, était toujours sur le terrain ; cette force n’avait pas signé l’Accord de paix et n’avait aucun rôle à y jouer. Par conséquent, cela me semblait être illogique. Cela coulait de source que l’un des belligérants qui avait considéré les Français comme des ennemis ne voulait surtout pas qu’ils y restent, alors qu’ils n’avaient aucun rôle spécifique à y jouer, et surtout pas sous le contrôle de l’Accord de paix.


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, voulez-vous observer une pause ?


Me MAC DONALD :
Oui, je pense que le moment est indiqué.


M. LE PRÉSIDENT :
Nous allons observer une pause.


L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Nous n’avons pas entendu le Président, le micro était éteint.


M. BÂ :
Monsieur le Président, nous reprenons à quelle heure ?


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée)

(Suspension de l’audience : 17 h 35)

(Reprise de l’audience : 18 h 15)


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Maître Mac Donald, veuillez poursuivre.


Me MAC DONALD :
Je vous remercie, Monsieur le Président.

Q. Général Dallaire, êtes-vous avec nous ?

M’entendez-vous, Général Dallaire ?

M. DALLAIRE :
R. Oui, je vous entends parfaitement.

Q. Je voudrais revenir quelque peu en arrière sur la persistance et l’insistance du FPR qui voudrait que l’on retire les troupes françaises.

Encore une fois, votre explication, Général, est logique, oui… et théorique. En tant qu’homme tactique et stratège, voyez-vous, votre explication se base sur le fait que les deux parties avaient une intention. Et en qualité d’expert de questions tactiques et expert de questions stratégiques, vous avez dû vous poser une question : Qu’adviendrait-il si le FPR ne... n’intègre pas ce processus fort complexe, avec des intentions claires à l’esprit ? Vous avez dû vous poser la question.

R. Dans le pire des cas, oui, nous nous sommes posés la question de savoir ce que... ce que nous devrions faire.

Q. Mais lorsque vous vous êtes posé la question, lorsque vous avez essayé de déterminer le pire scénario, et en le gardant présent à l’esprit, relativement à cette persistance du FPR par rapport aux troupes françaises, ne vous êtes « pas vous » posé la question, à savoir : Que se passerait-il, s’ils n’intégraient pas le processus avec des intentions sincères ?

R. Il me semble que je vous interrompe avant que vous n’ayez terminé votre question.

Q. Ne vous en faites pas, Mon général.

Oui. Vous avez anticipé le pire des scénarios. À l’évidence, l’un des scénarii serait que l’une des parties, par exemple, le FPR, n’intégrait pas ce processus complexe avec des intentions sincères.

Donc, si vous anticipiez la situation, ou bien si vous remettiez en question les intentions du FPR, avec cette condition imposée par le FPR, c’est-à-dire le retrait des troupes françaises, tout au moins, vous avez dû penser, évaluer, vous dire que cela pourrait être une ruse du FPR — c’est-à-dire le retrait
des troupes françaises — pour prendre le pays.

Encore une fois, nous sommes sous le joug de l’article 6, et il ne serait... cela ne serait pas utile
aux forces gouvernementales si le FPR décidait d’avoir recours aux armes. Que se passerait-il dans ce cas ?

R. Toutes mes excuses, je vous interromps. Je ne sais jamais quand vous avez terminé, mais
je voudrais répondre à ce stade.

Q. Oui.

R. Le pire des scénarii, par exemple, si j’ai besoin d’un plan d’évacuation qui doit être préparé, le pire des scénarii... Pourquoi... C’est pour cela que j’ai des troupes à l’aéroport — mon point
stratégique —, cela, pour pouvoir évacuer les forces civiles.

Pour ce qui est des forces... ou plutôt des ex-belligérants, le pire des cas, le pire des scénarii que vous avez mentionné, que le FPR lance un assaut, que les conflits démarrent, nous « aurions » très certainement 300 hommes armés ; cela ne pose pas problème, car cela ne nous « empêcherait » pas
de rééquilibrer la situation.

Ensuite, nous sommes à Kigali, avec des moyens de transport très limités. Mais les Français,
à Bangui et d’autres bases, ont maintenu 12 000 troupes en Afrique, parmi lesquelles les paracommandos. Ils pouvaient venir au Rwanda en quelques heures, c’est-à-dire, cela aurait pu se faire dans les 40... les 24 premières heures du génocide. J’aurais pu faire déployer des paracommandos. Et même avant cela, j’aurais pu demander des troupes, car en fait, le problème, c’est que la première alerte que j’ai eue s’est produite à quelques minutes.

Ainsi donc, je pense que le pire des scénarii, Maître, serait une opération de la part du FPR qui nécessiterait au moins deux jours. La dernière fois, c’était plus d’une semaine — 10 jours — ce qui nous a donné suffisamment de temps pour pouvoir déployer des forces.

Q. Il semblerait que cela n’ait pas été suffisant, car c’est ce qu’ils ont fait, c’est ce qu’a fait le FPR. Ils avaient 600 hommes, même plus — certains disent 3 000, d’autres 10 000 —, le 6 avril, à Kigali. Pourquoi, donc, cet effort n’a-t-il pas été mis en œuvre à cette date, le 6 ou le 7 avril et les jours qui suivirent ?

R. Nous nous prêtons à un exercice très intéressant. Et si jamais, alors, les troupes qui ont été mises à déposition... à disposition — 600 Français, 800 Belges, 800 en attente, 300 de la force marine, qui étaient en attente à Bujumbura, et il y avait également une force, à Addis-Abeba, d’environ 120... Donc, ils pouvaient joindre le site.

La question, à savoir pourquoi ils n’ont pas été déployés pour arrêter ce massacre, je pense qu’il faudrait poser la question aux dirigeants politiques de ces pays.

Q. Ce scénario, à votre connaissance, a-t-il fait l’objet de discussions avec les autorités politiques ? C’est une chose que d’avoir des hommes à proximité, des troupes ou des hommes disposés à commander, mais si les autorités politiques ne sont pas d’accord, alors tout cela est vain.

Autant que vous sachiez, sachant que ces troupes… ces différentes troupes étaient prêtes à intervenir, aviez-vous l’assentiment politique que ces personnes allaient intervenir si le besoin se faisait sentir ou si besoin était ?

R. Je ne peux pas me représenter de quoi nous parlons. Nous avions une mission de maintien des Nations Unies sur le terrain qui doit fonctionner. Il n’y a aucune volonté de la part de la communauté internationale, d’emblée, de prendre part à une mission de maintien de la paix. J’ai même dû demander les troupes dont je disposais, et c’est pour cela que l’on nous a envoyé ce demi-bataillon des Belges. Les Français ont dit qu’ils n’étaient pas intéressés à prendre part à cet exercice dans sa phase initiale.

Le Conseil de sécurité, qui avait l’autorité principale et première sur le Rwanda par rapport aux Français, aux Britanniques, aux Américains et toutes les parties présentes au Conseil de sécurité, aucun d’entre eux n’a fait montre de son... de sa volonté de s’impliquer et d’arrêter ce qui se passait. C’est mon point de vue. Les Belges ont décidé de se retirer et ont convaincu les autres de ne pas s’impliquer.

Et à moins que la situation ne change, avant de décider... C’est comme ce qui s’est passé le 17 mai : L’on m’a donné l’autorisation d’accroître mes troupes à concurrence de 5 000 hommes. Les hommes... 300 hommes armés à Kigali, sur le départ ; cela n’était pas important quant à l’importance de l’événement. Et deuxièmement, ils n’étaient pas soucieux, ils n’avaient aucune volonté de venir et d’arrêter cette situation.

Q. Pourquoi donc… Si tel est le cas, pourquoi cette persistance, pourquoi cette insistance de... du FPR de faire partir ces troupes ?

R. Je suis désolé de vous avoir interrompu, mais à l’évidence, « le » Français était l’ennemi, ils s’étaient opposés aux forces gouvernementales, ils n’ont pas signé l’Accord de paix, ils n’y avaient aucun rôle à jouer ; et ils pourraient même être une force qui déstabiliserait les forces sur le terrain. Et donc, de toute évidence, et si nous suivions cette logique, ils devaient partir.

Q. Donc, récapitulons... Un instant, s’il vous plaît.

Donc, récapitulons : Vous n’avez pas considéré cette condition, cette persistance de la part du FPR, comme étant une ruse probable potentielle de la part du FPR pour prendre le pays.

Lorsque vous dites, Général, que ces 200 troupes... 2 000 troupes n’avaient pas leur importance, alors je ne suis pas d’accord avec vous, car dans votre livre, vous y revenez : Ces troupes étaient la raison pour laquelle le FPR n’avait pas pris le pays. Avant 1994, « il » devait certainement jouer un rôle. Ces troupes étaient sur le terrain lorsque l’opération a eu lieu. On les estimait à environ, 1 500… 1 500 armées... troupes armées, 300 troupes qui ne faisaient rien d’autre que garder les barrages routiers et les bâtiments. Je pense que ce sont deux capacités différentes. Elles ont joué un rôle important en 1992 et 93 ?

R. Oui.

Q. Cela multiplié par dix, en terme de capacité des forces.

Page 600... 663, le passage concernant la sécurité interne générale. Nous traitons toujours du rapport de reconnaissance, page 663. Paragraphe 77, vous dites :

« L’Accord de paix signé à Arusha est un succès et a... et a permis au Rwanda de mettre fin au chaos et à la guerre civile. L’on a anticipé que la situation sécuritaire, en fait, empirait pour un laps de temps. Maintenant que l’Accord de paix a été signé... »

C’était là votre évaluation et votre point de vue à l’époque, n’est-ce pas, Général ?

R. Oui.

Q. Au paragraphe 78, le paragraphe suivant, vous vous penchez sur ces menaces en matière de sécurité. Au paragraphe D), vous parlez de bandits armés, constitués de déserteurs de l’armée rwandaise et de la Gendarmerie. Vous aviez donc cette information en août 1993, que c’était là un problème de taille, qu’il y avait beaucoup de déserteurs, soit de l’armée rwandaise, soit de la Gendarmerie rwandaise, qui pourraient constituer une menace, n’est-ce pas ?

R. Cela m’a été communiqué par les Rwandais eux-mêmes. Ils étaient préoccupés par rapport à ces déserteurs qui existaient. Nous ne les avons... Nous n’avons jamais pu en savoir le nombre exact.

Q. Je suppose que le nombre était suffisamment important...


M. LE PRÉSIDENT :
Maître Mac Donald, veuillez maintenir une pause, pour l’interprétation.


Me MAC DONALD :

Q. À ce point, je suppose que, même si nous n’avons pas de chiffre exact, le nombre, cependant, de ces déserteurs, était suffisamment important pour constituer une menace sérieuse.

R. Oui, c’était une menace « sur » la sécurité.

Q. Paragraphe E) : L’accès facile aux armes, n’est-ce pas ?

R. Oui.

Q. À cet effet, je dispose d’informations émanant de sources diverses disant que vous pouvez acheter, disons, des grenades à concurrence de, disons, 3 dollars américains ; êtes-vous d’accord avec moi ?

R. Oui, c’est exact.

Q. Et enfin, toujours sur la même page, paragraphe H)... sous paragraphe H), toujours sur les menaces en matière de sécurité, vous parlez de l’incapacité du Gouvernement rwandais à faire face aux crimes croissants dans le pays, en particulier à Kigali ?

R. Ces informations nous ont été communiquées par les autorités rwandaises.

Q. Très bien. Et une fois de plus, au paragraphe 88 — banditisme suspect par les gendarmes et les déserteurs de l’armée —, vous dites que les équipes les plus efficaces et les mieux formées ont été envoyées sur la ligne de front, pour contrer l’avancée du FPR. Une fois de plus, c’était là des chiffres qui vous avaient été donnés à l’époque ou était-ce votre évaluation ?

R. C’était l’évaluation et les actions prises fin 1992.

Q. Paragraphe 89 : Vous dites qu’un… (inaudible) semblable des... des recrues mal formées ont été introduites dans l’armée. Le niveau de discipline et de morale des forces a baissé.

Beaucoup de gendarmes et de soldats ont déserté et ont formé des groupes de bandits sans liens étroits. Ces bandits gravitaient autour de Kigali, où ils pouvaient aisément se couler dans les « importantes » nombres d’hommes armés en uniforme, et étaient responsables du gros des attaques sur les routes et dans les résidences dans Kigali et dans ses alentours.

Cette évaluation qui remonte — une fois de plus — à août 93, eh bien, vous n’étiez pas informé de cette situation au paragraphe 89, c’est-à-dire l’infiltration des déserteurs ? N’aviez-vous pas une indication que c’était la situation en avril 1994 ?

R. Un instant.

Ceci m’a été communiqué par les autorités rwandaises en 1993… août 1993. Et la préoccupation au sujet de la situation sécuritaire à cause de l’impact de trois années de guerre civile, lorsque je suis arrivé en octobre, il y avait très peu de cas, de situations qui avaient cours ; mais cette situation a empiré avec les mois, à mesure que la situation politique restait dans l’impasse.

Telle était donc la situation au début du mois d’avril.

Q. Je vous remercie. Je... J’en terminerai bientôt avec ce rapport.

Je vous renvoie au paragraphe 93, à la même page, où on parle de ces grenades à 3 dollars américains. Et également, je comprends que les fusils kalachnikov étaient facilement accessibles sur le marché ?

R. Oui, nous ne l’avons pas vécu, c’était l’un des rapports verbaux que nous avons reçus. Le Gouvernement, lui-même avait, déclaré qu’il avait distribué des armes à la population civile à des occasions précédentes. Donc, il était possible d’acheter des armes, et il y avait donc aussi une certaine quantité d’armes qui avaient déjà été distribuées à la population ; et cela constitue, bien entendu, un risque sécuritaire.

Q. Mais une fois de plus, Général, même si vous n’avez pas vu de vos propres yeux, et en supposant que vous avez pris au sérieux cette information au point de l’inclure dans votre rapport, eh bien, il n’y avait aucun doute dans votre esprit.

R. Je devais le faire dans le pire scénario qui m’a été présenté. Eh bien, c’était l’une des raisons de la création de cette zone de consignation des armes. Il fallait qu’on… mener des contrôles inopinés sur la route et à d’autres endroits, pour essayer de contrôler le mouvement des armes à l’intérieur et à l’extérieur de la capitale.

Q. Et vous convenez, également, que plusieurs armes ont été distribuées au secteur privé par le MINADEF, notamment les gardes forestiers des parcs nationaux, ainsi que les gardes douaniers. Ces personnes avaient également des armes, n’est-ce pas ?

R. Et c’est ce qu’a fait également la... la police communale. « Ils » avaient des armes. Je ne sais pas combien de munitions ils avaient, mais il y avait également la distribution à la population générale, au titre du concept de l’autodéfense civile.

Q. Très bien. Et à votre connaissance, ces armes étaient encore en circulation en avril… le 6 avril 1994 ; est-ce exact ?

R. Nous espérions que nous pourrions contrôler ce que nous pouvions dans la zone de consignation
des armes, mais pour ce qui est du reste du pays, je n’avais aucun moyen de déterminer s’il y avait plus ou moins d’armes.

Q. Un dernier point, Général.

Toujours dans votre rapport de situation, la page qui se termine par « 708 » en cote. Vous dites, paragraphe C)... alinéa C)... paragraphe 253, alinéa C), vous dites :

« La prévalence des armes dans tout le pays, l’historique "des" banditismes et d’escadrons de la mort, l’existence des mouvements paramilitaires appartenant à certains partis politiques,
et l’inefficacité totale du système de police communale, et le très mauvais état de ce qui restait de la Gendarmerie, tout cela contribue à une escalade des tensions internes parmi les pauvres et la population générale... en général, et dans les camps de déplacés en particulier.

Général, c’était là, encore, votre évaluation de la situation en 1993 ?

R. Oui, selon les informations que nous recevions.

Q. Dans la première question que je vous ai posée, Général, j’ai oublié un point, s’agissant de la préparation de votre déposition ici. Elle a trait à vos notes personnelles.

Nous comprenons que pendant que vous étiez sur le terrain au Rwanda, en 1993, 1994, vous avez pris des notes personnelles des événements ; est-ce exact ?

R. Non, je tenais un... un journal quotidien des activités que je devais mener, plus des notes très personnelles de mon propre gré qui comprenaient des questions qui allaient au-delà des Nations Unies ou de la Mission.

Q. S’agissant de votre agenda, avez-vous toujours cet agenda ?

R. Oui, j’ai toujours mon agenda.

Q. Cela constitue-t-il un problème pour vous ou une difficulté si nous vous demandions... si je vous demandais, dans tous les cas, de nous donner une copie de cet agenda ?

R. Oui.

Q. Et pour quelle raison ?

R. L’agenda contient des notes personnelles, des informations personnelles, des informations sensibles qui n’ont rien à voir avec la Mission ; et à ce titre, je considère ces informations comme étant ma propriété personnelle, qui n’a aucune conséquence par rapport à ma déposition par-devant ce Tribunal.

Q. Mais je comprends, Général Dallaire, que vous avez fait allusion à ces notes personnelles dans la préparation de votre déposition ici, aujourd’hui ; est-ce exact ?

R. Fait intéressant. Je n’ai pas ouvert un de mes agendas tout au long de la préparation ; et l’une des principales raisons, c’est que je n’ai pas eu le temps de le faire. Et donc, je ne fais pas nécessairement référence à ces notes. Donc, je n’ai pas utilisé cet agenda.

Q. Mais avez-vous « ces » agendas par... en votre possession, là, maintenant ?

R. Non, je ne les ai pas avec moi.


Me MAC DONALD :
Très bien. Je vais donc passer au français pour la section que je vais entamer, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Maintenez une pause.


Me MAC DONALD :
Oui, Monsieur... Monsieur le Président.

Q. Vous aviez reconnu, dans... notamment dans votre ouvrage, que votre mission au Rwanda avait été un échec ; c’est exact ?

R. C’est exact.

Q. Et je comprends que votre... votre remplaçant, c’était le... je ne suis pas certain de son... de son rang, mais... général Tuzinya ; est-ce possible ?

R. Vous êtes intermittent. Si vous me demandez qui m’a remplacé, oui, c’était le général...


L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Nous n’avons pas entendu le nom.


Me MAC DONALD :

Q. Considérez-vous que le Général Tuzinya, qui était votre successeur, allait, dans tous les cas, être responsable de cet échec… — désolé de passer du français à l’anglais — de l’échec de la Mission ? Avez-vous compris la question ?

R. Oui, je l’ai comprise. Ma réponse est que je commandais une mission de maintien de la paix, et la mission de maintien de la paix a échoué parce que nous nous sommes retrouvés dans la guerre et, finalement, dans un génocide. Et dans ce contexte, la mission a échoué.

Q. Mais une fois de plus, ne le considérez pas comme une attaque personnelle, il semble que tout au long de votre déposition ainsi que dans votre livre, vous reconnaissez plus ou moins que vous assumez une partie de la responsabilité de cet échec ; est-ce exact ?

R. Oui, je le reconnais.

Q. Et la question est la suivante : Qu’en est-il de votre successeur, le général Tuzinya ? Le considérez-vous comme étant responsable de cet échec ?

R. Je ne sais pas si nous sommes au même diapason. J’ai dit que la Mission a échoué parce que nous nous sommes retrouvés en guerre civile et dans un génocide, et la mission de maintien de la paix a cessé. Nous avons eu un nouveau gouvernement qui s’est installé. Le général Tuzinya est venu avec un mandat différent et il a mené sa mission en fonction de ce qu’il pensait devoir faire, je ne vois pas de lien.

Q. Mais une fois de plus, je dois vous « presser » un peu plus. En… N’avez-vous pas reconnu que… que vous aviez une part... une part importante à jouer dans cet échec… que vous avez joué une part importante dans cet échec ?

R. Ma mission consistait à aider les Rwandais à parvenir à un accord de paix, mais ce que j’ai obtenu, c’est une guerre civile et un génocide. Et dans ce contexte, ma Mission n’a pas été accomplie. J’avais une mission de maintien de la paix, et finalement, il ne s’agissait plus de maintien de la paix.

Q. Très bien. Mais vous-même, je comprends que l’entité de la mission… eh bien, vous en tant que commandant n’y voyez aucune attaque. Vous-même personnellement, considérez-vous votre rôle comme ayant été un facteur important dans l’échec de votre mission ?

R. Je n’ai jamais évalué ce rôle comme étant important ou non. J’ai mené mon analyse propre et j’étais redevable auprès de ma mission. Je pense que j’aurais pu mieux faire. Et finalement, ma mission n’a pas obtenu les résultats qu’elle devait obtenir, elle a échoué, j’en étais le commandant.

Q. Relativement au général Tuzinya, encore une fois, pourriez-vous attribuer une part de responsabilité de cet échec de votre mission à cet homme, en sa qualité de successeur ?

R. Nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, encore une fois. La Mission a échoué le 7 avril 1994 lorsque l’Accord de paix a été enfreint, que nous étions en guerre civile et dans une situation de génocide. Suite à cela, il y a eu toute une série d’événements, un nouveau mandat, une nouvelle structure des forces tout entières, une situation finale avec un nouveau Gouvernement. Nous parlons de choses différentes, vous et moi, ici.

Q. Je comprends, Général. Je vais passer au français à présent, j’en suis désolé.

Vous avez établi, Général, dans le passé que, manifestement, vous et votre mission « n’étaient » pas suffisamment préparés pour ce qui vous attendait au Rwanda. Et vous décrivez certaines raisons dans votre livre ; vous mentionnez également qu’il y avait une certaine lacune au niveau de la documentation que vous aviez consultée au préalable. Et vous avez également témoigné en chef sur la documentation qui vous avait été fournie ; c’était, si je comprends bien, très limité.

La question : Avez-vous, oui ou non, communiqué avec certaines ambassades du Rwanda en Amérique du Nord pour vous documenter, pour avoir des informations sur la situation sociopolitique et militaire et autre avant, évidemment, votre mission de reconnaissance ?

R. Comme je l’ai dit tantôt, j’ai fait une recherche par rapport aux renseignements qui étaient disponibles au sein des services de renseignements au niveau des Nations Unies. J’ai également eu l’occasion de parler à un universitaire fort connu pour sa connaissance de la région et du Rwanda. J’ai lu autant que je le pouvais toute information disponible sur les médias, et j’en passe. Le général Tikopo également m’a informé qu’il était présent pendant toutes les délibérations, pratiquement, à Arusha. Suite à cela, lorsque j’ai été sur le terrain, lorsque je recevais des informations sur une base quotidienne, suite à mon expérience au quotidien avec les Rwandais…

Q. Votre réponse est non, vous n’avez pas… vous ne vous êtes pas documenté auprès des ambassades rwandaises ?

R. Je n’ai certainement pas contacté les ambassades rwandaises de par le monde pour m’enquérir de la situation au Rwanda, les ambassadeurs m’ont informé au cours de ma reconnaissance sur leur évaluation de la situation. À plusieurs reprises, ils ont pris part aux exercices d’information pour moi-même et le Représentant spécial. Ils nous disaient ce qu’ils savaient, et c’est sur cette base que nous avons avancé. Comme vous le savez, une mission de maintien de la paix n’a aucune compétence quand il s’agit de renseignements.

Q. Nous y reviendrons.... (inaudible) qui, à l’égard de la MINUAR, évidemment, touche des questions de partialité. On vous reproche vous, Général, et on… je vous ai lu les extraits de votre propre... Alors, on vous reproche notamment de ne pas avoir été neutre, et c’est… non pas nécessairement le 6 avril et le 7 avril, mais dès votre arrivée au Rwanda, et certains disent même que cette partialité-là de la part de votre mission et de vous-même est attribuée partiellement au fait que vous avez, dès votre arrivée au Rwanda, et dans votre cas à vous — on sait que vous avez séjourné en Ouganda pendant un certain temps ; et certains reproches qui vous sont faits, encore une fois, découlent du fait que vous… que la partialité finalement est attribuée au contact que vous avez eus dès… dès les premières... les premières heures « dans » le sol rwandais. Et Ruzibiza… Adolphe Ruzibiza, dans son ouvrage, écrit à la page 221 — et qui se trouve dans le cartable 2, document 2, Maître Bâ — que justement, à cet effet-là, la RTLM avait dénoncé la partialité de la MINUAR dès le début. Et la partialité de la MINUAR aux… (inaudible) FPR.

Ces informations-là dénonçaient également — informations de la RTLM — que la manipulation dont la MINUAR faisait l’objet… ou que la MINUAR… ou que la manipulation — je m’excuse — dont la MINUAR faisait l’objet provenait de la part de filles tutsies... de Landouald Ndasingwa… Lando, qui était lui, marié à une femme canadienne, madame Pensky, qui était votre compatriote. Vous vous souvenez de ces allégations-là, de la part de la RTLM ? Et pour vous situer, Général, on parle de décembre ou janvier… décembre 93, janvier 94.

R. Non, je ne me souviens pas de ces allégations, je suis même surpris que vous utilisiez la RTLM comme référence.

Q. Je vais revenir à la RTLM… et dans certains des propos de la RTLM. Et ce qu’on vous reproche également, Général, c’est que dès le départ, vous-même en tant que commandant de la force, vous avez été imprégné par une certaine idéologie politique pro-FPR, notamment, vous avez été encadré par Anastase Gasana qui était le Ministre des affaires étrangères jusqu’au 6 avril, qui était manifestement pro-FPR, vous avez été imprégné également par le Premier Ministre Agathe, par Landouald, par Faustin, vos amis, et finalement le… Encore une fois, certains attribuent cette partialité-là, de la MINUAR, à ces contacts initiaux avec ces gens-là.

Et à cet effet-là, Général, je voudrais tout simplement vous citer une illustration dans votre livre, à la page 193, version française, lorsque vous dites : « C’était crucial d’avoir Mugenzi, c’était crucial d’avoir Mugenzi de notre côté. » C’est exact ? Comment pouvez-vous…

R. J’essaie de retrouver la page dans mon livre. Où exactement ?

Q. Cinquième ligne. Vous avez dit : « Il était donc crucial de l’avoir de notre côté pour nous sortir de l’impasse. » Eh bien évidemment, vous parlez de Mugenzi qui était, selon vous, un charmant aimable et plein de doigté. Là où j’en ai, Général, c’est lorsque que vous utilisez le terme « qu’il était important de l’avoir de notre côté. » Vous faites référence à quoi au juste lorsque vous dites ça ?

R. J’essaie de répondre, car nous avons couvert un grand domaine : Les opinions des uns et des autres, mon opinion, ma partialité par rapport aux personnes que je rencontrais, etc., etc., et finalement, nous avons une question sur Mugenzi à présent.

Tout d’abord, je voudrais mentionner que beaucoup de personnes dont vous avez parlé, Agathe, Faustin, les autres, ne se sont jamais considérées comme étant des pro-FPR. En fait, ils disaient qu’ils n’étaient pas des pro-FPR, c’était le troisième élément dans le débat politique. Vous aviez le MRND, ou plutôt la position présidentielle du Président du MRND qui était pro-hutu, la position du FPR, l’un des ex-belligérants dont la position se basait sur le point de vue tutsi, des réfugiés, etc. Vous aviez également la population hutue qui n’avait jamais été consultée par le MRND, il n’y a jamais eu de véritables élections. Et ces nouveaux partis s’identifiaient comme des entités qui n’étaient ni FPR, ni qui étaient à base ou à orientation hutue. Nous avions donc deux... trois organes politiques qui existaient à l’époque. Donc, en plein milieu, il y avait ceux qui manœuvraient ou ceux qui étaient influencés par une partie ou une autre, la ligne dure hutue ; l’autre… les autres qui étaient une ligne beaucoup plus souple du côté hutu, qui essayaient la réconciliation. Et Mugenzi est l’un de ces hommes qui se retrouvait au milieu de cette situation. Et le débat, des mois et des mois, était dû au fait que nous ne savions pas finalement qui devait occuper quel poste ministériel, afin de pouvoir installer le Gouvernement de transition à base élargie.

Donc, les personnes comme Mugenzi étaient sur la ligne de front, étaient au devant de la scène pour trouver une solution… pour trouver une solution, comme je disais, presque impossible à cette impasse. Donc, il se retrouverait au milieu de tout cela. Il était donc important de l’avoir du côté de ceux qui prendraient la décision finale. S’il était d’un côté ou d’un autre, oui, O.K., mais nous essayions… nous essayons d’équilibrer tous ces partis pour permettre aux deux lignes dures — le MRND et le FPR — de se réconcilier et mettre en place le Gouvernement.

Q. J’ai un peu de difficulté à vous suivre lorsque vous dites, Général, qu’Agathe et Faustin Twagiramungu du MDR n’étaient pas pro-FPR, vous saviez pourtant que le MDR avait pactisé avec le FPR à Bruxelles en 1992 — je crois en juin 92 — avec les autres partis, contre le MRND. Est-ce que c’était à votre connaissance ?

R. Je n’ai pas connaissance des négociations détaillées ni de tout ce qui se passait, des allées et venues à Arusha et à Bruxelles. Donc, le fait qu’un parti politique qui s’allie à un autre parti pour atteindre un objectif spécial est quelque chose qui se passait dans ce pays, et dans chaque pays tous les jours.

Q. (Début de l’intervention inaudible)… Ce n’est pas le fait qu’un parti pactise avec un autre, le FPR contre un autre parti, le MRND. Je ne pense pas qu’on pourrait attribuer un qualificatif de pro-FPR au MDR.

R. J’ai dit simplement qu’à ce point, quelle qu’en soit la raison, ils ont créé une alliance pour atteindre l’objectif avec le FPR. Très bien, mais puisqu’ils ont pactisé avec le FPR, cela ne fait pas d’eux le FPR, c’était là l’argument du MRND. Donc, pour le MRND, il n’y avait que deux entités : Une était tutsie et quelques Hutus du côté du FPR, tandis que tous les autres Hutus étaient du côté du MRND, ce qui en fait, n’était pas vrai. J’ai eu l’occasion de discuter avec certains de ces politiciens au cours des années... des mois.

Q. Général Dallaire, certains... certains allèguent que votre partialité à l’égard du FPR et de ses alliés vous a même poussé à vous immiscer profondément dans la vie politique rwandaise en tentant de solutionner les questions constitutionnelles les plus complexes.

Et à cet effet-là, j’ai remis à mon confrère un rapport… le rapport de Bernard Lugan qui a été déposé dans Militaires I la semaine passée… j’essaie de trouver la...


M. BÂ :
Maître Mac Donald...


Me MAC DONALD :
« 2, 14 », cartable 2 document 14.


M. BÂ :
Bernard Lugan témoignait pour qui ?


Me MAC DONALD :
Il témoignait pour la Défense, mais jusqu’à très récemment, Bernard Lugan témoignait pour
le Procureur, vous le savez, Maître Bâ. Il a radicalement changé sa vision des choses.


M. BÂ :
Je voulais seulement la précision.


Me MAC DONALD :
Oui. C’est dans le cartable 2 document 14.

M. DALLAIRE:
Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui. Oui, Général.


M. DALLAIRE:
Je me demande si je ne vous impose pas le fait qu’étant donné le fait que nous nous sommes levés très tôt et la longueur de la déposition, que nous ayons une brève suspension d’audience.


M. LE PRÉSIDENT :
Combien de temps voulez-vous ?


M. DALLAIRE:
10 minutes au maximum.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien. L’audience est suspendue pour 10 minutes.

(Suspension de l’audience : 19 h 5)

(Reprise de l’audience : 19 h 15)

M. LE PRÉSIDENT :
Général, êtes-vous prêt ?


M. DALLAIRE :
Je vous remercie, Monsieur le Président.


Me MAC DONALD :
Honorables Juges, nous avons fait allusion massivement au rapport de connaissance. Le général Dallaire a ce rapport sous ses yeux. On me dit qu’il a été versé comme identification. Peut-être devons-nous le faire du Canada ?


M. LE PRÉSIDENT :
C’est le document que le général a sous les yeux. Si cela convient à toutes les parties.

Monsieur Kouambo...


M. BÂ :
Aucune objection, mais à condition que notre représentant au Canada puisse bien l’examiner avant qu’il soit versé, si vous le faites à partir de là-bas.


Me MAC DONALD :
Exceptionnellement, dans ce cas-là, Maître Bâ, j’en ai pas d’autres copies pour ça.


M. KOUAMBO :
(Intervention inaudible)


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, Monsieur le représentant du Greffe, vous pouvez donner le numéro. « D. 100... »


M. KOSHOPA :
« D. 153. »


Me MAC DONALD :
Pouvez-vous rappeler l’identification qui a été donnée… le numéro d’identification ?


M. LE PRÉSIDENT :
Si cela est important, eh bien, le document qui a été versé sous la cote D. 153 a d’abord reçu un numéro d’identification. Et donc, la cote D. 153, entre parenthèses, Bizimungu.

Oui, poursuivez.

(Admission de la pièce à conviction D. 153 (Bizimungu))


Me MAC DONALD :
On en était à… au document de Bernard Lugan — et j’attire votre attention à la page 110 du document...


M. KOUAMBO :
Oui, Monsieur le Président...


M. LE PRÉSIDENT :
Oui.


M. KOUAMBO :
Je n’ai pas bien compris la cote. Vous voudriez bien la répéter ?


M. LE PRÉSIDENT :
Oui, « D. 153 », et entre parenthèses, Bizimungu.


M. KOUAMBO :
Je vous remercie, Monsieur le Président.


Me MAC DONALD :
Voilà ce que pense l’expert Bernard Lugan, Général Dallaire, sur le fait pour la MINUAR de s’immiscer… plus particulièrement, de s’immiscer dans la vie politique rwandaise. Alors, c’est la page 110, encore... c’est le document 2... en fait, cartable 2, documents 14, paragraphe 2. Et encore une fois, n’y voyez pas une attaque personnelle, Général, je vous lis tout simplement les conclusions du rapport... ou une partie du rapport.

Alors : « L’expert Mugenzi, incapable de garantir la sécurité de ses propres hommes, comme l’a tragiquement montré l’affaire des Casques bleus belges — et on se réfère à votre ouvrage, Général, page 367 et suivantes — le général Dallaire a de plus singulièrement compliqué la situation politique rwandaise en s’immisçant, à la fois avec arrogance et incompétence, dans un débat constitutionnel qu’il a largement contribué à faire dégénérer en une dramatique situation de crise. »

Et également, l’expert Lugan fait référence, encore une fois, à Jacques-Roger Booh-Booh, dans son ouvrage, à la page 14, et où Booh-Booh dit : « Cet officier voulait faire un métier pour lequel il n’avait aucune compétence : La diplomatie, et parfois même la politique. »

Alors, admettez-vous, Général, que vous avez, par intérêt ou pour autres raisons, tenté de vous accaparer d’une certaine juridiction que vous n’aviez pas, en vous immisçant justement dans la vie politique rwandaise ?

R. Maître, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais que nous revenions sur la lecture que
vous avez faite, nous n’avons pas bien suivi, il y a eu une coupure.

Mais pour répondre à votre question et le commentaire de celui que vous appelez « expert »— je n’ai pas les moyens de le confirmer — il me revient, en qualité du numéro 2 de la Mission, de prendre part au processus de décisions de la paix, bien... aux décisions prises par la Mission. Dans le livre, version française — je pense, c’est à la page 193 — si nous continuons la lecture de cette page et la page suivante, vous verrez que, même si j’ai été contacté pour faciliter les négociations, ce qui s’est passé, j’en référais au Représentant spécial pour qu’il puisse apporter des solutions ou nous mener à des conclusions.

Cela vaut également pour Madame Agathe. Je n’ai jamais pris une décision indépendante arbitraire, j’ai fait une proposition et j’ai soumis cela à ma hiérarchie, séparément, il a acquiescé à cela. En fait, je n’ai pas cherché à m’immiscer en politique, j’étais facilitateur dans un processus dans lequel je référais les décisions politiques au Représentant spécial.

Au cours des délibérations, à quelques rares exceptions, le Représentant spécial avait demandé que je m’asseye à sa droite, au cours de ces réunions, pour essayer de trouver une solution politique avec Faustin Twagiramungu, le Premier Ministre désigné qui s’asseyait à sa droite. Tout d’abord, je jouais un rôle d’interprète, nous n’avions pas d’interprète en français et en anglais. Mais parfois, j’étais là, j’écoutais, j’écrivais, je faisais des commentaires ou des observations au Représentant spécial.

Q. Justement, la question d’Agathe. Votre opinion — et d’ailleurs, ça se reflète dans votre ouvrage, à la page 290 — votre opinion était à l’effet que — et ce, dès le 6 avril, suite à l’assassinat du Président — votre position à vous, personnelle, était à l’effet qu’Agathe était l’autorité légitime pour remplacer le Président. Et vous avez parlé, également dans votre témoignage en chef, de la position de Bagosora. Et Lugan, justement… et plus particulièrement lorsque vous dites que Bagosora semblait tenir au fait qu’Agathe ne pouvait pas être, dans ces circonstances-là, portée au pouvoir.

Et dans son rapport d’expertise, Lugan, à la page 105, en référence au témoignage du major Beardsley, lequel avait mentionné — encore une fois, c’est à la page 105 — et qui dit ceci… — pour illustrer le fait que Bagosora avait l’appui de tous, lorsqu’il a insisté pour qu’Agathe ne soit pas... ne devienne pas la remplaçante du Président — alors, il dit ceci : « Les officiers se sont esclaffés et ont dit qu’il n’y avait pas de Gouvernement. Ils manifestaient leur mécontentement dès qu’ils entendaient le nom d’Agathe. » Et encore une fois, cette citation se retrouve dans le témoignage du major Beardsley du 30 janvier 2004, dans Militaires I à la page 20.

Et Lugan explique de plus, à la page... aux pages 105 et 106 les raisons pour lesquelles Agathe ne pouvait être portée au pouvoir — et je vous en fait grâce, puisque je déposerai le rapport éventuellement. Et votre supérieur, Général Dallaire — et c’est là où j’en ai, dans votre affirmation à l’effet que vous secondiez le Représentant spécial. C’est que, justement sur cette question d’Agathe, là, même le Représentant spécial s’était relié à l’argument tant politique que constitutionnel, à l’effet que le MRND devait mettre tout en œuvre pour trouver un remplaçant au Président Habyarimana ; ça apparaît à la page 107 de son rapport.

Et ce qui ressort également de votre interrogatoire en chef et du contre-interrogatoire de mes confrères, c’est que vous, Général, avez tenté par des manœuvres détournées d’amener Agathe à s’adresser au peuple « Rwanda » par voie de radio. Et vous serez d’accord avec moi, Général Dallaire, qu’il avait pourtant été décidé qu’aucun politicien ne prendrait la parole à la radio tant que le nouveau Gouvernement ne soit formé. Et encore une fois, je vous réfère au rapport de l’expert Lugan, à la page 108, lequel fait référence à la déclaration du colonel Kayumba : K-A-Y-U-M-B-A.

Et Lugan reprend également à la page 109, un extrait du contre-interrogatoire... de votre contre-interrogatoire dans Militaires I, où il est clairement démontré que vous n’avez d’aucune façon informé, tant le 6 que le 7 avril, mais plus particulièrement le 6... dans la nuit du 6 au 7, vous n’avez aucunement informé les militaires qui vous avaient pourtant invité de vous joindre à eux, dans la nuit du 6 au 7, vous n’aviez à aucun moment informé ces gens-là de votre intention de faire parler Agathe à la radio. Vous êtes d’accord avec ça ? C’est un simple « oui » ou « non », je pense, Général.


M. BÂ :
Maître ,votre question a duré 10 minutes et vous voulez qu’il réponde par un « oui » ou par un « non ».


Me MAC DONALD :
(Début de l’intervention inaudible)… Bon, je vais le faire de la façon la plus laborieuse.

Q. Êtes-vous d’accord, Général Dallaire, que l’idée que vous aviez... que vous aviez eue dans la nuit
du 6 au 7 avril de demander à Agathe de s’adresser au peuple, cette idée-là, Général Dallaire, vous saviez que c’était une idée qui était... qui allait contre les intentions des militaires présents au comité de crise dans la nuit du 6 au 7 — en fait, ce n’était pas encore un comité de crise — mais devant les officiers qui étaient présents ; vous saviez ça ?

R. Je me demande si vous me dites que les officiers avaient déjà indiqué qu’ils étaient contre le Premier ministre du pays qui disposait de l’autorité légale dans cette responsabilité concernant la bonne gouvernance du pays. Le fait que tout d’un coup le Président « n’est » pas là, ne fait pas d’elle tout à coup l’ennemie de tous. Non, j’ai considéré qu’ils allaient accepter qu’une autorité légale existait encore, qu’ils... J’ai pris pour acquit qu’ils allaient respecter le Premier ministre.

S’agissant de la constitutionalité de la question, vous avez tout à fait raison. En termes constitutionnels, je dois dire que je n’étais pas... je ne maîtrisais pas particulièrement la structure rwandaise. Au plan constitutionnel, il incombait au président de la Cour suprême et au président de l’Assemblée de prendre les décisions concernant la continuité du Gouvernement et le remplacement du Président. Dans un cas, il avait disparu... le président de la Cour constitutionnelle avait disparu, avait-il été tué ? Pour le président de l’Assemblée, je ne savais pas ce qui lui était arrivé. Mais à aucun moment, pour ces officiers ni même le chef de cabinet qui était un officier retraité... donc, à aucun moment, il n’a soulevé d’autres options... donc, du comité de crise... devant la table du comité de crise.

Q. Une déclaration du colonel Kayumba qui a été produite dans Militaires I, dans laquelle déclaration le colonel dit ceci : « Il avait été décidé qu’aucun politicien ne puisse — et c’est à la page 108, Maître Bâ. Il avait été décidé qu’aucun politicien ne puisse prendre la parole à la radio nationale, sans et tant, ou que le nouveauGouvernement ne soit formé. Le général Dallaire et le colonel Marchal avaient été mis au courant de la chose. »

Alors, la question est simple : « Oui » ou « non », êtes-vous d’accord avec cette déclaration-là... du colonel Kayumba ?

R. Je ne sais même pas qui est cette personne, je ne sais même pas s’il était à la réunion. Je ne sais même pas quand il l’a dit, si c’était avant, ou après, ou pendant la réunion.

Q. La question est simple : Vous n’avez pas à connaître les tenants et les aboutissants. N’est-il pas exact — et je me réfère à la déclaration, mais je pourrais ne pas m’y référer non plus —, n’est-il pas exact, Général, qu’il avait été décidé, dans la nuit du 6 au 7 devant ce comité d’officiers-là qu’aucun politicien ne puisse prendre la parole à la radio nationale sans et tant que le nouveau Gouvernement ne soit formé ? Étiez-vous au courant de cette prise de décision-là, de la part des officiers présents au quartier général dans la suite du 6 au 7 ? Un simple « oui » ou « non ».

R. Je ne me rappelle pas que cette déclaration ait jamais été faite devant ma personne.

Q. Et pourtant, lorsque vous avez pris l’initiative de faire entendre Agathe à la radio le 7 avril… n’est-il pas exact que vous n’en avez parlé avec personne, vous n’avez consulté personne ? Et le but de l’exercice, c’était justement de mettre les officiers qui, éventuellement... — est devenu ou qui faisait partie de ce qu’on a appelé « le comité de crise » — de mettre ces gens-là devant un fait accompli. Et si vous en avez parlé...

R. J’ai consulté le Représentant spécial pour solliciter son opinion sur le bien-fondé de cette action.
Il était mon... et mon chef politique et mon patron se sont mis d’accord avec cette initiative. Donc, je l’ai poursuivie.
Q. En avez-vous parlé avec les militaires ? « Oui » ou « non » ? La question, elle est simple.

R. Je ne l’ai pas fait.

Q. Pourquoi ?

R. La position que j’avais adoptée à l’époque était une position d’incertitude relativement « au fait » de savoir si j’avais en face de moi un groupe d’officiers qui étaient des complices potentiels dans un coup d’État, ou qui réagissaient simplement à la crise en cours, ou qui réagissaient à mon bagage de démocrate. Il me semblait absolument illogique qu’un chef politique ne soit pas appelé à mener une action visant à calmer la population, un leader qui était reconnu par les Nations Unies, par le Représentant spécial sur le terrain comme étant l’autorité légitime dans ce Gouvernement de coalition.

Q. Mais encore une fois, Général, vous avez — et je vais reprendre la formulation qui vous avait été faite dans Militaires I — vous avez des militaires qui viennent de prendre... qui viennent de perdre — je m’excuse — leur chef d’État, qui sont en réunion, qui prennent l’initiative de vous demander de venir assister à la réunion, qui s’expriment devant vous, qui acceptent ou qui demandent à aller voir le Représentant spécial. Et dans le même temps, vous prenez des initiatives qui doivent... qui auront des implications graves sans même les informer. Et vous les mettez devant un fait accompli. Et la question, je vais vous reposer la question : Est-ce que vous ne pensez pas, Général, que c’était là un facteur de déstabilisation dans une situation qui était déjà quasiment explosive ?

R. Les facteurs déstabilisants, Maître, à ce moment, étaient le fait qu’il n’y avait pas de leadership politique ou qu’on ne voulait pas en accepter un. Les Nations Unies étaient présentes pour aider le Gouvernement rwandais à produire et à appliquer l’Accord de paix. C’était donc là mon... ma conviction, appuyée par le Représentant spécial qui avait un leader et que nous étions venus soutenir, et que c’était Madame Agathe. Et dans ces conditions, j’ai proposé qu’elle ait l’occasion de ne pas créer le chaos, de ne pas inciter les gens, de ne pas accroître la tension ; mais comme elle l’a fait précédemment, d’aller à la radio et encourager la population à rester chez elle, à être calme et attendre que les mesures prises soient effectives. Et je ne vois pas comment cela pouvait envenimer la situation ou donner lieu à ce qui s’est passé par la suite.

Q. Général Dallaire, je comprends que c’était là votre intention, et je comprends également vos motivations. Mais j’arrive difficilement à comprendre pourquoi vous tentez de faire ça dans... tentez de mettre ces gens-là devant le fait accompli. Pourquoi ne pas avoir discuté de ça avec les militaires présents ? Et je vous dirai que même… même le... (inaudible) était d’accord avec la position du... des militaires à l’époque, à l’effet que c’était au MRND « à » remplacer le Président. C’était ça la clé au règlement de cette question-là. C’est le MRND qui devait le faire, et encore une fois, Lugan en parle à la page 107, lorsqu’il dit... En fait, je ne citerai pas tout le paragraphe, mais c’est le dernier paragraphe où on peut lire que Booh-Booh demande au colonel Bagosora de prendre contact avec les partis politiques, et notamment avec le MRND, pour que ce parti, en application avec les Accords d’Arusha — parce qu’on ne savait pas en ce moment-là, si… c’étaient ou les Accords d’Arusha ou la Constitution qui pouvaient trouver application — désigne en son sein, le nouveau Président de la République. Évidemment, vous n’étiez pas d’accord avec cette position-là, Général Dallaire, « oui » ou « non » ?

R. Attendez un instant. Je ne vais pas vous permettre de mettre des mots dans ma bouche, de me dire ce qui était mon discours. Non, premièrement : Je ne me rappelle pas que j’étais tout le temps… (inaudible) la discussion entre Bagosora et le Représentant spécial. Et quand la question concernant le MRND a été soulevée, ça a été un processus dans lequel Bagosora convainquait le Représentant spécial qu’ils voulaient une situation politique, mais que militairement, ils allaient garder le contrôle,et comment le Représentant spécial pouvait les aider. Et finalement, le Représentant spécial a... s’est arrangé pour que la matinée suivante, il y ait une réunion des principaux ambassadeurs à la résidence de l’ambassadeur des États-Unis pour que Bagosora définisse ce que ce processus politique allait être ; cette réunion n’a jamais eu lieu.

En ce qui me concerne et Agathe, à moins que je ne trompe, dans les précédentes dépositions, par écrit, j’ai dit qu’à plusieurs reprises, au cours de cette réunion du comité de crise, j’ai soulevé l’argument de la transparence et de ce que nous considérions comme l’autorité du Gouvernement, donc, Madame Agathe soit appelée à reprendre le processus politique. Et avec véhémence, cela a été refusé par tous.

Ma question est de savoir pourquoi ils ont refusé une personnalité politique qui était prête et qui avait déjà parlé précédemment à la population. Quel était leur problème ? Et finalement, comment a-t-elle fini par être tuée par les gardes présidentiels plus tard ?

Q. Et Lugan dit à cet effet, à la page 110 : « Ignorant la situation politique du pays, le général Dallaire a en définitive tenté un pronunciamiento en cherchant à imposer Agathe Uwinligiyimana à des militaires qui, comme nous l’avons vu, lui opposèrent très logiquement une fin de non recevoir. Sa responsabilité est donc écrasante dans la genèse des terribles événements qu’a connus le Rwanda. Son interventionnisme brouillon, son manque de méthode et son incompétence se sont tristement illustrés par cette déclaration incohérente faite devant le TPIR. » Et là...


M. LE PRÉSIDENT :
Allez-y lentement, Maître.


M. DALLAIRE:
Est-ce là la question ? Ma réponse...


Me MAC DONALD :

Q. Alors, je vois...


M. BÂ :
Maître Mac Donald, est-ce qu’on est là pour assener des commentaires de Lugan ou pour poser des questions ? Parce que si c’est pour des commentaires, moi, j’ai une seule question pour vous : En république, est-ce que sont des militaires qui doivent dicter leur loi au Gouvernement, ou est-ce que c’est l’inverse ? Dans une république viable, est-ce que ce sont les militaires qui commandent des civils ?


Me MAC DONALD :
Maître Bâ, si vous avez des commentaires à faire, vous les ferez à l’interrogatoire… Chacun a son interrogatoire…


M. BÂ :
(Intervention Inaudible : Microphone fermé)


L’INTERPRÈTE ANGLAIS-FRANÇAIS :
Micro, s’il vous plaît, Monsieur Bâ.


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention Inaudible : Microphone fermé)


Me MAC DONALD :
(Début de l’intervention inaudible)… Monsieur Bâ, Lugan a été votre expert pendant des années, Lugan.

Q. Alors, voici la déclaration que vous avez faite, Général Dallaire, et c’est à la page... c’est dans votre témoignage du 22 janvier 2004, et Lugan a fait référence à la page 111, et vous dites : « À ce moment-là, tous les volets de la Constitution rwandaise, je ne possédais pas...


M. LE PRÉSIDENT :
(Intervention non interprétée : Microphone fermé)


Me MAC DONALD :
… Et c’est ce que vous dites, encore une fois, Général : « À ce moment-là, tous les volets de la Constitution rwandaise... »


M. LE PRÉSIDENT :
Maître, vous êtes inaudible.


Me MAC DONALD :
Je reprends. « À ce moment-là, tous les volets de la Constitution rwandaise, je ne possédais pas une expertise, je tentais à manœuvrer à l’intérieur, de connaître comment il évoluait, mais ça allait devenir très bientôt une entité non existante parce qu’on allait créer, avec le Gouvernement de transition élargi... parce que de mise… à mon opinion… et de pratique… Madame Agathe reflétait pour moi, encore, le Gouvernement au niveau du Premier Ministre, et que le Président n’y existait pas. Et qu’elle encore, comme Premier ministre, avait une autorité ou une légitimité. » C’est ce que vous pensiez à ce moment-là, Général Dallaire.

R. Je sais que… J’essaie de répondre à une question entourée de commentaires, et j’aimerais que vous ramassiez votre question. Donc, ce faisant, je suis perdu. Je ne suis pas en mesure de comprendre votre question, en ce que j’aurais recommandé à Agathe d’aller sur les ondes de la radio. Cet événement ne s’est jamais produit, et cela n’a jamais influencé ce que les dirigeants militaires ont dit ou fait. Pourquoi… Ce que l’on peut déduire, c’est que, finalement, cette initiative qui n’a jamais été suivie des faits aurait pu expliquer la défaite catastrophique. Madame Agathe n’est jamais allée à la radio, elle a été tuée à sa résidence. À proximité, les commandants militaires ont continué à s’acquitter de leurs tâches. J’avais des problèmes par rapport à mes forces, non seulement, pour ce qui était des militaires tués, mais également d’autres militaires qui avaient été tabassés. Et encore une fois, je ne vois pas le lien que l’on essaie d’établir ici. Si je m’étais trompé, si j’étais erroné, alors, ces officiers, en particulier Bagosora, m’auraient dit : « Cela n’est pas approprié, c’est là un point de vue constitutionnel », et cela ne s’est jamais d’ailleurs posé.

Q. Et n’est-il pas exact, Général...

R. Lugan n’était pas présent.

Q. Vous avez même déclaré dans votre déposition du 19 janvier 1900... 2004 — je m’excuse — qu’Agathe était un personnage élu. Vous souvenez-vous avoir dit ça ?

R. Si je l’ai dit, c’était un commentaire pour dire qu’elle avait été élue ou que tous les différents acteurs ou parties prenantes s’étaient accordés sur sa personne. En fait, je savais qu’il n’y avait pas d’élection démocratique, ma mission était d’aider le processus de paix pour qu’en deux ans, l’on puisse avoir des élections démocratiques et sous surveillance dans le pays.

Q. Madame Agathe n’a jamais été élue puisqu’elle était un Premier ministre désigné et non pas
un Premier ministre d’élection.


M. BÂ :
Monsieur le Président, puis-je demander une faveur, puisqu’on a commencé aujourd’hui un peu tôt, que notre témoin puisse — il est 19 h 50 — puisse pouvoir aller se reposer ? Je vous remercie de votre compréhension.


Me MAC DONALD :
Il me reste une dernière question.


M. LE PRÉSIDENT :
Oui.


Me MAC DONALD :
Il me reste juste une question. Je voudrais... ou une observation. J’aimerais que le général Dallaire puisse nous expliquer ce point.

Q. Général, peut importe la légitimité de votre motivation, vous convenez avec moi que votre ambition démesurée, à vouloir porter Agathe au pouvoir, vous a clairement amené à manquer de discernement sur des questions qui étaient en votre juridiction ? Et, est-ce que vous...

R. Pas du tout, absolument pas.

Q. (Début de l’intervention inaudible)… Aujourd’hui, Général, que la positon militaire... tant militaire que politique consistant à ne pas reconnaître la légitimité politique d’Agathe était bien fondée ? Et c’est l’opinion de… notamment, de Lugan, Rentjens, et tout ça est dans le rapport de Lugan.

R. Je ne sais pas d’où vient cet homme, mais je ne suis d’accord avec aucun de ses concepts fallacieux. Quant à la répartition des rôles au sein du Gouvernement ou à un système de Gouvernement, c’est elle qui le propose.


Me MAC DONALD :
Je devrais revenir sur ce point demain, Monsieur le Président.


M. LE PRÉSIDENT :
Très bien.

L’audience est levée. Reprise demain, 13 heures.
(Levée de l’audience : 19 h 55)



SERMENT D’OFFICE

Nous, sténotypistes officielles, en service au Tribunal pénal international pour le Rwanda, certifions, sous notre serment d’office, que les pages qui précèdent ont été prises au moyen de la sténotypie et transcrites par ordinateur, et que ces pages contiennent la transcription fidèle et exacte des notes recueillies au mieux de notre compréhension.

ET NOUS AVONS SIGNÉ :

_____________________
Vivianne Mayele




_____________________
Grâce Hortense Mboua



_____________________
Françoise Quentin

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